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Conditions qu’une prestation sociale doit remplir pour entrer dans le champ d’application des règlements de coordination

Commentaire de C.J.U.E., 25 juillet 2018, Aff. n° C-679/16 (A, en présence de ESPOON KAUPUNGIN SOSIAALI- JA TERVEYSLAUTAKUNNAN YKSILÖASIOIDEN JAOSTO)

Mis en ligne le mardi 11 décembre 2018


Cour de Justice de l’Union européenne, 25 juillet 2018, Aff. n° C-679/16 (A, en présence de ESPOON KAUPUNGIN SOSIAALI- JA TERVEYSLAUTAKUNNAN YKSILÖASIOIDEN JAOSTO)

Terra Laboris

Par arrêt du 25 juillet 2018, la Cour de Justice de l’Union européenne rappelle la distinction classique dans le droit européen entre les prestations relevant du champ d’application des règlements de coordination et celles qui en sont exclues. Il s’agit de deux conditions cumulatives, étant que, pour entrer dans ce champ d’application, la prestation doit être octroyée en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels sur la base d’une situation légalement définie et, par ailleurs, doit se rapporter à l’un des risques énumérés expressément au Règlement lui-même.

Les faits

Un citoyen finlandais, né en 1992, présentant un handicap, a bénéficié d’une aide de son administration communale, étant la disposition d’un auxiliaire individuel, afin de suivre ses études secondaires.

En 2013, il est en cours de déménagement vers l’Estonie et renouvelle sa demande, dans le cadre de la loi sur les services aux personnes handicapées. Il s’agit d’une aide d’environ 5 heures par semaine, et ce pour les activités quotidiennes (besoins du ménage, etc.). A l’époque, l’intéressé envisage d’entamer un cycle de 3 ans d’études de droit à temps complet. Le projet de l’intéressé est de séjourner la moitié de la semaine en Estonie et de rentrer dans sa commune d’origine chaque fin de semaine.

L’aide demandée est ainsi relative à des prestations à fournir en dehors de la Finlande.

Cette aide est rejetée, au motif que le séjour en dehors de la Finlande n’a pas un caractère occasionnel, même si la commune de résidence reste inchangée, mais qu’il se rapproche de la notion de « séjour habituel ».

Un recours judiciaire devant le Tribunal administratif d’Helsinki échoue et la Cour administrative suprême, saisie d’un pourvoi contre ce jugement, décide d’interroger la Cour de Justice.

La Cour suprême relève que la situation visée ne peut ouvrir le droit à l’aide sollicitée, ni à partir du libellé de la loi ni de ses travaux préparatoires. C’est la raison pour laquelle elle se tourne vers le droit européen, demandant dans un premier temps si, eu égard à ces caractéristiques, l’aide à la personne telle que prévue par la loi nationale doit être qualifiée de « prestation de maladie » et donc entrer dans le champ d’application matériel du Règlement n° 883/2004 ou s’il s’agit d’une prestation afférente à l’assistance sociale (et ainsi exclue de son champ d’application). La Cour suprême demande également si les dispositions du Traité FUE relatives à la citoyenneté de l’Union s’opposent au refus du versement de l’aide à la personne dans la situation visée.

La décision de la Cour

La Cour répond en premier lieu à la question relative à la distinction entre les prestations relevant du champ d’application du Règlement n° 883/2004 et celles qui en sont exclues. Reprenant sa jurisprudence constante, elle énonce que cette distinction repose essentiellement sur les éléments constitutifs de chaque prestation, notamment les finalités et conditions d’octroi de celle-ci, et non sur le fait qu’elle a ou non été qualifiée de prestation de sécurité sociale par la législation nationale.

La prestation de sécurité sociale est caractérisée par le fait qu’elle est octroyée en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels aux bénéficiaires sur la base d’une situation légalement définie et, par ailleurs, qu’elle se rapporte à un des risques énumérés à l’article 3 du Règlement. A défaut, il y a exclusion.

La Cour renvoie à son arrêt Commission contre Slovaquie (C.J.U.E., Aff. n° C-433/13, 16 septembre 2015, COMMISSION c/ SLOVAQUIE), où était en cause la marge d’appréciation dont dispose l’Etat lors de l’octroi de la prestation en cause.

Pour les personnes handicapées, la marge d’appréciation concerne non l’ouverture du droit à celles-ci mais les modalités selon lesquelles cette aide est allouée ainsi que son volume. Selon la loi finlandaise, l’aide à la personne doit être fournie par la commune lorsque le demandeur est une personne gravement handicapée, qui réside sur le territoire, et ce indépendamment de ses revenus.

