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Peut-on conventionnellement attribuer à un délégué syndical la protection de la loi du 19 mars 1991 ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 mars 2018 et 31 juillet 2018, R.G. 2015/AB/1.021

Mis en ligne le vendredi 21 décembre 2018


Cour du travail de Bruxelles, 7 mars 2018 et 31 juillet 2018, R.G. 2015/AB/1.021

Terra Laboris

Par arrêt du 7 mars (arrêt suivi d’un autre du 31 juillet 2018), la Cour du travail de Bruxelles rappelle la règle en cas d’extension par convention collective de secteur des règles de la loi du 19 mars 1991 concernant la protection des représentants du personnel à un membre de la délégation syndicale (hors application de l’article 52 de la loi du 4 août 1996) : une telle disposition est nulle.

Les faits

Une employée administrative, prestant pour une société de construction, est licenciée en 2012, soit après 5 années de prestations comme intérimaire d’abord, dans le cadre d’un contrat à durée déterminée ensuite et enfin d’un contrat à durée indéterminée.

Environ 6 mois auparavant, le secrétaire permanent d’une centrale syndicale signale à l’employeur que, suite à la maladie d’un membre de la délégation, l’intéressée le remplacera pendant son absence. Ce remplacement se fait dans les conditions de la convention collective de travail sectorielle du 28 novembre 2011 (article 8).

L’intéressée remplace dès lors le délégué pendant 3 mois. Ce remplacement cesse au retour de celui-ci à ce moment. Elle demande, ensuite, à bénéficier d’une réduction de prestations de 4/5e (congé parental). Cette demande étant faite en juin 2012, l’employeur y répond favorablement le 5 juillet 2012, pour la période du 1er octobre 2012 au 31 mai 2014.

Le 16 octobre 2012, l’intéressée est informée verbalement de son licenciement sur le champ moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. L’employée considère être protégée contre le licenciement et sollicite sa réintégration, sur la base de sa qualité de déléguée syndicale. Celle-ci est déniée par la société, qui précise que seuls furent désignés comme délégués syndicaux effectifs pour cette organisation trois (autres) employés.

Pour la centrale syndicale, l’intéressée bénéficiait du statut, même après le retour du délégué effectif. Elle renvoie à la réglementation sectorielle, qui prévoit une extension de la protection de l’article 8 de la loi du 19 mars 1991. L’intéressée considère, dès lors, avoir droit aux indemnités de protection prévues par ce texte.

Le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, saisi du litige, la déboute. Celle-ci réclamait, dans son acte introductif, paiement à titre principal de l’indemnité de protection au titre de déléguée syndicale et, à titre subsidiaire, une indemnité de protection en raison de l’exercice d’un congé parental.

La décision de la cour du 7 mars 2018

La cour examine le droit de l’employée sur pied de la convention collective de travail du 23 novembre 2011, ainsi que – demande formée à titre subsidiaire sur ce poste – sur la base de l’article 52 de la loi du 4 août 1996, ou encore sur la base de la loi du 10 mai 2007 anti-discrimination. La cour constate que, pour l’intéressée, elle avait la qualité de délégué-remplaçant et que cette protection ne dépend pas de l’exercice de la fonction du délégué effectif. Par ailleurs, selon elle, la clause de la convention collective de travail sectorielle est légale, en ce sens qu’elle ne modifie pas le champ d’application de la loi du 19 mars 1991, mais fixe un régime de protection des délégués syndicaux spécifique, étant l’application par analogie des dispositions de cette loi.

La cour, qui relève qu’en vertu des dispositions de la CCT, la protection contre le licenciement destinée aux délégués effectifs vaut également pour les remplaçants, constate qu’au moment du licenciement, l’intéressée n’effectuait plus aucun remplacement. Cependant, les termes de la convention collective ne limitent pas la qualité de délégué-remplaçant au seul cas de remplacement effectif. Elle avait donc bien cette qualité de délégué-remplaçant et elle doit pouvoir bénéficier de la protection prévue à l’article 10.

Elle s’interroge, cependant, sur la légalité de celui-ci, qui renvoie à l’ensemble des dispositions de la loi du 19 mars 1991, en ce compris la procédure et les conditions d’octroi. Or, la loi du 19 mars 1991 est d’ordre public et la clause de la convention collective sectorielle, qui étend cette protection à d’autres cas que ceux légalement prévus, est nulle.

L’intéressée n’a dès lors pas droit à l’indemnité de protection sur la base de l’article 10.

