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Manquement d’une institution de sécurité sociale au principe de prudence et au devoir de minutie : application de l’article 17, alinéa 2, de la Charte de l’assuré social

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 mars 2018, R.G. 2015/AB/1.186

Mis en ligne le vendredi 30 novembre 2018


Cour du travail de Bruxelles, 14 mars 2018, R.G. 2015/AB/1.186

Terra Laboris

Par arrêt du 14 mars 2018, la Cour du travail de Bruxelles renvoie à l’article 17, alinéa 2, de la Charte, qu’il y a lieu d’appliquer, en cas d’erreur d’une institution de sécurité sociale, étant une instruction insuffisamment prudente et diligente d’un dossier de demande d’allocations d’interruption dans le cadre d’un crédit-temps.

Les faits

Un travailleur salarié bénéficie d’un crédit-temps (sans motif) pour une année de suspension complète des prestations de travail. Il s’agit de la période entre le 1er novembre 2013 et le 31 octobre 2014. Pendant celle-ci, il annonce son l’intention de poursuivre une activité complémentaire, qu’il exerçait depuis fin 2012.

L’ONEm constate que la condition d’exercice de cette activité pendant les douze mois précédant le début du crédit-temps n’est pas remplie. L’intéressé demande alors le bénéfice du crédit-temps, mais sans les allocations pendant les deux premiers mois (ce qui conduit à un délai d’un an depuis le début de l’exercice de l’activité d’indépendant), et les allocations ensuite.

Ce faisant, l’intéressé interprète mal la réglementation, étant que la condition des douze mois doit être remplie au départ. L’ONEm accepte cependant sa demande et confirme l’octroi d’une allocation de l’ordre de 575 euros à partir du troisième mois.

A la fin de la période, il est convoqué dans le cadre d’une révision du dossier. Une décision est alors prise aux fins de récupérer, vu l’absence d’exercice pendant la période requise.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail, qui déboute le travailleur. Appel est interjeté.

La cour rend deux arrêts aux fins de régler le litige.

L’arrêt du 8 juin 2017

Dans ce premier arrêt, la cour examine la réglementation elle-même, étant l’arrêté royal du 12 décembre 2001, qui impose, en cas d’exercice d’une activité indépendante à titre complémentaire, l’exercice de celle-ci pendant une période de douze mois, les allocations elles-mêmes ne pouvant être accordées que pendant une période de douze mois également.

La condition d’exercice n’étant pas remplie, la cour constate également que, dans le dossier, l’intéressé a, lors de son audition, expliqué qu’il avait modulé sa demande en fonction des informations lui données par l’ONEm.

Dans sa décision, la cour du travail constate d’une part que le droit aux allocations n’existait pas et, d’autre part, que les parties devaient s’expliquer quant à une erreur éventuelle commise par l’ONEm.

La position du Ministère public

Pour l’Avocat général, dans la mesure où l’ONEm savait que l’intéressé était indépendant, il devait examiner le dossier sous un angle proactif, obligation résidant dans l’article 17 de la Charte de l’assuré social. Il y a dès lors eu erreur de l’institution et la révision intervenue ne peut avoir d’effet rétroactif.

L’arrêt du 14 mars 2018

La cour, dans cet arrêt, reprend les principes en la matière, et notamment le principe de bonne administration auquel est soumis l’ONEm, comme toute autorité administrative. Il s’agit d’un principe de prudence, qui inclut le devoir de minutie.

Selon la doctrine (J. JAUMOTTE, « Les principes généraux du droit administratif à travers la jurisprudence administrative », Le Conseil d’Etat de Belgique 50 ans après sa création (1946/1996), Bruxelles, Coll. Fac. Dr. ULB, 1999, p. 687), l’autorité doit procéder à une recherche minutieuse des faits. Elle doit récolter les renseignements nécessaires à la prise de décision et est tenue de prendre en considération tous les éléments du dossier afin que la décision prise le soit en connaissance de cause et tous les éléments utiles à la résolution du cas d’espèce appréciés raisonnablement.

La cour rappelle que la Charte de l’assuré social est venue codifier certains principes de bonne administration en matière de sécurité sociale, mais que celle-ci n’épuise pas la question des devoirs qui s’imposent aux institutions de sécurité sociale.

L’article 3 de la Charte est une application du devoir de minutie, étant que les institutions doivent communiquer d’initiative à l’assuré social tout complément d’information nécessaire à l’examen de sa demande ou au maintien de ses droits et l’arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 2009 (Cass., 23 novembre 2009, n° S.07.0115.F) est rappelé : cette obligation n’est pas subordonnée à la condition que l’assuré social ait préalablement demandé par écrit une information concernant ses droits et obligations.

Dès lors qu’existait dans le dossier un élément « douteux », l’ONEm devait faire le nécessaire pour clarifier les choses. Il y a dès lors lieu d’examiner les faits à la lumière de l’article 17, alinéa 2, en ce qui concerne la rétroactivité de la décision prise.

La cour passe ainsi à l’examen des éléments du dossier administratif, constatant que l’intéressé a, à plusieurs reprises, exposé sa situation, qu’il a communiqué des documents divers (désignation en qualité de gérant d’une société,…) et qu’il y a eu erreur dans le chef de l’ONEm. La cour rejette l’argumentation de l’Office, selon laquelle il n’a pas commis d’erreur, dans la mesure où il s’est fondé sur les informations communiquées par l’I.N.A.S.T.I., dont le répertoire général des travailleurs indépendants. Outre que ceci n’est pas établi in tempore, la cour répond que l’arrêté royal du 12 décembre 2001, en son article 7, § 2, ne vise pas ce répertoire et ne confère pas un caractère décisif à sa consultation.

L’ONEm est chargé d’assurer l’application de l’arrêté royal et ceci n’exclut pas qu’il vérifie lui-même l’existence d’une activité qui obligerait celui qui l’exerce à s’affilier au statut social des travailleurs indépendants. La cour insiste sur le fait que, vu la « particularité » de la demande, l’ONEm aurait dû poursuivre les investigations dans le dossier. L’instruction n’a pas été suffisamment prudente et diligente.

Il y a dès lors lieu de conclure à la non rétroactivité de la décision en application de l’article 17, alinéa 2, de la Charte.

Intérêt de la décision

Cette affaire est, ainsi, tranchée en deux temps. La cour a, dans un premier arrêt, réglé la question du droit aux allocations pendant la période de crédit-temps. L’absence de droit de l’intéressé se trouvait, après la première décision, pleinement confirmée.

La cour a cependant soulevé d’office la question de l’application de l’article 17, alinéa 2, de la Charte, étant qu’elle a demandé aux parties de s’expliquer sur l’existence d’une erreur dans le chef de l’ONEm.

C’est l’objet du second arrêt, dans lequel elle reprend les principes de base, étant les principes de bonne administration, ceux-ci comprenant le principe de prudence et le devoir de minutie.

Le point intéressant de l’arrêt est la confirmation que, en matière de sécurité sociale, la Charte de l’assuré social a traduit, dans un texte spécifique, la majorité de ces principes, mais qu’il n’est pas exclu de dépasser ce cadre.


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