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Projet individualisé d’intégration sociale : l’arrêt de la Cour du travail de Liège du 19 avril 2017 soumis à la censure de la Cour de cassation

Commentaire de Cass., 11 juin 2018, n° S.17.0061.F

Mis en ligne le lundi 29 octobre 2018


Cour de cassation, 11 juin 2018, n° S.17.0061.F

Terra Laboris

Par arrêt du 11 juin 2018, la Cour de cassation rappelle que le projet individualisé d’intégration sociale, modalité du droit à l’intégration sociale, ne peut être conclu que si les conditions du droit à l’intégration sociale sont réunies.

Les rétroactes

Mr F.B., qui est âgé de moins de 25 ans, a demandé au C.P.A.S. de Liège de lui octroyer le revenu d’intégration sociale (en abrégé R.I.S.), ce qui lui a été refusé.

L’arrêt rendu par la Cour du travail de Liège lui refuse le droit à l’intégration sociale jusqu’au 28 février 2017 aux motifs que : « En l’état, il est insuffisamment prouvé (qu’il) soit privé de ressources suffisantes ou de la possibilité d’en obtenir », ajoutant que « tant qu’à présent (il) ne justifie pas effectivement de sa disposition au travail ».

Concernant la question des droits du demandeur à partir du 1er mars 2017, l’arrêt relève les éléments spécifiques à la situation de Mr F.B., étant qu’il a arrêté l’enseignement secondaire en 2012 alors qu’il était en section mécanique, n’a pas achevé la formation au CEFA suivie en 2012-2013, a selon son curriculum vitae travaillé comme monteur de pneus en Allemagne en 2011-2013 et 2013-2014 et comme caissier réassortisseur en 2012-2013, a comme langues maternelles le français et le kosovar et déclare parler couramment l’allemand et l’italien et évoque un intérêt pour la profession de chauffeur ou un emploi dans la vente.

L’arrêt indique prendre également en considération « la dynamique particulière attachée aux dispositions de la loi du 26 mai 2002 pour les personnes de moins de vingt-cinq ans ». Il conclut « qu’il est fondamental que (Mr F.B.), qui a de réelles potentialités, soit assisté dans une démarche de formation orientée vers l’acquisition d’une véritable qualification professionnelle, afin de (lui) permettre d’accéder à l’emploi d’une façon durable et d’échapper à une situation de personne assistée ».

La cour du travail « invite en conséquence (Mr F.B.) et (le C.P.A.S.) à se rencontrer et à convenir d’un projet individualisé d’intégration sociale orienté vers l’acquisition d’une qualification professionnelle et réserve à apprécier le droit (de Mr F.B.) à l’octroi d’un revenu d’intégration sociale à partir du 1er mars 2017 en fonction de la conclusion et du suivi de ce projet individualisé d’intégration sociale, ce qui justifie d’ordonner à cette fin la réouverture des débats, étant entendu que (le C.P.A.S.) peut, dès la conclusion du projet individualisé d’intégration sociale et en fonction du suivi de celui-ci, prendre sans attendre une nouvelle décision d’octroi du revenu d’intégration sociale s’il y a lieu ».

La requête en cassation

Le C.P.A.S. propose un moyen unique de cassation divisé en deux branches dont seule la deuxième, accueillie par la Cour de cassation, fait l’objet de ce commentaire.

Les dispositions légales dont la violation est invoquée sont les articles 2, 3, 4, 6, 10 et 11 de la loi du 26 mai 2002.

Le C.P.A.S. rappelle qu’en vertu de l’article 2 de la loi du 26 mai 2002, le droit à l’intégration sociale peut, dans les conditions fixées par cette loi, prendre la forme d’un emploi ou d’un revenu d’intégration, assorti ou non d’un projet individualisé d’intégration sociale. Les conditions fixées par l’article 3 de cette loi sont notamment : 4° « de ne pas disposer de ressources suffisantes, ni pouvoir y prétendre, ni être en mesure de se les procurer, soit par ses efforts personnels, soit par d’autres moyens » et, 5° d’« être disposé à travailler, à moins que des raisons de santé ou d’équité l’en empêchent ».

En vertu de l’article 11, § 2, alinéa 2, de cette loi, le droit à un projet individualisé d’intégration sociale doit être concrétisé par le C.P.A.S. dans les trois mois qui suivent la décision de ce centre, que la personne remplit les conditions prévues aux articles 3 et 4 de la loi. L’article 6 de la loi, qui concerne les personnes âgées de moins de vingt-cinq ans, se réfère à ses articles 3 et 4.

