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Dysphonie d’une institutrice et écartement de sa fonction : discrimination ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 janvier 2018, R.G. 2016/AB/991

Mis en ligne le vendredi 30 novembre 2018


Cour du travail de Bruxelles, 18 janvier 2018, R.G. 2016/AB/991

Terra Laboris

Dans un important arrêt du 18 janvier 2018, la Cour du travail de Bruxelles examine les aménagements réalisés ou proposés par un employeur public pour rencontrer les limitations fonctionnelles dues à un handicap d’une institutrice maternelle. L’écartement de la fonction est justifié vu que faire un usage intensif de la voix constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante pour cette catégorie de personnel.

Les faits

Une institutrice maternelle travaillant dans une école d’une commune bruxelloise (réseau d’enseignement officiel subventionné) connaît, pendant l’année scolaire 2012-2013, des difficultés l’empêchant d’exercer normalement sa fonction d’institutrice (utilisation de sa voix). Elle occupe, vu cette situation, d’autres fonctions, étant deux postes mi-temps, l’un en qualité de surveillante-éducatrice et l’autre de commis dactylographe. Ces emplois ont toujours le caractère d’emploi subventionné.

L’année suivante, elle reprend un poste d’institutrice à mi-temps, en remplacement de ses fonctions de commis. Ayant introduit une demande de maladie professionnelle pour dysphonie, elle voit son dossier aboutir début 2014. Un taux d’I.P.P. de 10% lui est reconnu et elle est déclarée inapte à l’emploi d’enseignante. Elle reste apte pour des activités professionnelles administratives excluant toute fatigabilité excessive de la voix. Le taux sera porté à 25%, suite à une procédure judiciaire.

La Communauté française n’ayant pas réservé de suite à la notification du MEDEX, la Commune engage l’intéressée à titre temporaire pour l’année scolaire en cours en qualité d’agente contractuelle. Elle occupe deux postes à temps partiel, postes non subventionnés et relevant du cadre de l’administration communale. L’intéressée est alors en disponibilité pour convenances personnelles.

Pour l’année scolaire suivante, elle signale ne pas souhaiter poursuivre dans le cadre des emplois temporaires, demandant à être réintégrée dans ses fonctions initiales en tenant compte qu’elle ne peut faire qu’un usage limité de sa voix. Elle souhaite que la fonction soit subventionnée, lui permettant ainsi de rester dans le cadre de la fonction publique. Elle demande dès lors la fin de sa mise en disponibilité et sa reprise de fonction en qualité d’institutrice. Pour l’année scolaire 2015-2016, elle fera une brève tentative de reprise du travail, mais sera en incapacité jusqu’en février.

Une procédure en référé est initiée le 8 septembre 2015, mais la procédure n’est pas diligentée. La Commune propose alors deux postes administratifs (contractuels).

L’intéressée dépose alors une requête en cessation devant la Présidente du Tribunal du travail francophone de Bruxelles.

La Communauté française refuse de faire droit à la demande de reprise de fonction en tant que surveillante-éducatrice, fonction qu’elle considère contraire à une décision du MEDEX et qu’elle refuse de subventionner.

Des discussions ont lieu entre parties, et ce avec la Communauté française, cette dernière considérant que l’intéressée pourrait bénéficier d’un congé pour mission et ainsi exercer des tâches purement administratives en lien avec l’enseignement, tout en percevant la même rémunération. Deux postes sont ainsi proposés par la Commune, ainsi qu’un autre par la Communauté française. L’intéressée accepte ce dernier. Entre-temps, la Présidente du Tribunal du travail francophone de Bruxelles avait rendu une ordonnance, admettant l’existence de faits de harcèlement. La Commune interjette un appel (limité) de celle-ci, demandant sa réformation, précisément en ce qu’elle a déclaré cette partie de la demande fondée.

L’intéressée interjette appel incident, demandant, dans le cadre d’une action en cessation, qu’une injonction soit donnée de produire un plan de reclassement. A titre subsidiaire, au cas où le harcèlement ne serait pas reconnu, elle demande que soit reconnue l’existence d’une discrimination dans le traitement de son dossier.

