Terralaboris asbl

Notion de force majeure définitive pour raisons médicales ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 1er juin 2018, R.G. 2017/AB/127

Mis en ligne le mardi 26 mars 2019


Cour du travail de Bruxelles, 1er juin 2018, R.G. 2017/AB/127

Terra Laboris

Par arrêt du 1er juin 2018, statuant sur la notion de force majeure médicale pour des faits de 2010, la Cour du travail de Bruxelles conclut à la nécessaire articulation entre l’article 32, 5°, de la loi du 5 juillet 1978 et l’arrêté royal du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs.

Les faits

Une employée, engagée comme vendeuse-caissière depuis mars 1999, connaît des absences pour maladie liées à une allergie à partir de 2004. Il est à ce moment recommandé une mutation définitive, l’affectation à un travail à la caisse devant être d’un maximum de deux fois 15 minutes par jour.

Une déclaration sera faite auprès du Fonds des Maladies Professionnelles (actuellement FEDRIS) en juillet 2005.

A partir de 2009, l’intéressée bénéficie pendant plusieurs mois d’indemnités d’incapacité A.M.I. Elle est remise au travail en mai 2010, le médecin-conseil la déclarant apte pour un travail léger et adapté.

Après quelques jours de reprise, elle retombe en incapacité. Le conseiller en prévention-médecin du travail considère qu’elle doit être mise en congé de maladie et son incapacité à porter des charges supérieures à cinq kilos est confirmée par son neurochirurgien. La société fait alors valoir qu’elle n’a pas de poste adapté. La mutualité cessant son intervention, l’intéressée est prise en charge par l’ONEm, sur la base d’une force majeure temporaire.

L’employeur confirme quelque temps plus tard qu’il ne peut lui offrir le travail léger et adapté demandé. L’intéressée va continuer à subir des interventions chirurgicales. En fin de compte, en octobre 2013, elle demande un reclassement qui n’altérerait pas sa santé. Vu les recommandations du conseiller en prévention-médecin du travail (mutation définitive), l’employeur l’invite à recontacter son médecin-traitant. Il lui soumet, enfin, un document intitulé « constatation de la dissolution du contrat de travail pour cause de force majeure médicale ».

L’intéressée saisit le tribunal du travail. Il est, en cours de procédure, constaté et confirmé sur le plan médical qu’elle peut reprendre des activités professionnelles de typer léger et adapté. Le tribunal statue, le 7 juin 2016, condamnant la société à une indemnité compensatoire de préavis.

Appel est interjeté par celle-ci.

La décision de la cour

Les principes en matière de force majeure (applicables avant les modifications intervenues par la loi du 20 décembre 2016 portant des dispositions diverses en droit du travail liées à l’incapacité de travail) sont rappelés. Il s’agit de l’article 32, 5°, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, en vertu duquel la force majeure est l’un des modes de dissolution des contrats de travail. La cour rappelle que, depuis son arrêt du 5 janvier 1981 (Cass., 5 janvier 1981, Pas., 1981, I, p. 474), la Cour de cassation a posé la règle que l’incapacité permanente qui empêche définitivement le travailleur de reprendre le travail convenu constitue un événement de force majeure entraînant la rupture du contrat. Les conditions ont été précisées, étant qu’une incapacité de longue durée ne suffit pas mais qu’elle doit être définitive, c’est-à-dire sans espoir de guérison, même à longue échéance (la cour renvoyant ici à un arrêt de la Cour du travail de Liège du 14 décembre 2000, J.T.T., 2001, p. 212). Toujours selon la Cour de cassation (Cass., 10 janvier 1994, J.T.T., 1994, p. 209), il faut qu’il n’y ait aucune chance de rétablissement.

La cour rappelle également la procédure instaurée par l’arrêté royal du 28 mai 2003 relatif à la surveillance de la santé des travailleurs. Elle retient qu’une partie importante de la doctrine (qu’elle cite) ainsi que de la jurisprudence (idem), admet que l’article 32, 5°, doit être lu conjointement avec la loi du 4 août 1996, étant, en l’occurrence, l’arrêté royal du 28 mai 2003, qui est un arrêté pris en exécution de celle-ci.

