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Droit au congé annuel : prise en compte des périodes de chômage partiel ?

Commentaire de C.J.U.E., 13 décembre 2018, Aff. n° C-385/17 (HEIN c/ ALBERT HOLZKAMM GmbH & Co. KG)

Mis en ligne le jeudi 11 avril 2019


Cour de Justice de l’Union européenne, 13 décembre 2018, Aff. n° C-385/17 (HEIN c/ ALBERT HOLZKAMM GmbH & Co. KG)

Terra Laboris

La Cour de Justice a été saisie d’une affaire allemande, relative à une convention collective du secteur du bâtiment, qui prévoit pour la fixation de l’indemnité de congé annuel la prise en compte de l’indemnisation perçue par le travailleur pendant des périodes de chômage partiel : il y a contrariété à l’article 7, § 1er, de la Directive n° 2003/88/CE.

Les faits

Un ouvrier-coffreur au service d’une société est en chômage partiel pendant 26 semaines au cours de l’année 2015. Il prend, en 2015 et 2016, 30 jours de congé dont il avait acquis les droits au cours de l’année 2015. La loi allemande sur les congés prévoit que le pécule est fonction de la rémunération moyenne perçue au cours de la période de référence (13 dernières semaines). Les réductions de rémunération au cours de celle-ci résultant d’un chômage (chômage partiel ou accidentel) ou encore d’une absence non fautive ne sont pas prises en compte. Il peut être dérogé à cette disposition par convention collective. Ceci a été fait dans le secteur (bâtiment), selon un système qui peut conduire à une réduction de l’indemnité de congé lorsque le salarié a eu des périodes de chômage partiel. Il y a ainsi prise en compte de la rémunération diminuée. Ceci a été appliqué par la société, qui a repris comme base un salaire horaire brut inférieur au salaire horaire normal.

Pour le travailleur, les périodes de chômage partiel ne peuvent avoir pour effet de réduire son indemnité de congé. Il réclame ici un montant de l’ordre de 2.260 euros.

Il a saisi l’Arbeitsgericht Verden (Tribunal du travail de Verden), qui interroge la Cour de Justice. La question est de savoir si cette situation est conforme au droit de l’Union. Il découle en effet, selon le juge de renvoi, de la jurisprudence de la Cour de Justice qu’un travailleur doit percevoir la rémunération ordinaire pour la durée du congé annuel, et ce au sens de la Directive n° 2003/88/CE. Il est précisé que la question ici posée n’a pas encore été examinée par la Cour de Justice dans sa jurisprudence, étant les effets d’une réduction de l’indemnité de congé eu égard à une période de chômage partiel.

Les questions préjudicielles

Deux questions sont ainsi posées.

La première est fondée sur l’article 31 de la Charte et sur l’article 7, § 1er, de la Directive n° 2003/88. Il s’agit de savoir si ces dispositions doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une disposition législative nationale qui permet de prévoir par convention collective que des réductions de rémunération au cours de la période de référence d’un chômage partiel sont prises en considération pour le calcul de l’indemnité légale de congé, la conséquence étant une diminution de cette indemnité. Dans l’affirmative, la question est également posée de savoir quel serait le maximum de la réduction, en pourcentage de la rémunération moyenne sans réduction.

La seconde question vaut en cas de réponse affirmative à la première. Elle porte sur le principe de sécurité juridique, principe général du droit de l’Union et sur celui de non-rétroactivité. Il s’agit de savoir si ceux-ci imposent de limiter dans le temps la possibilité pour les intéressés de se prévaloir de l’interprétation que la Cour fera dans son arrêt préjudiciel.

La décision de la Cour

Sur la première question, la Cour procède en premier lieu au rappel d’un principe général, issu du libellé même de l’article 7, § 1er, de la Directive n° 2003/88 : tout travailleur bénéficie d’un droit au congé annuel payé d’au moins 4 semaines. Il s’agit d’un principe de droit social de l’Union revêtant une importance particulière et il ne peut pas y être dérogé.

Ce droit est également repris à l’article 31, § 2, de la Charte, qui a la même valeur juridique que les traités (la Cour rappelant ici divers arrêts de sa jurisprudence confirmant la règle). Le droit au congé annuel et celui à l’obtention d’un paiement à ce titre constituent deux volets d’un droit unique. Il faut dès lors examiner successivement ces deux aspects.

Le droit au congé annuel minimum est basé sur la prémisse que le travailleur a effectivement travaillé au cours de la période de référence. Il s’agit pour lui de pouvoir se reposer, droit exercé dans le cadre de la protection de sa sécurité et de sa santé. Aussi, le droit au congé annuel doit être calculé en fonction des périodes de travail effectif accomplies. Logiquement, l’intéressé n’ayant presté que pendant 26 semaines pendant l’année de référence, il n’aurait droit qu’à deux semaines de congé. Cependant, la Cour rappelle que la Directive se borne à fixer des prescriptions minimales. Elle ne s’oppose dès lors pas à ce qu’une réglementation nationale (ou une convention collective) octroie aux salariés un congé d’une durée supérieure.