Celle-ci se fondant également sur l’article 52, alinéa 2, de la loi du 4 août 1996 (qui vise l’hypothèse du délégué syndical chargé d’exercer les missions des comités lorsqu’un tel comité n’est pas institué dans l’entreprise), la cour ne fait pas droit à cette argumentation, considérant qu’elle échoue à établir qu’elle faisait partie de la délégation syndicale et la cour relève ici qu’aucune disposition de la convention collective ne prévoit que le remplaçant appartient à la délégation syndicale. Elle ne rentre dès lors pas dans le champ d’application de l’article 52.

Sur le troisième fondement, étant la possible discrimination vu sa conviction syndicale, la cour réserve à statuer, et ce aux fins d’obtenir l’avis du Ministère public en application de l’article 766 du Code judiciaire.

La décision de la cour du 31 juillet 2018

La cour reprend l’examen du dossier, le Substitut général ayant remis son avis écrit (concluant au non-fondement des demandes subsistant en appel).

Elle examine, dans un premier temps, si l’intéressée a pu faire l’objet d’une discrimination prohibée, reprenant le dispositif de protection de la loi du 10 mai 2007, ainsi que les règles relatives à la charge de la preuve, dont l’enseignement de la Cour constitutionnelle dans son arrêt 17/2009 du 12 février 2009, selon lequel les faits avancés par la partie qui s’estime victime d’une discrimination doivent être suffisamment graves et pertinents.

En l’espèce, l’intéressée n’établit pas de tels faits qui permettraient de présumer qu’elle a été licenciée en vertu de ses convictions syndicales. Le simple fait du remplacement du délégué malade, pendant quelques mois, ne suffit pas à présumer que la conviction syndicale aurait pu être la cause du licenciement.

La cour conclut qu’elle ne voit pas de lien entre le congé et la conviction syndicale. Elle signale qu’elle en verrait plutôt un vu la demande de congé parental, demande qu’elle examine dans la foulée.

L’intéressée réclame ici une indemnité de protection sur la base de l’article 101 de la loi de redressement contenant des dispositions sociales du 22 janvier 1985 auquel renvoie l’arrêté royal du 29 octobre 1997 relatif à l’introduction d’un droit au congé parental. Pour la cour, la charge de la preuve d’un motif suffisant permettant à l’employeur de licencier incombe à ce dernier, s’il veut éviter la débition de l’indemnité. La société faisant valoir des problèmes relationnels et d’attitude de la part de la travailleuse, la cour reprend l’historique des relations professionnelles, constatant d’une part que l’intéressée a fait l’objet d’une augmentation salariale quelques mois avant les faits et qu’elle n’avait précédemment pas fait l’objet d’avertissement. Les témoignages écrits datent au plus tôt d’un an et demi après le licenciement et ils sont peu précis. La cour relève encore des contradictions et ambiguïtés dans les déclarations faites. Les problèmes relationnels et d’attitude ne sont pas avérés, non plus que le lien de causalité des motifs invoqués avec le licenciement. Elle alloue, en conséquence, l’indemnité de 6 mois.

Intérêt de la décision

Dans le secteur, la convention collective de travail du 23 novembre 2011 sur la délégation syndicale employés prévoit expressément la possibilité de désigner un remplaçant lorsqu’un des délégués est légalement plus d’un mois absent au travail. La protection prévue pour les délégués effectifs vaut également pour ceux-ci. La protection en cause, figurant à l’article 10, est assurée « conformément aux dispositions de la loi du 19 mars 1991 portant un régime de licenciement particulier pour les délégués du personnel aux conseils d’entreprise et aux comités de prévention et de protection au travail ».

La cour du travail rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 30 avril 1969, Pas., 1969, I, p. 779), à laquelle renvoie un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 28 juin 2006, Chron. Dr. Soc., 2008, p. 3) : la protection assurée par cette loi est d’ordre public et les droits et obligations qu’elle consacre appartiennent aux seuls travailleurs et employeurs qu’elle désigne, en manière telle que la clause litigieuse d’une convention qui, comme en l’espèce, étend la protection de la loi à d’autres cas que ceux légalement prévus est nulle.

Ce type de clause est dès lors à éviter, vu l’inévitable sanction judiciaire de nullité. L’on peut cependant considérer que, si le renvoi à la loi du 19 mars 1991 n’est pas fait mais que le montant des indemnités de protection est calqué sur le mode établi dans la loi du 19 mars 1991, cette disposition ne pourrait être rejetée, puisqu’aucun renvoi n’est fait à la loi.


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