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Demande d’indemnisation d’une maladie professionnelle et extension en cours de procédure à une maladie hors liste

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 mai 2018, R.G. 2017/AB/499

Mis en ligne le vendredi 15 mars 2019


Cour du travail de Bruxelles, 15 mai 2018, R.G. 2017/AB/499

Terra Laboris

Par arrêt du 15 mai 2018, statuant sur renvoi après l’arrêt de la Cour de cassation du 12 décembre 2016, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la distinction à opérer entre la cause de la demande et son objet, la qualification juridique de la maladie professionnelle appartenant au juge et n’étant pas une question de fait.

Les faits

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Charleroi en 2008, aux fins d’obtenir l’indemnisation des suites d’une maladie figurant sur la liste (code 1.605.03) : syndrome mono ou poly-radiculaire objectivé de type sciatique, syndrome de la queue de cheval ou syndrome du canal lombaire étroit répondant à certaines conditions.

Suite au rejet de la demande, l’intéressé a en effet saisi le tribunal, et ce dans le cadre des maladies dites « de la liste ».

Les jugements du Tribunal du travail de Charleroi des 10 mars 2011 et du 12 septembre 2013

L’expert judiciaire désigné par un jugement du 10 mars 2011 est chargé de vérifier l’exposition au risque professionnel de port de charges lourdes et de déterminer si l’intéressé a été soumis au risque de la maladie professionnelle portant le code ci-dessus et s’il en souffre. Dans son rapport, l’expert conclut à l’existence de l’exposition au risque, mais que l’on ne peut retenir, de l’arthrose dont il est atteint, des symptômes subjectifs ou objectifs évocateurs d’un syndrome mono ou poly-radiculaire qui correspondent aux conditions légales. Le travailleur est ainsi débouté de sa demande devant le premier juge. Il interjette appel et demande à la cour, dans le cadre de celui-ci, d’examiner l’existence d’une maladie professionnelle hors liste.

L’arrêt de la Cour du travail de Mons du 24 juin 2014

Dans son arrêt, la Cour du travail de Mons examine cette demande nouvelle, au sens de l’article 807, C.J. Elle considère que le respect du préalable administratif s’impose non seulement pour la demande introductive d’instance mais également pour les demandes incidentes formées au cours de cette instance. Renvoyant aux arrêts de la Cour de cassation des 8 décembre 1980 (Pas., 1981, p. 399) et 15 juin 1981 (Pas., 1981, p. 1175), elle rejette la demande nouvelle. Elle considère que le fait invoqué dans la citation est l’existence de la maladie professionnelle désignée et que l’article 807 ne peut trouver à s’appliquer, et ce d’autant plus que les demandes sont instruites différemment par le F.M.P. (actuellement Fedris).

Le pourvoi

Le travailleur introduit un pourvoi devant la Cour de cassation, soutenant que le préalable administratif consacré par les articles 52 et 53 des lois coordonnées vise l’obligation pour la victime de se soumettre à la procédure administrative et que les juridictions du travail chargées de statuer sur les contestations des décisions du F.M.P. sont en règle tenues de respecter les dispositions du Code judiciaire, dont son article 807.

La décision de la Cour de cassation du 12 décembre 2016

La Cour casse l’arrêt de la cour du travail, et ce au motif de la violation des articles 2 et 807, C.J., ainsi que 52 et 53, L.C., et 8bis et 9 de l’arrêté royal du 26 septembre 1996 déterminant la manière dont sont introduites et instruites par le F.M.P. les demandes de réparation et de révision des indemnités acquises.

Pour la Cour de cassation, en vertu de l’article 2, C.J., les règles énoncées dans ce Code, et donc son article 807, sont applicables à toutes les procédures, hormis celles dont des dispositions spécifiques s’avéreraient incompatibles avec les règles du Code judiciaire. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 15 mai 2018

L’affaire ayant été renvoyée à la Cour du travail de Bruxelles, celle-ci statue sur la recevabilité de la demande d’indemnisation d’une maladie hors liste. Reprenant les attendus de l’arrêt de la Cour de cassation du 12 décembre 2016, la cour constate que Fedris s’est incliné devant celle-ci et qu’il ne conteste plus la recevabilité de la demande d’indemnisation de la maladie hors liste.

Elle constate que la demande originaire avait pour objet la réparation du dommage causé par une maladie professionnelle. La maladie professionnelle est la cause de la demande et non son objet. La question de savoir si la maladie figure ou non dans la liste n’est pas une question de fait mais relève de la détermination, par le juge, des règles juridiques applicables aux faits. Ainsi, l’objet de la demande n’a pas été modifié par la qualification juridique nouvelle donnée au fait invoqué à l’appui de la demande, qui a d’abord été qualifié juridiquement de maladie de la liste et, ensuite, de maladie hors liste.

La cour considère dès lors qu’il faut examiner le fondement de la demande dans le cadre de l’article 30bis.

Elle rappelle brièvement les notions, étant qu’en ce qui concerne la maladie, toute maladie est susceptible d’être prise en considération et que, pour ce qui est de l’exposition au risque, elle droit être établie par le travailleur, et ce dans les deux systèmes. Le lien de causalité a été examiné par la Cour suprême dans son arrêt du 2 février 1998 (Cass., 2 février 1998, n° S.97.0109.N), l’exercice de la profession ne devant pas être la cause principale et pouvant être un facteur secondaire et non prépondérant, pour autant qu’il reste déterminant. Ceci signifie qu’il doit être établi avec certitude que, sans le facteur professionnel, la maladie ne se serait pas présentée telle qu’elle est survenue (avec renvoi à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 10 mai 2010, J.T.T., 2010, p. 297, et un autre de la Cour du travail de Mons du 16 janvier 2002, J.T.T., 2002, p. 233).

Reprenant les éléments du dossier, la cour estime devoir recourir à un expert, qu’elle charge d’une mission complète, étant de déterminer si le travailleur est atteint d’une pathologie de la colonne vertébrale et de répondre aux questions habituelles.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour de cassation du 12 décembre 2016 (Cass., 12 décembre 2016, n° S.15.0068.F – précédemment commenté) a mis un terme à la question de la recevabilité d’une extension d’une demande d’indemnisation dans le système hors liste, et ce au stade de la procédure judiciaire. Existe en effet une règle d’instruction des dossiers de maladie professionnelle, selon laquelle le préalable administratif est obligatoire. Dans son pourvoi ayant donné lieu à l’arrêt du 12 décembre 2016, le travailleur soutenait que le préalable administratif consacré par les articles 52 et 53, L.C., se limite à l’obligation pour la victime de se soumettre à la procédure administrative prévue et que l’arrêté royal du 26 septembre 1996 règle uniquement les modalités d’instruction administrative de la demande. Quant aux juridictions du travail, elles sont chargées de statuer sur les contestations des décisions du F.M.P. et, dans ce cadre, sont tenues de respecter les dispositions du Code judiciaire, dont son article 807.

La jurisprudence est actuellement acquise à cette solution (l’on peut tout particulièrement renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Liège, division Liège, du 1er février 2016, R.G. 2015/AL/309 – précédemment commenté – très fouillé sur le plan des principes).


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