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Prise en compte pour le calcul de la pension de retraite d’années de service effectuées avant l’expiration du délai de transposition de la Directive n° 97/81/CE

Commentaire de C.J.U.E., 7 novembre 2018, Aff. n° C-432/17 (O’BRIEN c/ MINISTRY OF JUSTICE)

Mis en ligne le jeudi 11 avril 2019


Cour de Justice de l’Union européenne, 7 novembre 2018, Aff. n° C-432/17 (O’BRIEN c/ MINISTRY OF JUSTICE)

Terra Laboris

Dans un arrêt du 7 novembre 2018, la Cour de Justice rappelle qu’une règle de droit nouvelle s’applique à compter de l’entrée en vigueur de l’acte qui l’instaure et, si tel n’est pas le cas pour les situations juridiques nées et définitivement acquises avant son entrée en vigueur, elle s’applique immédiatement aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la loi ancienne, ainsi pour le calcul des droits en matière de pension de retraite.

Les faits

M. O’BRIEN a effectué sa carrière après de la Crown Court (Tribunal de la Couronne) en tant que « recorder ». Il était rémunéré non via un salaire, mais sur la base d’honoraires journaliers.

Lorsqu’il a pris sa pension de retraite, il a sollicité que celle-ci soit ajustée au prorata des prestations à celle des anciens magistrats travaillant à temps plein et ayant exercé les mêmes fonctions que lui ou des fonctions similaires, ce qui lui a été refusé par le Département des Affaires constitutionnelles anglais.

L’intéressé saisit l’Employment Tribunal (tribunal du travail), au motif qu’il avait droit à cette pension sur pied de la Directive n° 97/81/CE du Conseil du 15 décembre 1997, concernant l’accord-cadre sur le travail à temps partiel.

Après avoir eu gain de cause en première instance, il a été débouté en appel par l’Employment appeal Tribunal (tribunal d’appel du travail) et, ensuite, devant la Court of appeal (Cour d’appel). Il a alors formé recours devant la Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume-Uni) et c’est cette juridiction qui saisit la Cour de Justice.

L’arrêt de la Cour de Justice du 1er mars 2012 (Aff. n° C-393/10)

La Cour a rendu un premier arrêt le 1er mars 2012, concluant qu’il appartenait au juge de renvoi de déterminer si l’intéressé devait être considéré comme travailleur à temps partiel au sens de l’accord-cadre. En ce qui concerne le principe de non-discrimination que celui-ci contient, elle a rappelé que le droit national ne saurait établir une distinction entre les juges à temps plein et les juges à temps partiel rémunérés sur la base d’horaires journaliers, sauf si des raisons objectives justifient une telle différence de traitement.

La reprise de la procédure

L’affaire a donc été renvoyée à la Cour suprême du Royaume-Uni. Celle-ci a considéré que l’intéressé était un travailleur à temps partiel au sens de la clause 2 du point 1 de l’accord-cadre et qu’aucune justification objective n’était apportée permettant de fixer la rémunération des magistrats à temps partiel sur d’autres bases que celle des magistrats à temps plein – sous réserve d’un ajustement prorata temporis. Le droit à la pension de retraite aux mêmes conditions qu’un juge à temps plein lui a été reconnu.

La haute juridiction britannique a renvoyé l’affaire devant le tribunal du travail, en ce qui concerne le montant de la pension elle-même. La question s’est alors posée de la période devant être prise en compte pour la détermination du montant, étant de savoir s’il fallait tenir compte de toute la durée des fonctions, soit depuis la nomination de l’intéressé le 1er mars 1978 (27 ans), ou uniquement de celle exercée depuis la date d’expiration du délai de transposition de la Directive n° 97/81, soit moins de 5 ans.

De nouveau, M. O’BRIEN obtint gain de cause devant le tribunal du travail, afin que puisse être retenue toute sa durée de carrière, mais cette décision a été réformée par le tribunal d’appel, ce qu’a également confirmé la cour d’appel elle-même. Il a dès lors formé un nouveau pourvoi devant la Cour suprême.

Celle-ci émet des doutes, en ce qui concerne la discrimination prohibée. En effet, la Directive serait applicable ratione temporis lorsqu’une pension de retraite devient exigible après la date de son entrée en vigueur. Si une partie de l’ancienneté est antérieure, la Directive serait applicable aux effets futurs. Cependant, se pose la question, déduite d’un ancien arrêt de la Cour du 6 octobre 1993 (C.J.U.E., 6 octobre 1993, Aff. n° C-109/91, TEN OEVER), de savoir si une pension de retraite professionnelle doit être considérée comme rémunération différée dont les droits sont acquis au cours de la période d’exercice de l’activité elle-même. Si ce principe était acquis, la Directive ne pourrait, vu le principe général de non-rétroactivité des textes, affecter les droits acquis – ou non acquis (ce qui est le cas de l’intéressé) – avant son entrée en vigueur, et ce en l’absence de dispositions spécifiques dans son texte. La Cour suprême réinterroge dès lors la Cour de Justice.

