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Caractère discriminatoire des articles 166 et 167 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 : un nouvel arrêt

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 6 juin 2018, R.G. 2017/AL/694 et 2017/AL/695

Mis en ligne le vendredi 21 décembre 2018


Cour du travail de Liège (division Liège), 6 juin 2018, R.G. 2017/AL/694 et 2017/AL/695

Terra Laboris

Dans un arrêt du 6 juin 2018, la Cour du travail de Liège (division Liège) appuie la contestation de la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière : les articles 166 et 167 de l’arrêté royal chômage ont un caractère discriminatoire, en ce qu’ils visent la possibilité de récupération des allocations indûment perçues en cas d’erreur de l’organisme de paiement, s’il n’est pas établi que l’intéressé aurait eu droit aux allocations sans la faute de l’O.P.

Les faits

Une bénéficiaire d’allocations de chômage (temps partiel avec maintien des droits) preste pendant une période d’un an (septembre 2014 – septembre 2015) dans le cadre d’un contrat de travail à temps partiel pour une agence de titres-services. Il s’agit de prestations effectuées à raison de 23 heures par semaine. Elle perçoit un complément d’allocations de chômage pour une partie de ladite période.

L’ONEm rejette une partie des dépenses (la cour précisant que le motif n’est pas clairement précisé).

L’O.P. admet qu’il y a eu une erreur de calcul de sa part, ne s’agissant cependant pas d’une transmission tardive du dossier. Il invoque l’arrêt du 6 juin 2016 de la Cour de cassation ainsi que l’article 167, § 2, de l’arrêté royal organique, qui permet la récupération même en cas d’erreur, si le chômeur n’a pas droit de manière effective aux allocations.

L’intéressée considère pour sa part que la jurisprudence de la Cour de cassation ajoute une condition légale au texte, puisqu’elle refuse la récupération uniquement lorsque le chômeur avait effectivement droit aux allocations. Elle considère que l’arrêté royal du 30 avril 1999, qui a modifié l’article 167 de l’arrêté royal organique, est illégal, au motif de l’absence d’avis du Conseil d’Etat justifiée par une urgence qui n’était pas valablement présente. Elle en demande l’écartement et considère qu’il faut revenir à l’article 17, alinéa 2, de la Charte de l’assuré social. Il y a eu erreur de l’institution de sécurité sociale et les arriérés ne doivent pas être remboursés.

La décision de la cour

La cour rappelle d’abord l’avis du Ministère public, qui conclut également à l’écartement de la jurisprudence de la Cour de cassation, se fondant sur la doctrine de M. SIMON (M. SIMON « Erreur de l’organisme de paiement des allocations de chômage : récupération de l’indu et responsabilité », J.T.T., 2017/13, n° 1277, pp. 197-202).

Elle examine ensuite le fondement de l’appel, reprenant dans un premier temps les articles 164, 166 et 167 de l’arrêté organique ainsi que 17 et 18bis de la Charte de l’assuré social.

Vient ensuite le rappel de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui a rendu plusieurs arrêts.

Le premier date du 9 juin 2008 (Cass., 9 juin 2008, n° S.07.0113.F). Elle y a précisé que le rejet d’une dépense est, au sens de l’article 167, § 1er, alinéa 1er, 4°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, exclusivement dû à une faute ou à une négligence imputable à l’organisme de paiement lorsque le droit du travailleur aux allocations auxquelles correspond cette dépense existe indépendamment de la faute ou de la négligence.

Dans un arrêt ultérieur du 27 septembre 2010 (Cass., 27 septembre 2010, n° S.09.0055.F), elle a confirmé cette position.

Une question préjudicielle avait été posée, entre-temps, par la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, sect. Namur, 5 mars 2009, R.G. 7.911/2005), et celle-ci y a répondu dans un arrêt du 2 juin 2010 (C. const., 2 juin 2010, n° 67/2010). Il s’agissait de statuer sur la compatibilité de l’article 18bis de la Charte avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que cette disposition ferait une différence de traitement entre d’une part les assurés sociaux qui ont droit à des prestations sociales en application de la réglementation du chômage et, d’autre part, tous les autres assurés sociaux, à l’exception de ceux qui ont droit à des prestations sociales en application de la réglementation assurance obligatoire AMI. Elle a conclu qu’il n’y a pas de différence de traitement entre ces deux catégories d’assurés sociaux. Pour la Cour constitutionnelle, la disposition en cause autorise le Roi à régler tant la situation des personnes relevant de la première catégorie que celle relevant de la seconde.

Des commentaires sont intervenus dans la doctrine et la jurisprudence a continué à s’interroger.