L’article 10 de la loi fixe les conditions dans lesquelles le demandeur du droit à l’intégration sociale de moins de vingt-cinq ans peut bénéficier d’un revenu d’intégration. Il doit être soit dans l’attente d’un emploi dans le cadre d’un contrat de travail ou d’un projet individualisé d’intégration sociale, soit avoir des revenus résultant d’une mise à l’emploi inférieurs au montant du R.I.S., soit ne pouvoir travailler ou participer à un projet individualisé d’intégration sociale en raison de motifs de santé ou d’équité.

Le C.P.A.S. en déduit que la conclusion d’un projet individualisé d’intégration sociale entre le C.P.A.S. de Liège et Mr F.B. implique la reconnaissance préalable du droit de ce dernier à l’intégration sociale et donc la réunion des conditions prévues par la loi. Or, l’arrêt attaqué, pour refuser à Mr F.B. le droit au revenu d’intégration sociale jusqu’au 28 février 2017, décide qu’« il est insuffisamment prouvé (que celui-ci) soit privé de ressources suffisantes ou de la possibilité d’en obtenir » et qu’il « ne justifie pas effectivement de sa disposition au travail », alors qu’il « n’invoque aucun motif de santé ou d’équité qui le dispenseraient de prouver sa disposition à travailler ». Il viole donc les dispositions légales visées au moyen.

Les conclusions du ministère public

Les conclusions écrites de Mr l’Avocat général GENICOT (publiées sur Juridat avec l’arrêt de la Cour) abordent d’abord la question de la recevabilité du pourvoi. Pour le ministère public, l’arrêt attaqué a pris une décision à caractère définitif en considérant que le C.P.A.S. pouvait, dès la conclusion du projet individualisé, envisager de revoir sa décision et d’octroyer ce revenu à partir du 1er mars 2017. Le pourvoi est donc recevable.

Pour conclure à l’accueil de la seconde branche du moyen, les conclusions relèvent que :

« Il résulte en résumé de la loi du 26 mai 2002 et de ses modifications ultérieures un mécanisme complexe selon lequel, pour les bénéficiaires de moins de 25 ans, l’intégration sociale par l’emploi s’avère prioritaire au revenu d’intégration. Elle pourra dès lors prendre la forme d’un contrat de travail ou d’un projet individualisé d’intégration sociale menant à un contrat de travail.

Un revenu d’intégration pourra alors être accordé, soit dans l’attente d’un emploi lorsqu’un projet individualisé d’intégration est alors requis, soit dans le cadre d’un projet individualisé d’intégration sociale, soit enfin en cas de motifs de santé et d’équité empêchant de travailler ou de participer à un projet individualisé d’intégration sociale.

Pour les bénéficiaires de plus de 25 ans, le droit à l’emploi et revenu d’intégration sont apparemment deux modalités d’expression équivalentes du droit à l’intégration sociale, sans que l’une n’ait d’emblée prévalence sur l’autre et pouvant chacune être aussi assortie d’un projet individualisé d’intégration sociale.

En tout état de cause, il apparaît que le revenu d’intégration et sa modalité « d’activation » qu’est le projet individualisé d’intégration sociale sont légalement envisageables pour autant que soient remplies préalablement toutes les conditions mises au droit à l’intégration sociale par les articles 3 et 4 de la loi du 26 mai 2002 comme exposé ci-avant.

L’arrêt attaqué, ne pouvait dès lors (…) sans violer les dispositions visées au moyen, envisager la conclusion d’un projet individualisé d’intégration sociale et l’octroi d’une intégration sociale, tout en constatant qu’au moins une des conditions requises par les articles 3 et 4, celle relative en l’espèce à l’absence de ressources (article 3, 4°), faisait défaut ».

L’arrêt de la Cour

Sur la deuxième branche du moyen, la Cour commence par rappeler le contenu des articles 2, 3, 6, 10 et 11, § 2, alinéa 2, de la loi du 26 mai 2002.

Pour la Cour :

« Il suit de ces dispositions que, d’une part, le projet individualisé d’intégration sociale est une modalité du droit à l’intégration sociale qui peut ou doit accompagner les deux formes de ce droit que sont l’intégration sociale par l’emploi et le revenu d’intégration, d’autre part, qu’un tel projet ne peut être conclu, comme le revenu d’intégration sociale ne peut être accordé, que si les conditions du droit à l’intégration sociale visées aux articles 3 et 4 sont réunies.