La décision de la cour

La cour aborde en premier lieu les principes à appliquer, étant de déterminer s’il y a ou non harcèlement moral au travail et de vérifier si l’action en cessation et la demande de mesures qui ont pour but de faire respecter la loi sont fondées.

La cour souligne d’emblée qu’elle ne partage pas la conclusion du premier juge, étant que le cadre procédural de l’action en cessation et de la demande de mesures impose comme préalable que des faits de harcèlement moral au travail soient constatés. Or, s’il apparaît que l’intéressée est dans une situation où son emploi est mis en péril, celle-ci n’est pas causée ni aggravée par des conduites abusives ni par un ensemble abusif de conduites de la Commune, mais bien par son problème de voix et par la complexité juridique de son statut.

La cour passe en revue toutes les tentatives faites par la Commune aux fins de trouver une réaffectation conforme. Elle rejette l’un après l’autre les indices de harcèlement présentés par la demanderesse (application erronée de la réglementation et violation de l’obligation de conseil, non-respect de la réglementation sur le temps de travail et la protection de la rémunération, durée des contrats, volonté d’écartement, non-respect des dispositions statutaires en matière de dévolution d’emploi, obstruction systématique, mise en péril de sa santé, pressions psychologiques et refus d’aménagement de la fonction). Pour la cour, l’intéressée n’établit pas de faits qui permettent de présumer l’existence de harcèlement. Il en va de même de la discrimination, la cour rappelant ici les règles en matière de discrimination fondée sur l’état de santé et sur le handicap, rappel qui reprend un relevé exhaustif de la jurisprudence de la Cour de Justice depuis son arrêt CHACÓN NAVAS.

En l’espèce, l’intéressée souffre de dysphonie, elle présente une atteinte physique et sa pleine participation à la vie professionnelle s’en trouve sérieusement affectée. Il s’agit d’une limitation de longue durée. Elle est dès lors porteuse d’un handicap au sens du Décret du 12 décembre 2008.

La demande de reclassement dans des fonctions subventionnées doit être considérée comme sa demande d’aménagements raisonnables.

Pour la cour, la Commune a satisfait à son obligation de proposer des aménagements raisonnables. En l’espèce, l’intéressée réclame un aménagement supplémentaire, à savoir un poste définitif. Ceci n’est pas raisonnable en ce qu’un tel poste, répondant en outre à la condition de ne pas solliciter excessivement la voix, n’existe pas.

Il y a une distinction en l’espèce, mais celle-ci est justifiée conformément au Décret, pouvoir faire un usage intensif de sa voix constituant une exigence professionnelle essentielle et déterminante pour une institutrice maternelle de même que pour une surveillante-éducatrice.

Intérêt de la décision

Des aménagements de la fonction sont intervenus, dans cette affaire, au fil des années scolaires. Eu égard à la reconnaissance de la maladie professionnelle et à la persistance d’une réduction de la capacité économique de l’intéressée, la cour conclut que celle-ci est porteuse d’un handicap, au sens de la législation anti-discrimination. Doivent, dès lors, jouer les règles relatives aux aménagements raisonnables.

L’intérêt de cet arrêt, qui fait un examen très fouillé de toutes les facettes du dossier, est d’aboutir à la conclusion qu’existe en l’espèce une distinction directe fondée sur l’état de santé et sur le handicap, étant que l’intéressée n’est plus affectée à l’emploi d’institutrice maternelle dans lequel elle a été nommée, pas plus qu’à un autre emploi sollicitant excessivement la voix. Il s’agit d’un traitement défavorable fondé sur l’état de santé et sur le handicap. C’est une distinction directe au sens du Décret.

Celle-ci apparaît cependant justifiée, dès lors que, vu la décision du MEDEX et celle du médecin du travail, la Commune a mis en œuvre toute une série de moyens pour atteindre le but légitime de respecter la décision d’inaptitude partielle. C’est l’écartement du poste d’institutrice maternelle et de celui de surveillante-éducatrice. La Commune a offert plusieurs autres postes de reclassement, qui, pour la cour, sont jugés appropriés et nécessaires.

La cour insiste également sur le critère de la distinction justifiée par des exigences professionnelles essentielles et déterminantes.


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