La question préjudicielle

La question posée est de savoir si la Directive n° 97/81/CE – et plus spécialement la clause 4 de l’accord-cadre, relative au principe de non-discrimination – a pour effet que les périodes d’ancienneté antérieures à la date limite pour sa transposition doivent être prises en compte pour la détermination du montant de la pension de retraite d’un travailleur à temps partiel si de telles périodes sont prises en compte pour la détermination de la pension de retraite d’un travailleur comparable à temps plein.

La décision de la Cour

La Cour rappelle qu’une règle de droit nouvelle entre en vigueur à compter de l’entrée en vigueur de l’acte qui l’instaure et que, si elle ne s’applique pas aux situations juridiques nées et définitivement acquises avant cette entrée en vigueur, elle s’applique immédiatement aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la loi ancienne, de même qu’aux situations juridiques nouvelles. Ceci sauf dispositions particulières contenues dans la loi nouvelle relatives à des règles spécifiques d’application dans le temps.

La Directive n° 97/81/CE, de même que l’accord-cadre, ne dérogent pas à ce principe. La question revient dès lors à ceci : l’acquisition progressive de droits à la pension au cours de la période antérieure à la fin du délai de transposition de la Directive a-t-elle pour effet que la situation juridique de l’intéressé doit être considérée comme ayant été définitivement acquise à cette date ?

Le Gouvernement britannique renvoyant, à l’appui de sa thèse, notamment aux arrêts BARBER (C.J.U.E., 17 mai 1990, Aff. n° C-262/88, BARBER) et TEN OEVER (ci-dessus), la Cour répond qu’il faut distinguer la question de l’effet rétroactif d’une règle et celle des effets dans le temps d’un arrêt de la Cour. Si, vu l’existence de troubles graves qu’une décision pourrait entraîner pour le passé peut permettre à la Cour de limiter les effets d’un arrêt rendu dans le temps, cette limitation ne peut être admise que dans l’arrêt lui-même, ce qui n’a pas été fait et ce qui n’a pas été demandé par le Gouvernement britannique.

Elle relève que la circonstance qu’un droit à la pension est définitivement acquis au terme de la période d’ancienneté correspondante ne permet pas de conclure que la situation juridique du travailleur doit être considérée comme définitivement acquise. Ce n’est en effet qu’ultérieurement et en tenant compte des périodes d’ancienneté pertinentes que le travailleur pourra se prévaloir de ce droit en vue du paiement de la pension. Il convient, en conséquence, de conclure que la fixation des droits est régie par la Directive, y compris pour les périodes d’ancienneté antérieures à sa date d’entrée.

La Cour répond dès lors en ce sens : la Directive doit être interprétée (dans un cas tel que celui qui est présenté) dans le sens que les périodes d’ancienneté antérieures à la date d’expiration du délai de transposition doivent être prises en compte pour la détermination des droits à la pension de retraite.

Intérêt de la décision

L’on peut certes en premier lieu saluer la ténacité de M. O’BRIEN, qui a ainsi dû passer par une dizaine de décisions judiciaires internes ainsi que par deux arrêts de la Cour de Justice pour avoir la réponse à la question posée. Celle-ci peut sembler simple au départ, puisqu’elle est une application du principe de non-discrimination figurant dans l’accord-cadre sur le travail à temps partiel et de la Directive n° 97/81/CE, dont il est une annexe.

Le premier volet du litige a porté sur la nature de la relation de travail. Dans son arrêt du 1er mars 2012, la Cour de Justice a considéré qu’il appartient aux Etats membres de définir la notion reprise à la clause 2.1 de l’accord-cadre, qui vise les travailleurs ayant un contrat ou une relation de travail. La Cour de Justice y avait précisé que le juge national devait déterminer si les juges relèvent de cette notion, à la condition toutefois que cela n’aboutisse pas à exclure arbitrairement cette catégorie de personnes du bénéfice de la protection de la Directive et de l’accord-cadre. Elle avait précisé qu’une telle exclusion ne saurait être admise que si la relation qui unit les juges au Ministère de la Justice est, de par sa nature, substantiellement différente de celle qui lie à leur employeur les employés relevant, selon le droit national, de la catégorie des travailleurs.

Les juridictions britanniques ont considéré, suite à cet arrêt, que l’intéressé rentrait dans le champ d’application de la Directive. Restait à déterminer, en conséquence, quels étaient les droits qu’il pouvait faire valoir sur le plan chronologique, la fin du délai de transposition de la Directive étant intervenu… cinq ans seulement avant qu’il puisse prendre sa pension de retraite.

La solution donnée à cette situation par la Cour de Justice dans son arrêt du 7 novembre 2018 est importante, puisqu’elle décide que la circonstance qu’un droit à la pension est définitivement acquis au terme de la période d’ancienneté correspondante ne permet pas de conclure que la situation juridique du travailleur doit être considérée comme étant définitivement acquise. Ce n’est qu’ultérieurement qu’il pourra en effet se prévaloir effectivement de ce droit en vue du versement de la pension de retraite. La constitution des droits à la pension s’étendant sur les périodes précédant l’expiration du délai de transposition de la Directive en grande partie, la réponse de la Cour est heureuse dans le cas d’espèce. Elle est par ailleurs conforme au principe qu’elle a rappelé, relatif à la non-rétroactivité des textes, sauf si ceux-ci contiennent une disposition spécifique à cet égard.


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