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Délai de l’action en remboursement d’indu dans le cadre de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprise

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 6 juin 2018, R.G. 2017/AL/215

Mis en ligne le lundi 7 janvier 2019


Cour du travail de Liège, division Liège, 6 juin 2018, R.G. 2017/AL/215

Terra Laboris

Dans un arrêt du 6 juin 2018, la Cour du travail de Liège (division Liège) renvoie, sur la question, pour la période précédant l’entrée en vigueur de la loi du 30 juillet 2013, à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 10 mars 2011, qui a conclu à l’inconstitutionnalité du texte, vu l’absence de délai dans la loi.

Les faits

Le Fonds de Fermeture a introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège) aux fins d’obtenir le remboursement d’un indu. Le travailleur a été occupé en tant qu’ouvrier-chauffeur auprès d’une société et celle-ci a été déclarée en faillite. Le Fonds expose qu’il doit considérer que l’intéressé avait le statut d’ouvrier et non d’employé (le paiement ayant été fait sur la base d’un calcul correspondant au statut d’employé). La société avait été immatriculée d’office, suite à une régularisation imposée par l’O.N.S.S., et, dans le cours des relations professionnelles, l’intéressé avait été engagé comme chauffeur indépendant.

Le Fonds de Fermeture se fonde sur les articles 1235 et 1376 du Code civil relatifs à l’indu.

Moyens des parties devant la cour

Le Fonds considère qu’il n’a été informé de la qualité d’ouvrier qu’après le paiement et qu’il n’a pas commis de faute. Il conteste que puisse lui être appliquée la Charte de l’assuré social, n’étant pas visé par son champ d’application. Il défend, sur la question de la prescription, la position selon laquelle il faut appliquer l’article 2262bis du Code civil (délai de prescription de 10 ans) et non les dispositions spécifiques de la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprise (celles-ci n’étant applicables qu’aux paiements survenus à partir du 11 août 2013).

L’intimé conteste l’existence d’un indu et – à supposer que celui-ci existe – invoque le bénéfice de la Charte de l’assuré social, s’agissant d’une erreur du Fonds de Fermeture. Ayant remboursé partiellement, il considère cependant que ces paiements n’impliquent pas la reconnaissance du bien-fondé de la demande et en demande la restitution.

L’avis du Ministère public

Pour l’avocat général, le délai de prescription est de 6 mois, tenant compte de l’erreur commise par le Fonds de Fermeture. Il s’agit d’une erreur évidente dans la prise en compte du statut d’employé, vu qu’en l’espèce, il y a extension du champ d’application de la loi O.N.S.S. pour le secteur du transport de personnes. Il renvoie à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 10 mars 2011 (C. const., 10 mars 2011, n° 34/2011) et conclut à la prescription, plus de 6 mois s’étant écoulés entre deux rappels recommandés adressés à l’intéressé.

La décision de la cour

Sur le fondement de l’appel, la cour renvoie à la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d’entreprise, telle qu’en vigueur à l’époque des faits, ceux-ci étant antérieurs au 3 février 2011. Elle examine également les dispositions de l’arrêté royal du 23 mars 2007 portant exécution de la loi du 26 juin 2002, et plus particulièrement ses articles 42 à 44 et 48, 1° (dispositions relatives au formulaire F1).

En l’espèce, le F1 donne le montant de la rémunération impayée, et ce conformément à un jugement. Le Fonds de Fermeture doit, en exécution de l’article 35 de la loi du 26 juin 2002, payer vu la carence de l’employeur. En cas de contestation sur le montant dû, celle-ci relève des rapports entre le travailleur et l’employeur et le Fonds n’est pas habilité à trancher. Il paie à titre d’avance l’incontestablement dû ou le minimum légal et sursoit en attendant le règlement de la contestation.

En l’espèce, il n’y a pas de litige entre le travailleur et l’employeur, et les montants dus au titre de rémunération sont fixés par un jugement, qui a autorité de chose jugée. La cour constate que le Fonds modifie le montant brut dû par rapport à celui qui a été fixé par le tribunal.

