Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Tournai), 30 mars 2018, R.G. 15/1.684/A
Mis en ligne le vendredi 30 novembre 2018
Tribunal du travail du Hainaut (div. Tournai), 30 mars 2018, R.G. 15/1.684/A
Terra Laboris
Dans un jugement du 30 mars 2018, le Tribunal du travail du Hainaut (division Tournai) rappelle que le rapport d’un détective privé constitue une présomption de fait parmi d’autres, dont la valeur probante est fort dépendante des circonstances, les constats n’étant pas assortis de la force probante authentique.
Les faits
Une victime d’un accident du travail marque accord sur la proposition d’indemnisation de l’assureur-loi. Celle-ci est cependant refusée par FEDRIS, qui considère que le taux d’I.P.P. est sous-évalué. Pour FEDRIS, il n’a pas été tenu compte d’un phénomène dépressif majeur.
L’assureur introduit dès lors une procédure, demandant au tribunal d’entériner son offre et de la déclarer satisfactoire. A titre subsidiaire, il sollicite la désignation d’un expert et cette mesure d’instruction est ordonnée par le tribunal.
FEDRIS fait intervention volontaire dans la procédure pour faire part au tribunal de sa position.
Dans le cours d’expertise, un incident survient, étant que la victime conteste la validité juridique de CD-Roms enregistrés par un détective privé, que l’entreprise d’assurances entend produire.
Il fait notamment valoir une atteinte possible à sa vie privée, ainsi que son incompréhension face à la position de l’assureur, qui avait admis un taux de 20% et qui semble, ainsi, le contester.
Par ailleurs, il considère que la fixation des séquelles ne peut se faire à partir des constatations faites par le détective privé, mais que ceci est le rôle de l’expert judiciaire médical.
FEDRIS est également d’avis qu’il y a lieu que l’expertise se poursuive sans avoir égard aux CD-Roms que l’assurance entend utiliser, s’interrogeant plus particulièrement sur la pertinence du recours aux détectives privés en l’espèce. Il fait essentiellement valoir que la mission de l’expert ne porte pas sur l’objet de ces constatations et il pose également la question de la légitimité, eu égard au procès équitable. Pour FEDRIS, seul l’expert judiciaire peut faire des constatations médicales, et ce sans recours à une surveillance extérieure.
L’assureur considère cependant avoir respecté à la fois la loi du 19 juillet 1991 organisant la profession de détective privé ainsi que celle du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l’égard des traitements de données à caractère personnel.
La décision du tribunal
Le tribunal examine les deux textes, ainsi que la doctrine et la jurisprudence sur la question.
Pour ce qui est du détective privé, il rappelle la doctrine de D. MOUGENOT (D. MOUGENOT, « Humphrey Bogart au XXIe siècle : la preuve par production d’un rapport de détective privé », note sous C. trav. Liège, 15 décembre 2008, RRD, 2008/1, p. 252), qui a souligné que l’on peut douter que le simple fait de montrer comment une personne se déplace en rue est une donnée relative à la santé. Pour ce qui est de l’utilisation des données personnelles, la même doctrine a rappelé la distinction à opérer entre la collecte directe de l’information et la collecte indirecte, cette dernière étant le fait de recueillir celle-ci par l’observation à distance, l’intéressé n’intervenant pas activement dans le processus et ne transmettant aucune information à proprement parler, dans la mesure où il n’y a aucun contact ni relation entre le détective et la personne observée.
Pour ce qui est de la preuve illicitement recueillie, les principes sont également rappelés, étant que le juge peut apprécier l’admissibilité d’une preuve illicitement recueillie pour autant que certaines conditions soient respectées, étant que (i) la collecte de la preuve ne s’est pas faite en violation d’un règle prescrite à peine de nullité, (ii) le vice n’entache pas la preuve et (iii) le droit au procès équitable ne soit pas compromis.
En l’espèce, le tribunal va examiner successivement des rapports d’enquêtes effectuées lors de trois journées ainsi que les images des séquences enregistrées sur un DVD.
La mission du détective a été d’enquêter sur l’emploi du temps et sur d’éventuelles activités professionnelles de l’intéressé. Pour le tribunal, dans la mesure où l’intention de l’assureur était uniquement de visualiser l’emploi du temps, cette mission est licite. Les observations faites ne contiennent d’ailleurs aucun élément relatif à la santé du travailleur. Les obligations en matière d’information ont également été respectées, ainsi que le relève le tribunal.
Par contre, celui-ci écarte certaines images, correspondant à une autre journée, images enregistrées du DVD. Il s’agit d’observations ultérieures (près de deux ans après la mission initiale), alors que le rapport définitif avait été rentré. Ce complément de « mission » n’est pas conforme à l’article 8 de la loi du 19 juillet 1991. Par conséquent, le tribunal écarte les images enregistrées ce jour, l’expert ne pouvant en tenir compte.
Intérêt de la décision
La question du recours à un détective privé en la matière se pose régulièrement.
En l’espèce, le tribunal a retenu que la mission confiée (mission dont il vérifie le respect) porte sur l’existence éventuelle d’activités professionnelles et sur l’emploi du temps de l’intéressé et qu’il n’y est nullement question d’éléments permettant de vérifier l’état de santé.
La distinction est déterminante, vu l’interdiction de recueillir des informations sur la santé des personnes surveillées.
D. MOUGENOT (cité dans le jugement) a précisé à cet égard qu’il est certainement interdit au détective d’avoir accès au dossier médical d’un patient ou à des données contenues dans un fichier qui ont rapport avec sa santé (achat de médicaments,…).
Cette interdiction dépasse le cadre strict des informations données par le patient à son médecin ou découlant d’examens médicaux. Pour l’auteur, le simple fait de montrer comment une personne se déplace en rue n’est pas une donnée relative à la santé, ces faits n’étant pas couverts par le secret médical, vu qu’ils sont perceptibles par n’importe qui. Ce n’est, selon l’auteur, que par déduction que l’on peut établir un rapport avec l’état de santé de l’intéressé.
L’on notera, en rappelant la position de FEDRIS, qu’il s’agit, dans le cadre de la réparation des séquelles d’un accident du travail, de déterminer celles-ci sur le plan socio-économique et que cette appréciation est le travail de l’expert.
L’on peut cependant se poser la question de l’intérêt des vidéos en cause, si le but de l’exercice était uniquement de vérifier l’emploi du temps et l’exercice ou non d’une activité quelconque pendant l’incapacité de travail. Ceci est effectivement en dehors de la mission de l’expert.