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Comment constater la force majeure médicale ?

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 15 octobre 2018, R.G. 17/744/A

Mis en ligne le vendredi 29 mars 2019


Tribunal du travail du Hainaut (division Mons), 15 octobre 2018, R.G. 17/744/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 15 octobre 2018, statuant avant l’entrée en vigueur de la loi du 20 décembre 2016, le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons) rappelle que l’arrêté royal du 28 mai 2003 ne régit pas les conditions dans lesquelles le contrat de travail peut prendre fin pour cause d’incapacité de travail constitutive de force majeure et ne modifie pas cette notion telle qu’admise en droit commun.

Les faits

Un contrat de travail à temps partiel pour employé est conclu entre une société immobilière et un agent, celui-ci étant recruté en vue de la prospection immobilière.

L’intéressé tombe en incapacité de travail en 2016, incapacité à laquelle il est mis fin par l’organisme assureur quatre mois plus tard. La décision mentionne cependant que, s’il y a incapacité de travail au sens de l’article 100 de la loi A.M.I., il y a inaptitude définitive « à son dernier poste de travail ».

L’intéressé se voit dès lors remettre par son employeur un document C4, constatant la force majeure.

Il introduit une procédure, demandant essentiellement une indemnité compensatoire de préavis, une indemnité pour licenciement abusif, ainsi que le paiement d’autres sommes.

Quant à la société, elle demande de disqualifier le contrat de travail en contrat d’entreprise et forme une demande reconventionnelle.

La décision du tribunal

Le tribunal procède en premier lieu à l’examen de la qualification de la relation de travail, et ce eu égard à la loi-cadre du 3 août 2017 qui réglemente la protection du titre professionnel et l’exercice des professions intellectuelles prestataires de services, dont les agents immobiliers. Elle examine également le Code de déontologie ainsi que les articles 2 et 3 de la loi du 3 juillet 1978.

Il rappelle qu’il faut rechercher l’existence d’une subordination juridique, celle-ci n’étant pas à comprendre comme une dépendance économique. Sauf si la loi a prévu une présomption d’existence de contrat de travail, celui qui invoque l’existence de celui-ci doit dès lors apporter la preuve requise.

Il procède à un bref rappel de divers arrêts importants de la Cour de cassation sur les éléments qui ne sont pas inconciliables avec la qualification de contrat d’entreprise (notamment le fait de travailler dans les locaux du co-contractant, d’avoir précédemment travaillé pour lui en qualité de salarié, etc.) et revient sur les quatre critères généraux exigés par la loi du 27 décembre 2006, dont il retient qu’elle n’a pas modifié la jurisprudence de la Cour suprême. L’article 331 prévoit en effet que les parties choisissent librement la nature de leur relation de travail, dont l’exécution effective doit être en concordance avec ce choix. La priorité est à donner à la qualification qui se révèle de l’exercice effectif si celle-ci exclut la qualification juridique choisie. Ce n’est dès lors, selon l’article 332, que si l’exécution de la relation de travail laisse apparaître la réunion de suffisamment d’éléments incompatibles avec la qualification donnée qu’il y a lieu à requalification. Ces principes étant rappelés, le tribunal constate que les parties ont incontestablement qualifié leur convention de contrat de travail. Dès lors, la société devrait prouver l’inexistence du lien de subordination. Elle avance des indices, étant que l’agent fixait librement son temps de travail, qu’il investissait à titre personnel dans des outils, qu’il ne devait rendre compte à personne et qu’il jouissait d’une totale liberté dans l’exécution de sa mission, la société n’ayant aucun pouvoir d’autorité ou de direction.

Ces éléments étant avancés, le tribunal relève qu’ils doivent également être prouvés, ce qui n’est pas le cas.

L’intéressé produit, par contre, de nombreuses demandes de missions précises faites par l’employeur. Celles-ci étant considérées comme des injonctions permettant de retenir l’existence d’une autorité, la thèse de la société est rejetée.

Pour ce qui est du bien-fondé de la force majeure dénoncée par l’employeur, le tribunal examine l’article 32, 5°, de la loi du 3 juillet 1978. L’arrêt du 5 janvier 1981, arrêt capital en la matière (et qui a été suivi d’autres ultérieurs) rendu par la Cour de cassation, est repris comme fixant la règle selon laquelle l’inaptitude définitive du travailleur à exécuter le travail convenu peut être constitutive d’une force majeure mettant un terme au contrat.

