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Intégration des personnes handicapées : notion de frais considérés comme nécessaires en raison du handicap (suite)

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 5 février 2018, R.G. 2015/AB/824

Mis en ligne le mardi 30 octobre 2018


Cour du travail de Bruxelles, 5 février 2018, R.G. 2015/AB/824

Terra Laboris

Par arrêt du 5 février 2018, la Cour du travail de Bruxelles tranche (quasi-définitivement) la question lui renvoyée par la Cour de cassation sur l’intervention de l’AViQ dans des aménagements intérieurs au domicile de la personne souffrant d’un handicap.

Rétroactes

L’arrêt rendu par la Cour du travail de Bruxelles le 5 février 2018 fait suite à une précédente décision du 6 juin 2016 (suivi lui-même d’un arrêt ordonnant une mesure d’instruction).

Cet arrêt intervenait après l’arrêt de principe de la Cour de cassation du 16 mars 2015, dans lequel la Cour suprême avait fixé la référence en matière de frais considérés comme nécessaires en raison du handicap : il s’agit des frais qui excèdent ceux que devrait, dans les mêmes circonstances, exposer une personne valide.

La première cour du travail à avoir été saisie est la Cour du travail de Liège. Elle a rendu un arrêt le 18 février 2014, faisant droit à la demande formée par la personne handicapée, qui demandait l’intervention de l’AWIPH (actuellement AViQ) pour le remplacement d’échelles existantes, étant des échelles inclinées et dépourvues de rampe, par de vrais escaliers avec main-courante et balustrade.

Le critère visé par l’arrêté du Gouvernement Wallon du 14 mai 2009 porte sur les dépenses supplémentaires à exposer par rapport à celles qu’une personne valide encourt dans des circonstances identiques. La cour du travail a considéré que deux interprétations pouvaient être données, étant soit que l’intervention est limitée à la différence de coût entre l’intervention que toute personne, valide ou non, devrait faire pour effectuer les travaux d’aménagement et celle qui est rendue nécessaire par le handicap (position de l’AWIPH), soit que l’intervention doit être justifiée par le handicap, s’agissant d’un coût supplémentaire dès lors que les travaux ne devraient pas être exécutés sans celui-ci. Elle a suivi la position de l’assuré social, considérant la position de l’AWIPH trop restrictive.

L’Agence s’est pourvue en cassation et l’arrêt de la Cour du travail de Liège a été cassé, la Cour suprême considérant qu’il faut entendre au sens de la disposition applicable (article 4, alinéas 1er et 2) des frais qui ne devraient être pris en charge que s’ils excèdent ceux que devrait, dans les mêmes circonstances, exposer une personne valide. Il ne s’agit pas des frais à exposer par la personne handicapée eu égard à son propre handicap.

L’affaire a été renvoyée à la Cour du travail de Bruxelles, qui, dans son arrêt du 6 juin 2016, a rappelé que les dispositions en cause ont été remplacées par l’article 786, § 1er, du Code réglementaire wallon de l’Action sociale et de la Santé entré en vigueur le 1er septembre 2013. Actuellement, les critères sont libellés de manière quasiment identique et quatre conditions sont posées en ce qui concerne l’aménagement du domicile, étant que (i) la personne doit présenter un handicap, (ii) les aménagements doivent être destinés à compenser celui-ci ou à prévenir son aggravation, (iii) les frais doivent être nécessaires eu égard au handicap, aux activités ou à la participation de la personne à la vie de société, et (iv) ils doivent constituer des frais supplémentaires par rapport à une personne valide.

Il faut dès lors examiner, pour la cour, si les escaliers répondent aux normes imposées ou aux usages généralement admis pour des escaliers dans une habitation privée (escaliers standards ou hors norme).