Dans un arrêt du 7 juin 2011, la Cour de travail de Liège a posé la question de la discrimination en exposant que les organismes de paiement sont exempts de toute prise en charge des conséquences de leurs errements grâce au fait qu’un organisme de contrôle vérifie les dépenses, et ce même lorsque l’indu est une conséquence de leur faute exclusive (C. trav. Liège, sect. Namur, 7 juin 2011, R.G. 2010/AN/193). La cour du travail a conclu dans son arrêt rendu sur réouverture des débats en date du 6 décembre 2011 qu’il y avait une discrimination et que celle-ci est double, puisqu’elle concerne la situation des chômeurs selon que la décision émane de l’ONEm ou d’un O.P., mais également celle des assurés sociaux selon qu’ils sont chômeurs ou bénéficiaires d’autres prestations sociales. Pour la cour du travail, la différence de traitement n’est pas objectivement justifiée. Elle a dès lors appliqué l’article 17 de la Charte et écarté l’article 166 de l’arrêté royal ainsi que l’article 167, § 2, en ce qu’il autorise la récupération à charge du chômeur d’un indu exclusivement lié à une erreur de l’organisme de paiement en dehors de l’hypothèse dans laquelle le chômeur aurait eu droit à la prestation sans cette erreur.

Un pourvoi a été formé contre cet arrêt et a donné lieu au dernier arrêt de la Cour de cassation, du 6 juin 2016 (Cass., 6 juin 2016, n° S.12.0028.F). Pour la Cour suprême, dans la mesure où seul l’ONEm est débiteur des allocations de chômage, à l’exclusion de l’O.P., et que c’est lui qui statue sur le droit à ces allocations, la situation du chômeur pour qui est prise une décision de révision d’une décision précédente entachée d’une erreur juridique ou matérielle commise par le B.R. diffère de celle du chômeur, qui fait l’objet d’une mesure de récupération d’allocations payées indûment, et ce à la suite du contrôle des dépenses de son organisme de paiement. Il n’y a pas davantage de comparabilité dans la situation de l’assuré social à l’égard de qui l’institution de sécurité sociale débitrice des prestations revoit une décision entachée d’erreur de droit ou matérielle en vertu de laquelle les prestations sociales lui ont été octroyées indûment. L’arrêt est dès lors cassé.

Ceci n’a pas mis un terme à la discussion, puisque, dans un arrêt du 8 juin 2017 (C. trav. Bruxelles, 8 juin 2017, R.G. 2015/AB/1.156), la Cour du travail de Bruxelles s’est écartée de cette jurisprudence et a conclu à une discrimination, comme l’avait fait la Cour du travail de Liège. La Cour du travail de Gand a fait de même dans un arrêt du 9 avril 2018 (C. trav. Gand, 9 avril 2018, R.G. 2017/AG/58) et le Tribunal du travail francophone de Bruxelles de même (Trib. trav. fr. Bruxelles, 23 février 2018, R.G. 17/2.848/A). La cour reprend, encore, un arrêt de la Cour du travail de Liège, qui a appliqué l’enseignement de la Cour de cassation mais s’est placée sur le terrain de la responsabilité civile en cas de faute de l’O.P. (C. trav. Liège, 11 septembre 2017, R.G. 2016/AL/652).

En l’espèce, la cour conclut à l’interdiction de la récupération des sommes payées indûment à l’intéressée par son O.P., et ce même si aucun droit aux allocations n’existe. Elle développe longuement son argumentation, renvoyant à un arrêt de la Cour constitutionnelle du 21 décembre 2005 (C. const., 21 décembre 2005, n° 196/2005) rendu dans le cas d’une mutualité, où la Cour devait trancher la question du traitement égalitaire des assurés sociaux, qu’ils soient en lien avec une institution privée coopérant à la sécurité sociale ou avec une institution publique de sécurité sociale. L’arrêt poursuit que la différenciation faite par la Cour de cassation, qui ne semble pas envisager le rôle de l’O.P. autrement que comme un acte d’exécution de la décision d’octroi de l’ONEm, est artificielle pour l’assuré social, qui n’a pas choisi et ne peut choisir de recourir à un autre mécanisme.

Ensuite, la cour constate l’illégalité de l’arrêté royal du 30 avril 1999, vu l’absence de consultation du Conseil d’Etat. Elle revient ici sur les conditions classiques de la motivation spéciale de l’urgence. Elle considère qu’elle n’est pas établie et que le délai ordinaire aurait dû être respecté. La sanction est de revenir à la version antérieure de la disposition de l’arrêté royal (article 166), qui ne faisait pas usage de la dérogation permise par l’article 18bis de la Charte de l’assuré social.

Intérêt de la décision

Cet arrêt, particulièrement charpenté, est une confirmation de la contestation de la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière. L’on notera que la jurisprudence des cours du travail de Bruxelles, de Gand et de Liège, ainsi que celle de certains tribunaux du travail, concordent pour retenir l’existence d’une discrimination entre assurés sociaux. L’intérêt particulier de l’arrêt de la Cour du travail de Liège du 6 juin 2018 est d’avoir souligné que le mécanisme mis en place, étant la distribution des rôles de l’O.P. et de l’ONEm, aboutit à une distinction artificielle entre les situations qui peuvent être rencontrées et que la jurisprudence de la Cour de cassation, qui ne retient du rôle de l’O.P. que celui d’un « bras » de l’ONEm, est un système que les assurés sociaux n’ont pas choisi et qu’ils ne peuvent modifier. Il semble dès lors illogique d’aboutir à une situation juridique différente selon que l’erreur en cause a été commise par l’ONEm ou par l’O.P.


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