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Le refus de nouvelles conditions de rémunération (celle-ci étant revue à la baisse) peut-il conduire à un licenciement régulier ?

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Verviers), 3 octobre 2018, R.G. 17/543/A

Mis en ligne le mardi 12 mars 2019


Tribunal du travail de Liège (division Verviers), 3 octobre 2018, R.G. 17/543/A

Terra Laboris

Par jugement du 3 octobre 2018, le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) examine, à l’aune des critères de la C.C.T. n° 109, la licéité d’une décision prise par un employeur de réduire les rémunérations des cadres de sa société et de l’imposer au personnel, situation qui a débouché en l’espèce sur le licenciement de la travailleuse.

Les faits

Une secrétaire de direction, au service d’une société, bénéficie d’une rémunération brute de l’ordre de 2.600 euros au départ. La société est reprise par un plus grand groupe en 2012. Un avenant au contrat de travail est signé à ce moment-là, prévoyant une augmentation salariale mensuelle de 300 euros et des avantages rémunératoires (carte essence et frais internet pour travaux à domicile). Une augmentation salariale est encore prévue l’année suivante, celle-ci coïncidant à une ancienneté de dix ans.

Deux ans plus tard, soit en 2015, un rapport est présenté par le directeur RH au personnel, dont il ressortirait que des avantages octroyés ne correspondent pas « aux nécessités de la fonction et aux bonnes pratiques du marché », certains salaires étant trop élevés. Pour la catégorie à laquelle appartient l’intéressée, elle percevrait, selon ce calcul, 144% d’une rémunération « normale ».

Des discussions semblent être intervenues et la société informe en fin de compte l’intéressée qu’elle ne bénéficiera plus à l’avenir de la carte essence et ne pourra plus déclarer des indemnités pour déplacements professionnels. D’autres adaptations sont annoncées.

L’intéressée refuse de signer ce document. Son avocat intervient, signalant qu’il s’agit d’une modification de la rémunération et que sa cliente ne l’accepte pas.

Elle accepte cependant une modification moins à son désavantage. Son accord est donné le 8 octobre. Elle est licenciée le 13 octobre. La société y répète que sa rémunération n’est pas conforme au marché et qu’elle est trop élevée pour la fonction exercée. Il lui a été demandé d’accepter une réduction de sa rémunération de base, ce à quoi elle n’a pas consenti, faisant valoir qu’elle préférerait selon l’employeur que celui-ci mette un terme à son contrat de travail. En conséquence, dans la lettre de rupture, celui-ci confirme le licenciement moyennant préavis à prester.

Via son conseil, elle conteste avoir manifesté une quelconque volonté d’être licenciée et considère que le licenciement est manifestement déraisonnable. Elle demande à connaître les motifs concrets.

Elle introduit une procédure, ensuite, aux fins d’obtenir d’une part la régularisation de sa rémunération et des avantages rémunératoires ainsi que des frais, ces éléments ayant été selon elle modifiés d’office, ainsi que d’autre part une amende civile de deux semaines vu la non-réponse à la demande de communication des motifs et une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable de dix-sept semaines.

La décision du tribunal

Pour ce qui est de la régularisation salariale, le tribunal conclut assez rapidement que l’intéressée avait en fin de compte marqué accord sur une légère modification intervenue (déplacements professionnels et frais de bureau).

Il consacre de plus importants développements aux autres questions, étant la motivation du licenciement et son caractère manifestement déraisonnable. Pour ce qui est de la communication des motifs, celle-ci est prévue aux articles 4 et suivants de la convention collective, l’article 6 prévoyant cependant la possibilité de motivation dite « spontanée », le texte disposant que l’employeur peut, de sa propre initiative, communiquer par écrit au travailleur les motifs concrets qui ont conduit au licenciement. Dans cette hypothèse, il n’est pas tenu de répondre à la demande ultérieure qui lui est adressée dans le cadre de l’article 4, mais pour autant que la communication qu’il a faite contienne les éléments permettant au travailleur précisément de connaître ces motifs concrets.

Le tribunal constate qu’une telle motivation avait été donnée, vu que, dans la lettre de rupture, l’employeur revenait sur les discussions intervenues et au cours desquelles l’intéressée n’avait pas accepté la réduction de sa rémunération de base. Il était fait état du caractère trop élevé de celle-ci pour la fonction exercée, l’employeur se référant aux capacités financières de l’entreprise.

Le motif a dès lors été donné et, pour le tribunal, peu importe qu’il soit contesté ou soit dénué de justification. Ceci intervient dans l’examen du caractère manifestement déraisonnable du licenciement, mais non sur l’obligation de motivation. L’amende civile n’est dès lors pas due.

Pour ce qui est du fond du motif, il faut renvoyer, pour le type de motif pouvant être invoqué, à l’ancien article 63 de la loi du 3 juillet 1978, le contrôle du motif lui-même ayant un caractère marginal.

Il s’agit pour l’employeur des nécessités de fonctionnement de l’entreprise.

L’obligation d’aligner les rémunérations sur les « pratiques du marché » n’est, pour le tribunal, nullement établie, aucun marché n’étant défini et les critères qu’elle a appliqués n’étant nullement déterminés. Le fait par ailleurs pour la société d’invoquer la nécessité pour les travailleurs de préserver leur emploi ne vaut pas justification du motif, dans la mesure où le lien de causalité n’est pas établi (lien entre la politique de rémunération et une menace sur les emplois), le tribunal rappelant également que les bénéfices réalisés par la société sont substantiels. La décision prise par la société, portant sur la réduction des rémunérations, est un manquement à l’article 1134 du Code civil, s’agissant de la modification d’un élément essentiel du contrat.

Dès lors que l’employée a refusé les nouvelles conditions, le licenciement, lié à ce refus, est manifestement déraisonnable.

La demanderesse avait fixé l’indemnité réclamée au montant de dix-sept semaines et le tribunal constate que celui-ci n’est pas contesté. Il y fait dès lors droit et alloue un montant brut de l’ordre de 23.000 euros.

Intérêt de la décision

Est invoqué, dans cette espèce, par l’employeur, un motif fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise. Le tribunal fait un examen assez rapide du respect des conditions légales, et ce au motif que la société n’établit même pas l’existence des nécessités invoquées.

L’on rappellera très utilement que de simples affirmations, en l’occurrence une étude apparemment unilatérale et très peu concrète et documentée, étude à laquelle l’employeur s’est référé pendant les discussions préalables au licenciement et dans le cadre de la procédure judiciaire, ne valent pas preuve de l’existence des nécessités vantées.

Par contre, le tribunal a reconnu le lien entre le licenciement et un fait précis, étant le refus pour l’intéressée d’accepter une modification unilatérale d’une condition essentielle du contrat de travail, cette modification étant jugée contraire à l’article 1134 du Code civil. Elle est dès lors intervenue en contradiction flagrante avec les droits de l’intéressée, l’employeur ayant décidé de l’appliquer. L’on notera que l’employée avait marqué accord sur une modification d’une partie des conditions de rémunération mais que l’employeur a maintenu, suite à cet accord, le motif – motif qui n’était nullement avéré et qui peut, en fin de compte, être compris comme étant uniquement des pressions exercées sur l’intéressée pour qu’elle concède davantage. Le tribunal a cependant décidé que le licenciement ne pouvait être considéré comme une mesure de représailles.

Une attention sera, enfin, accordée au montant de l’indemnité. Dans la mesure où le quantum n’est pas contesté, le tribunal fait droit au montant demandé.


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