L’arrêt, qui constate que le défendeur est âgé de moins de vingt-cinq ans et considère qu’« il est insuffisamment prouvé [qu’il] soit privé de ressources suffisantes ou de la possibilité d’en obtenir », et qui lui refuse, pour cette raison, le droit au revenu d’intégration sociale jusqu’au 28 février 2017, n’a pu, sans violer les articles 3, 4°, 6, §§ 1er et 2, 10 et 11, § 2, alinéa 2, de la loi du 26 mai 2002, inviter les parties à convenir d’un projet individualisé d’intégration sociale et à informer la cour du travail du suivi de ce projet en « réserv[ant] à statuer en regard de cet élément en ce qui concerne l’octroi d’un revenu d’intégration sociale [au défendeur] à partir du 1er mars 2017 ».

Intérêt de la décision

Il est important de préciser que nous ne disposons pas de la procédure devant les juges du fond et que les motifs de l’arrêt attaqué reproduits et critiqués par la requête en cassation ne permettent pas de procéder à un exposé complet des faits de la cause et des antécédents de la procédure.

L’intérêt de l’arrêt commenté, éclairé par les conclusions du ministère public, est de confirmer que le C.P.A.S. ne peut mettre en œuvre un projet individualisé d’intégration sociale que si les conditions du droit à l’intégration sociale sont réunies.

Plus particulièrement en ce qui concerne la condition prévue à l’article 3, 4°, de la loi, soit le fait pour le demandeur de ne pas être en mesure de se procurer des ressources suffisantes par des efforts personnels, il s’agit pour le C.P.A.S. d’apprécier la disposition du demandeur au travail au sens de l’article 3, 5°.

Il est certain que le demandeur ne peut se contenter d’une attitude passive et doit établir une véritable disposition à travailler (cf., sur www.terralaboris.be, l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 1er mars 2007, R.G. 47.014, avec commentaire : « Quelques précisions relatives à la disposition au travail au sens de la loi du 26 mai 2002 » et l’arrêt de la Cour du travail de Liège, section Namur, du 17 avril 2012, R.G. 2011/AN/97, avec commentaire : « C.P.A.S. : examen de la disposition au travail, condition d’octroi du revenu d’intégration sociale »).

Mais on ne peut faire abstraction de la mission d’insertion et de la responsabilité du C.P.A.S.

Ainsi que le rappelle D. DUMONT (La responsabilisation des personnes sans emploi en question, Bruxelles, la Charte, 2012, pp. 146 et ss.), la figure du contrat a été introduite dans la loi du 7 août 1974 instituant le droit à un minimum de moyens d’existence par la loi du 12 janvier 1993 contenant un programme d’urgence pour une société plus solidaire.

Cet auteur poursuit que : « En 1993, la technique du contrat d’intégration avait été introduite dans la loi du 7 août 1974 comme un mode de preuve de la disposition à travailler. Autrement dit – du moins est-ce la lecture que nous avons défendue –, les obligations précises énumérées dans chaque projet individualisé d’intégration sociale venaient décliner le contenu exact que revêtait, pour le minimexé concerné, l’exigence qu’il prouve être prêt à travailler ». Se fondant sur les travaux préparatoires de la loi du 26 mai 2002, il conclut que celle-ci « ne peut pas être lue autrement qu’en ce sens que les projets individualisés d’intégration sociale sont irréductiblement associés à la concrétisation de la disposition au travail » (eodem cit. n° 358, pp. 198 et 199).

Les travaux préparatoires de la loi du 21 juillet 2016 modifiant la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale précisent que celle-ci est « une évolution vers une plus grande responsabilité des bénéficiaires visant la réinsertion sociale et professionnelle mais aussi un meilleur accompagnement » et que : « La notion de responsabilisation vise aussi les CPAS dont la mission de base est de sortir les bénéficiaires de la précarité » (Doc. Parl. Ch., 54 1864/003[3]).

Le C.P.A.S. doit donc, plus particulièrement si le demandeur d’aide entre dans la catégorie des moins de vingt-cinq ans, catégorie pour laquelle le législateur a consacré la priorité de la mise à l’emploi sur le versement d’un revenu d’intégration, déterminer à l’aide de l’enquête sociale comment un demandeur d’aide qui n’est pas inséré sur le marché du travail pourrait l’être durablement à condition qu’il y soit disposé.

Il s’agit donc d’une démarche dynamique dans laquelle le C.P.A.S. peut, en vérifiant les possibilités de mise à l’emploi directe ou après un projet individualisé d’intégration sociale, contribuer à l’établissement de la preuve de la disposition à travailler de celui qui sollicite son aide (cf. en ce sens « Commentaire Droit de la sécurité sociale », Guide Social Permanent, Partie III, Livre I, Titre IV, Chapitre II, n° 2410 et ss.).


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