Pour ce qui est, ensuite, de la rémunération, la cour renvoie à divers arrêts de sa jurisprudence, dans lesquels elle a précisé que, pour la durée du « congé annuel », la rémunération doit être maintenue. Le travailleur doit percevoir la rémunération ordinaire pour cette période de repos, la Cour renvoyant notamment à son arrêt WILLIAMS et alii du 15 septembre 2011 (C.J.U.E., 15 septembre 2011, Aff. n° C-155/10, WILLIAMS et alii). Elle souligne encore que, si la structure de la rémunération ordinaire du travailleur relève des Etats membres, celle-ci ne peut avoir un impact sur le droit du travailleur de jouir de conditions économiques comparables, pendant sa période de repos, à celles relatives à la période de travail.

Elle constate que, en l’espèce, le travailleur ne perçoit pas la rémunération ordinaire dont il bénéficierait pour les périodes de travail effectif.

La société employeuse et le Gouvernement allemand font valoir, dans leur argumentation, que l’objectif poursuivi par la convention collective du secteur (bâtiment) est de permettre une plus grande flexibilité aux entreprises, afin d’éviter des licenciements pour raisons économiques.

La cour poursuit cependant son raisonnement dans la ligne stricte du dispositif de la Directive. Elle souligne que celle-ci n’exige pas que la rémunération ordinaire visée par sa jurisprudence (citée) soit octroyée pour la totalité de la durée du congé annuel. L’employeur n’est requis d’octroyer cette rémunération que pour la durée du congé annuel minimum, celui-ci n’étant acquis par le salarié que pour les périodes de travail effectif. Par ailleurs, le droit communautaire ne s’oppose pas à ce que les partenaires sociaux adoptent dans le cadre national des règles visant à contribuer de manière générale à l’amélioration des conditions de travail des salariés, mais ils sont tenus, dans ceci, de respecter dans les modalités d’application des règles qu’ils élaborent, les limites découlant de la Directive.

Dès lors qu’il y a augmentation des droits au congé annuel payé au-delà du minimum de l’article 7 ou la possibilité d’obtenir un droit au congé annuel payé d’un seul tenant (mesures favorables aux travailleurs allant au-delà des exigences minimales de la Directive), ces mesures ne sont pas régies par celle-ci.

Elles ne peuvent cependant servir à compenser l’effet négatif pour le travailleur d’une réduction de la rémunération due au titre de ce congé, ce qui viendrait à remettre en cause le droit au congé annuel prévu à l’article 7, dont fait partie intégrante le droit pour le travailleur de jouir pendant cette période de conditions économiques comparables à celles qu’il connaît pendant les périodes de travail.

La cour rappelle encore la finalité de la règle relative à l’obtention de la rémunération ordinaire pendant la période de congé : il s’agit de permettre au travailleur de prendre effectivement les jours auxquels il a droit. Si la rémunération est inférieure, ceci pourrait l’inciter à ne pas prendre ces jours de congé.

La Cour réserve encore quelques développements quant au rôle du juge national dans l’interprétation et dans l’application du droit de l’Union.

Elle conclut que l’article 7, confronté à la réglementation nationale telle que celle qui est présentée, s’oppose à celle-ci, dans la mesure où le salarié perçoit, en conséquence de l’application de la règle nationale, pour la durée du congé annuel minimum dont il bénéficie au titre de cette disposition, une indemnité de congé inférieure à la rémunération ordinaire correspondant aux périodes de travail.

Sur la deuxième question, la cour considère qu’il n’y a pas lieu de limiter les effets dans le temps de l’arrêt rendu, le droit de l’Union devant être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les juridictions nationales protègent, sur le fondement du droit national, la confiance légitime des employeurs quant au maintien de la jurisprudence des plus hautes juridictions nationales qui avaient confirmé la légalité des dispositions en matière de congés payés de la convention collective sectorielle.

Intérêt de la décision

Des fondamentaux sont rappelés dans cet arrêt de la Cour de Justice quant à la portée de la Directive n° 2003/82 pour ce qui est du droit au congé annuel. La Cour de Justice rappelle que celle-ci fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail et qu’elle ne porte pas atteinte à la faculté des Etats membres d’appliquer des dispositions nationales plus favorables à la protection des travailleurs.

Dès lors, cependant, que le droit national contient des dispositions qui excèdent ces prescriptions minimales, sur le plan de la durée du congé annuel, ceci a une incidence directe sur la rémunération versée au titre de droit au congé annuel, qui ne peut être inférieure à la rémunération ordinaire que le travailleur reçoit pendant les périodes de travail effectif. La Cour a souligné (considérant n° 44) que celui-ci risque ainsi d’être incité à ne pas prendre son congé annuel, dans la mesure où cela conduirait pendant ces périodes à une diminution de sa rémunération.


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