Il n’y a pas de contradiction entre les deux dispositions, la cour renvoyant encore expressément à un extrait d’un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 8 mars 2016 (C. trav. Bruxelles, 8 mars 2016, Chron. Dr. Soc., 2016, p. 307 et jurisprudence citée), selon lequel l’arrêté ne règle que la question du seul cas de force majeure médicale (qui n’est par ailleurs pas expressément prévue par l’article 32) et celui-ci n’empêche nullement la reconnaissance d’un cas de force majeure mais l’encadre en prévoyant une procédure qui doit être suivie et menée à son terme dans le respect de l’article 72 de l’arrêté royal.

L’employeur a la responsabilité de veiller au respect des procédures mises en place par celui-ci et il ne pourra invoquer une rupture pour force majeure que si aucune faute ne peut lui être imputée. Ainsi, il devra avoir satisfait raisonnablement à l’obligation de reclassement prévue à l’article 72.

La cour rappelle encore que la force majeure ne peut se déduire du formulaire d’évaluation de santé prévu à l’article 48 de l’arrêté royal, ce qui reviendrait, pour le juge, à s’en remettre à l’appréciation du conseiller en prévention et serait à tout le moins contraire à l’article 6 de la C.E.D.H.

Par ailleurs, le travailleur n’est pas tenu d’épuiser la voie de recours figurant à l’article 64 de ce texte, qui est une faculté supplémentaire qui lui est offerte mais ne peut pas être comprise comme une limitation de ses droits.

Enfin, elle reprend les règles de preuve, étant qu’il appartient à l’employeur, qui se prévaut de la force majeure, d’apporter la preuve des éléments constitutifs de celle-ci. Il faut en l’espèce vérifier si c’est l’état de santé du travailleur qui est invoqué, un état entraînant une incapacité définitive pour le travailleur d’exercer le travail convenu. La preuve est dès lors triple, étant que l’employeur doit établir (i) un événement imprévisible créant un obstacle insurmontable à cette exécution, (ii) le fait que la survenance de cet événement ne lui est pas imputable et (iii) les circonstances suite auxquelles il s’estime libéré de l’obligation de donner suite aux recommandations du conseiller en prévention-médecin du travail.

En l’espèce, l’examen des pièces soumises à la cour ne permet pas de déterminer que l’affection dont souffrait l’intéressée était nécessairement sans espoir et qu’une évolution positive ne pouvait être attendue. Parmi les tâches de l’intéressée, seules celles relatives au réassortiment paraissaient avoir pu constituer un obstacle, vu la recommandation du conseiller en prévention-médecin du travail. La cour conclut que l’employeur ne rapporte pas la preuve qu’il a légalement pu constater que le contrat de travail était rompu pour force majeure.

Intérêt de la décision

La cour procède ici à l’examen des mécanismes conjoints des règles générales en matière de force majeure d’une part et des procédures de l’arrêté royal du 28 mai 2003 de l’autre.

Elle en retient les conditions, étant que la notion de force majeure peut être abordée dans son sens civiliste et que l’arrêté royal du 28 mai 2003 encadre celle-ci en prévoyant une procédure qui doit être suivie et menée à son terme. Elle rappelle ici un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 8 mars 2016 (C. trav. Bruxelles, 8 mars 2016, R.G. 2014/AB/330), qui a confirmé, à propos de l’examen réalisé par le conseiller en prévention-médecin du travail, que le formulaire d’évaluation de santé – qui en règle ne contient aucun élément diagnostique et aucune motivation – n’est pas en soi une preuve suffisante de l’incapacité définitive à exercer le travail convenu. Pour la Cour du travail de Bruxelles, l’on ne pourrait admettre que le tribunal doive s’en remettre à l’appréciation de celui-ci car cela serait à tout le moins contraire à l’article 6 de la C.E.D.H. et à la compétence de pleine juridiction qui doit être celle des tribunaux appelés à trancher les contestations portant sur des droits à caractère civil.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be