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Modification par l’ONEm de l’interprétation de la règle de calcul du stage des artistes payés au cachet : pas de faute engageant sa responsabilité civile

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 29 mars 2007, R.G. 44.756

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles, 29 mars 2007, R.G. 44.756

TERRA LABORIS ASBL – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt du 29 mars 2007, la 8e chambre de la Cour du travail de Bruxelles examine les conditions de la mise en cause de la responsabilité extracontractuelle de l’ONEm dans l’hypothèse d’une modification de l’interprétation d’une des dispositions réglementaires.

Rétroactes

En ce qui concerne l’admissibilité des artistes payés au cachet (calcul du nombre de jours de travail pouvant être invoqués pour l’accomplissement du stage), l’ONEm avait adopté une interprétation particulière de l’article 10 de l’A.M. du 26 novembre 1991 : pour les artistes payés au cachet et dont l’horaire de travail n’était donc pas déterminable, le nombre de jours servant de base de calcul du stage est fixé sur la base d’une formule ne tenant compte que de la hauteur de la rémunération sans égard au nombre de jours prestés et donc sans limitation à 26 jours par mois (nombre limite en application de la règle « générale »). Il s’agit de la règle dite « du cachet ».

A partir du début de l’année 2001, l’ONEm modifie cette interprétation, invoquant qu’elle crée une discrimination entre artistes payés au cachet et ceux engagés sous contrat de travail. Dorénavant, le nombre de jours se détermine en tenant compte du nombre de jours de la période d’occupation ou de travail rémunérés mais également des périodes de répétition, préparation ou repérage obligatoires et situées en dehors de ces périodes. Le résultat ne peut être supérieur à 26 jours par mois.

Mme G., danseuse, a effectué diverses prestations artistiques, sous contrats à durée déterminée, pour une rémunération journalière.

Elle sollicite le bénéfice des allocations de chômage le 1er octobre 2001, étant alors âgée de 30 ans et devant pouvoir justifier 312 jours de travail pendant la période de référence du 1er avril 2000 au 30 septembre 2001.

L’ONEm retient 303 journées de travail, de sorte qu’une décision de refus du bénéfice des allocations est notifiée à Mme G. par courrier du 14 novembre 2001.

Mme G. introduit un recours à l’encontre de cette décision, demandant aux juridictions du travail de tenir compte de l’ancienne interprétation et, en conséquence, de reconnaître son droit aux allocations de chômage à dater de sa demande. Elle réclame par ailleurs l’indemnisation d’un préjudice, fixé à 2.500 €.

Parallèlement, l’administration centrale de l’ONEm interroge, par courrier du 25 février 2002, la Ministre de l’Emploi et du travail sur la position à suivre, étant soit de maintenir la première interprétation, susceptible de créer une différence de traitement, soit d’appliquer à tous les artistes la même règle (détermination du nombre de jours de travail en divisant le salaire perçu par le montant du salaire de référence). En réponse, l’ONEm se voit enjoindre d’appliquer la première interprétation.

L’ONEm revoit en conséquence les décisions de refus pour l’ensemble des dossiers, de sorte que, par une décision rectificative du 2 mai 2002, Mme G. se voit reconnaître le droit aux allocations à dater du 1er octobre 2001. Les arriérés sont versés, ainsi que les intérêts.

Sur le plan judiciaire, reste donc seule en litige la demande visant l’indemnisation du préjudice moral et matériel allégué par Mme G. Celle-ci complète d’ailleurs cette demande, y ajoutant une demande de 5.000 € au titre de remboursement des frais d’avocats.

La position des parties

Mme G. fait valoir que le comportement de l’ONEm, qui a modifié son interprétation des règles de calcul de l’admissibilité, est fautif. Elle invoque le principe de la légitime confiance et soutient que l’interprétation antérieure (à laquelle l’ONEm a été enjoint de se conformer) était constante et conforme à la ratio legis des dispositions en cause. Elle soutient que la nouvelle interprétation ne reposerait sur aucun fondement légal et que la modification apportée présente un caractère brusque et imprévisible.

L’ONEm rejette toute faute dans son chef, arguant de l’interprétation litigieuse n’était pas conforme aux dispositions réglementaires tandis que lui revient la mission d’appliquer, restrictivement, celles-ci. Il avance par ailleurs que Mme G. n’a acquis aucun droit quant à l’application de la première interprétation et qu’aucune faute ne peut lui être reproché du seul fait d’une modification d’une interprétation. Il fait par ailleurs valoir des arguments quant à la question de répétibilité des honoraires d’avocats, soutenant notamment que le recours à un avocat ne s’impose pas en la matière.

La décision du tribunal

Le Tribunal fait droit à la demande de Mme G. et condamne l’ONEm au paiement de dommages et intérêts (2.500 €, conformément à la demande).

La décision de la Cour

La Cour commence par un rappel des principes, étant que

  1. les principes généraux de bonne administration s’imposent à l’ONEm. Figure parmi ceux-ci le droit à la sécurité juridique, qui impose une règle de conduite à l’institution publique, étant d’honorer les prévisions justifiées qu’ils ont pu faire naître dans le chef des citoyens, qui doivent pouvoir s’y fier ;
  2. ce sont les règles du droit commun de la responsabilité qui s’appliquent à l’administration qui aurait trompé la légitime confiance d’un assuré social.
  3. sa responsabilité sera engagée s’il y a faute ou imprudence, laquelle doit être objectivement appréciée au regard du comportement normalement raisonnable et prudent d’une administration placée dans des circonstances analogues ;
  4. Constituant une autorité administrative, l’ONEm doit veiller au respect des dispositions légales et réglementaires (d’ordre public), assurant à chacun ce à quoi il a droit, ni plus, ni moins.

Pour trancher la question de la faute, la Cour examine en premier lieu si la nouvelle interprétation appliquée (temporairement) par l’ONEm respecte les dispositions applicables (articles 7 et 10, A.M. 26.11.1991), ce qu’elle reconnaît. Elle note que l’interprétation large prônée par le ministre de tutelle a pour conséquence que la rémunération devient le seul critère de détermination des journées de travail à prendre en considération.

La Cour constate également que l’interprétation large aboutit à des différences de traitement, de sorte qu’il n’était pas déraisonnable pour l’administration de s’en inquiéter.

Elle rejette ainsi toute faute du fait de la modification, l’ONEm n’étant pas sorti de ses missions.

La Cour examine ensuite si l’ONEm a adopté un comportement imprudent ou négligent à l’occasion de la modification querellée, étant s’il a méconnu des attentes légitimes créées par lui dans le chef de Mme G. La Cour rejette l’argument, relevant que celle-ci n’avait aucun droit subjectif à l’interprétation demandée, que l’interprétation litigieuse était déjà d’application depuis plusieurs mois au moment de la demande, que l’ONEm n’a, lui-même, jamais donné d’information trompeuse ou créé l’espoir du droit aux allocations. Enfin, une fois l’injonction ministérielle reçue, le nécessaire a été fait sans qu’un comportement fautif puisse être relevé à cette occasion.

La Cour réforme ainsi la décision du Tribunal et déclare la demande originaire non fondée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt confirme que la mise en cause de la responsabilité de l’ONEm peut être recherchée et dégage le raisonnement et les principes sur lesquels doit s’appuyer une demande en réparation du préjudice subi.

Sur la question du calcul du stage des artistes, et vu que le droit aux allocations ne reposait que sur une interprétation très favorable de la réglementation, la Cour ne retient pas de faute (sur ce dernier point, voir également C. trav. Liège, 6 juin 2006, R.G. 7.562/04, Juridat).


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