La Cour considère dès lors que la jurisprudence dégagée dans l’arrêt Commission contre Slovaquie n’est pas transposable. Il y a, pour la Cour, accomplissement en l’espèce de la première condition, étant le droit à la prestation en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels.

En ce qui concerne la seconde condition, la Cour examine si cette prestation se rapporte à un des risques énumérés à l’article 3, § 1er, du Règlement. Elle rappelle que, dans plusieurs arrêts, elle a considéré que des prestations portant sur le risque de dépendance, tout en présentant des caractéristiques qui leur sont propres, doivent être assimilées à des prestations de maladie. Ceci suppose cependant que la prestation tende à améliorer l’état de santé et la vie des personnes dépendantes. Or, en l’espèce, l’aide à la personne ne peut être considérée comme visant à améliorer l’état de santé du bénéficiaire. Il s’agit, en effet, de créer des conditions permettant aux personnes handicapées de vivre et d’être actives en tant que membres de la société et de remédier aux inconvénients et obstacles causés par le handicap. La prestation en cause ne relève, pour la Cour, pas de la notion de prestations de maladie. Elle est dès lors exclue du champ d’application du Règlement.

La juridiction de renvoi a cependant également demandé si les articles 20 et 21 TFUE s’opposent à ce qu’un résident d’un Etat membre gravement handicapé se voie refuser, par sa commune de résidence, une prestation telle que l’aide à la personne au motif qu’il séjourne dans un autre Etat membre pour y poursuivre des études supérieures. La Cour réaffirme qu’en tant que ressortissant finlandais, l’intéressé a le statut de citoyen de l’Union au sens de l’article 20, § 1er, TFUE, et qu’il peut dès lors se prévaloir, et ce y compris à l’égard de son Etat membre d’origine, des droits afférents à ce statut. Si le droit de l’Union n’impose pas d’obligations aux Etats membres en ce qui concerne la mise en place de financement des études supérieures dans un autre Etat, dès lors que l’Etat membre prévoit un tel système, qui permet aux étudiants de bénéficier des aides en cause, il doit veiller à ce que les modalités d’allocation de ce financement ne créent pas une restriction injustifiée au droit de libre circulation et de séjour. Si le citoyen était en effet confronté au risque de ne pas percevoir cette aide dès lors qu’il exerce son droit de circuler et de séjourner librement, il pourrait être dissuadé de le faire et il y aurait une restriction aux libertés reconnues par l’article 21.

La Cour souligne encore que cette considération est particulièrement importante dans le domaine de l’éducation. Elle conclut que le refus exprimé par les autorités nationales est une restriction à la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des Etats membres, liberté reconnue par l’article 21, § 1er, TFUE, et que celle-ci n’est pas justifiée : il y a contrariété avec les articles 20 et 21 TFUE dès lors que la réglementation nationale refuse à un résident de l’Etat membre gravement handicapé de se voir allouer par sa commune de résidence une prestation telle que l’aide à la personne en cause, au motif qu’il séjourne dans un autre Etat membre pour y poursuivre des études supérieures.

Intérêt de la décision

Ce nouvel arrêt de la Cour de Justice est le strict prolongement de la jurisprudence constante de la haute juridiction, certains arrêts ayant été précédemment commentés. Ainsi, les arrêts Martens (C.J.U.E., 26 février 2015, Aff. n° C-359/13, MARTENS) et Commission contre Slovaquie (C.J.U.E., Aff. n° C-433/13, 16 septembre 2015, COMMISSION c/ SLOVAQUIE), notamment.

Rappelons qu’elle avait jugé dans l’arrêt Martens que, en subordonnant le maintien de l’octroi d’un financement des études supérieures effectuées en dehors de cet Etat à la condition que l’étudiant demandant à bénéficier d’un tel financement ait résidé dans ledit État membre pendant une période d’au moins trois années sur les six années précédant son inscription auxdites études, la réglementation en cause (en l’occurrence néerlandaise) risque de pénaliser un demandeur du seul fait qu’il a exercé la liberté de circuler et de séjourner dans un autre Etat membre, et ce vu les effets que l’exercice de cette liberté est susceptible d’avoir sur la possibilité de recevoir un financement. Une telle mesure ne peut être justifiée au regard du droit de l’Union que si elle est fondée sur des considérations objectives d’intérêt général, indépendantes de la nationalité des personnes concernées, et si elle est proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi par le droit national. Une mesure est proportionnée lorsque, tout en étant apte à la réalisation de l’objectif poursuivi, elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.


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