Suite à l’entrée en vigueur de l’arrêté royal du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs, des règles complémentaires ont été introduites. Rappelant la doctrine (A. MORTIER, « La cessation du contrat du travail causée par l’état de santé du travailleur », J.T.T., 2017, pp. 33 et s.), le tribunal rappelle que cet arrêt royal ne modifie nullement la notion de force majeure telle qu’elle est définie en droit commun. L’employeur a ici également la charge de la preuve des éléments qu’il invoque, étant en l’occurrence la preuve de l’inaptitude définitive du travailleur à effectuer le travail convenu, ce qui ne s’identifie pas avec une incapacité, même de longue durée. Il faut une incapacité définitive.

Or, le médecin-conseil de la mutuelle a admis celle-ci, précisant que, s’il était mis fin à l’incapacité de travail, l’intéressé était définitivement inapte à son dernier poste de travail. Cette décision n’a pas été contestée, étant au contraire remise à l’employeur.

Le tribunal fait grief à l’intéressé de ne pas avoir introduit de demande conformément à l’arrêté royal du 28 mai 2003. Il ne peut, en conséquence, reprocher de faute à son employeur. Il constate également que l’employé ne conteste pas réellement cet état d’inaptitude définitive, mais uniquement le non-respect de la procédure, son organisation syndicale ayant écrit à l’employeur qu’il aurait dû inviter l’affilié à se faire examiner par le médecin du travail pour qu’il atteste de cette incapacité définitive et permanente. Or, la constatation de l’incapacité définitive ne devait pas être nécessairement faite par la médecine du travail et pouvait, selon le tribunal, se déduire de l’appréciation faite par un autre médecin que le conseiller en prévention-médecin du travail, ce qui a été fait par le médecin-conseil de la mutuelle et qui n’a pas été contesté.

Le tribunal relève encore que l’intéressé n’a réagi que lorsqu’il s’est vu priver d’allocations de chômage, la CAPAC lui ayant demandé de fournir une attestation de la médecine du travail – ce qu’il était dans l’impossibilité de faire. Pour le tribunal, il n’y avait pas lieu d’introduire une procédure contre l’employeur mais de contester la décision de l’ONEm. Il admet dès lors la validité de la rupture pour force majeure.

En conséquence, il déboute le travailleur de ses demandes. Il fait de même en ce qui concerne la demande reconventionnelle, fondée sur l’article 18 (dommage au véhicule de la société, et ce au motif de la limitation de responsabilité prévue à l’article 18, L.C.T.).

Intérêt de la décision

Le jugement rendu se prononce, sur la question de la force majeure, pour la situation antérieure à la loi du 20 décembre 2016 portant dispositions diverses en droit du travail liées à l’incapacité de travail. Le tribunal rappelle qu’avant celle-ci, du fait de l’absence d’arrêté royal permettant à l’article 34 de la loi du 3 juillet 1978 (introduit par celle du 27 avril 2007) d’entrer en vigueur, c’est l’arrêté royal du 28 mai 2003 qui constituait le seul texte en la matière. La doctrine citée dans le jugement rappelle que celui-ci ne régit pas les conditions dans lesquelles le contrat de travail peut prendre fin pour cause d’incapacité de travail constitutive de force majeure et qu’il ne modifie nullement la notion de force majeure telle que définie en droit commun.

Le tribunal souligne dans son jugement qu’à partir du moment où cette force majeure est constatée par un médecin (en l’occurrence le médecin-conseil de l’organisme assureur) et qu’elle n’est pas contestée par le travailleur, qui s’en prévaut d’ailleurs vis-à-vis de son employeur, une demande d’indemnité compensatoire de préavis ne peut aboutir.

L’on notera encore que c’est suite à la position de l’ONEm (qui, en fin de compte, est à l’origine du litige) que l’employé s’est retrouvé dans une situation particulièrement délicate, privé d’indemnité de préavis et de revenu de remplacement. Comme l’a à bon droit repris le tribunal, la décision de l’ONEm devait être contestée, vu la validité du mode de rupture.

Nous renvoyons, sur la même question, à C. trav. Bruxelles, 1er juin 2018, R.G. 2017/AB/127 (précédemment commenté).


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