Elle a ensuite, dans un nouvel arrêt du 21 novembre 2016, chargé un expert (architecte) d’une mission d’avis sur la question. La cour y a distingué trois hypothèses, déjà reprises dans le premier arrêt, étant soit que l’ensemble des escaliers sont hors norme, c’est-à-dire qu’ils sont supérieurs aux normes imposées et aux usages généralement admis, soit que les nouveaux escaliers entrent dans les limites des normes imposées ou des usages généralement admis - hypothèse dans laquelle il faut examiner, pour ce qui est des escaliers à remplacer, si les anciens et les nouveaux entrent dans les limites des normes imposées ou des usages généralement admis -, soit que les anciens escaliers sont inférieurs à ceux-ci et que les nouveaux y répondent.

Le rapport de l’expert a été déposé le 24 août 2017. L’expert judiciaire a répondu qu’il n’existe pas de norme contraignante à laquelle doivent satisfaire les caractéristiques des escaliers installés à l’intérieur d’habitations particulières. Il en a donné les caractéristiques habituelles selon les usages généralement admis dans les habitations privées et a conclu à la conformité des anciens escaliers par rapport à ceux-ci. Il en va de même des nouveaux.

L’affaire a ainsi pu faire l’objet d’un nouvel arrêt, en date du 5 février 2018 (arrêt où la cour ne vide pas entièrement sa saisine, ordonnant une nouvelle réouverture des débats).

La cour y fait application des conditions fixées par l’arrêté royal du 14 mai 2009 (applicable à l’époque), fixant les conditions et les modalités d’intervention d’aide individuelle à l’intégration. Sur les quatre points à analyser, les trois premiers (existence d’un handicap, finalité des aménagements en cause, frais rendus nécessaires par le handicap pour les activités ou la participation de la personne à la vie en société) ne sont pas contestés. La cour relève cependant que la discussion porte sur le quatrième point, étant de savoir que les frais doivent constituer des frais supplémentaires à ceux qu’une personne valide encourt dans des circonstances identiques.

Elle conclut que les anciens et les nouveaux entrent dans les limites des normes imposées ou des usages généralement admis. Dans l’hypothèse dès lors – avérée en l’espèce – où l’habitation de la personne souffrant du handicap comportait des escaliers conformes aux usages mais qui ne répondaient pas aux besoins de l’intéressé, c’est l’installation des nouveaux qui a été rendue nécessaire par le handicap. Cette conclusion est valable, même s’il ne s’agit pas d’escaliers « hors norme ». La demande est dès lors fondée et la cour confirme le jugement rendu par le Tribunal du travail de Dinant le 2 décembre 2013 : l’AViQ doit intervenir dans le coût de l’aménagement des trois escaliers utilisés par l’intéressé.

Quant au montant en cause, il doit encore être précisé, ce qui fait l’objet de la (dernière ?) réouverture des débats. L’intéressé se voit allouer un montant provisionnel de 5.000 euros.

Intérêt de la décision

Dans cette affaire aux contours apparemment ordinaires, la Cour du travail de Bruxelles fait un examen approfondi de la question des frais considérés comme nécessaires en raison du handicap.

L’instruction de la cause a permis à la Cour de cassation de poser la règle en ce qui concerne les frais devant faire l’objet de l’intervention de l’AViQ, étant que la comparaison doit se faire par rapport à une personne valide.

La question est – comme le relèvent les développements faits dans les divers arrêts rendus par la Cour du travail de Bruxelles – délicate d’application et la cour a dû recourir à une expertise judiciaire sur la question des normes et usages généralement admis. Il s’agit – en l’occurrence pour des escaliers, mais la chose est transposable à d’autres aménagements – de vérifier si les lieux étaient initialement conformes ou s’ils ne l’étaient pas. Dans l’hypothèse où tel est le cas, le coût du remplacement rendu nécessaire par le handicap et qui n’aurait pas été nécessaire pour une personne valide constitue des frais supplémentaires à ceux que celle-ci devrait exposer dans des circonstances identiques. Par contre, si les lieux n’avaient pas initialement correspondu aux normes imposées ou aux usages admis, leur remplacement aurait normalement dû être effectué par une personne valide également et le coût de celui-ci ne serait pas à considérer comme un coût supplémentaire à celui que doit exposer cette dernière.


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