Cependant, se pose un problème de prescription, la cour relevant que les parties s’opposent sur la question de savoir s’il y a eu ou non erreur. De la réponse à cette question dépendra également la réponse à apporter sur l’application au Fonds de la Charte de l’assuré social (article 17, alinéa 2). La cour relève que la loi du 26 février 2002 ne contenait pas de disposition spécifique en matière de prescription avant l’article 72/1 introduit par la loi du 30 juillet 2013 et concernant les paiements intervenus après son entrée en vigueur, le 11 août 2013. Pour ce qui est de la période antérieure, il peut y avoir discrimination et la cour relève ici que non seulement la Cour constitutionnelle a été interrogée à de nombreuses reprises pour des questions d’indu similaires dans les prestations de sécurité sociale au sens large, mais qu’une question posée à la Cour constitutionnelle en la matière a donné lieu à son arrêt du 10 mars 2011 ci-dessus.

L’arrêt est rendu dans le cadre de la loi du 28 juin 1966 (abrogée par celle du 26 juin 2002). Le raisonnement peut être appliqué par analogie à la loi nouvelle, puisqu’aucune des deux ne contenait de disposition spécifique relative à la prescription. Se posait, dans l’examen auquel la Cour constitutionnelle s’est livrée, la question de la discrimination éventuelle entre travailleurs salariés ou entre assurés sociaux, eu égard à la nature de l’indemnité de fermeture. Si elle pouvait être assimilée à une prestation de sécurité sociale au sens large, il y aurait violation des articles 10 et 11 de la Constitution, vu l’absence de disposition relative au délai de prescription de l’action en répétition d’indu. En l’espèce, il ne s’agit pas d’une indemnité qui pourrait être assimilée à une prestation de sécurité sociale, mais d’une rémunération, qui aurait été versée indûment. Ce cas de figure a également été envisagé par la Cour constitutionnelle dans cet arrêt. Si l’indemnité en question devait être qualifiée de rémunération, il y avait également violation des normes constitutionnelles.

Pour la cour du travail, la solution à donner à la présente espèce découle donc de cet arrêt.

S’agissant de la récupération de rémunération, le délai de prescription est celui de l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978.

La cour du travail rappelle encore que le législateur a inséré une courte prescription dans la loi (article 72/1) et que celle-ci est la même qu’il s’agisse de rémunération ou de prestations de sécurité sociale au sens large. S’il fallait appliquer la règle de l’article 72/1, le délai de prescription de 6 mois, applicable en cas d’erreur du Fonds, était également écoulé. La cour retient en effet l’erreur, vu les éléments du dossier. Elle confirme dès lors le jugement, sur la base d’autres motifs.

Intérêt de la décision

L’enjeu financier du dossier est minime (270 euros environ pour l’objet de la demande originaire et 170 euros pour la demande reconventionnelle introduite en remboursement de paiements déjà effectués).

Les parties ont cependant soutenu la contestation jusque devant la cour du travail, et ce vu l’intérêt de la question juridique relative à la nature de l’indemnité de fermeture, vu l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 10 mars 2011. Elle avait été interrogée par le Tribunal du travail de Mons, vu l’absence de délai de prescription relative à la récupération d’une indemnité de fermeture payée indûment, et ce dans le texte de la loi du 28 juin 1966 relative à l’indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d’entreprise et à l’absence de référence dans son texte à l’article 30 de la loi du 29 juin 1981, qui fixe les délais de prescription (6 mois, 3 ans ou 5 ans) pour l’action en répétition d’indu. Le test de constitutionnalité avait, ainsi, été fait eu égard aux règles de prescription (brèves) prévues pour les actions en récupération de prestations indues dans le cadre de la loi du 29 juin 1981 et également dans les matières de sécurité sociale entendues au sens large. La cour avait conclu à l’inconstitutionnalité, et ce que l’indemnité soit considérée comme une prestation de sécurité sociale au sens large (par assimilation) ou comme un élément de rémunération.

La Cour du travail de Liège rappelle dans son arrêt l’apport de la loi du 30 juillet 2013, selon lequel la répétition des paiements indus effectués dans le cadre de la loi se prescrit par 3 ans à compter de la date à laquelle le paiement a été effectué. Celui-ci est ramené à 6 mois lorsque le paiement résulte uniquement d’une erreur du Fonds, dont le travailleur ne pouvait normalement se rendre compte. Il est porté à 5 ans en cas de fraude, de dol ou de manœuvres frauduleuses.


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