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Accident du travail, rémunération de base et notion de « personne de référence »

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 mars 2018, R.G. 2017/AB/41

Mis en ligne le lundi 15 octobre 2018


Cour du travail de Bruxelles, 19 mars 2018, R.G. 2017/AB/41

Terra Laboris

Par arrêt du 19 mars 2018, la Cour du travail de Bruxelles reprend les règles relatives à l’établissement de la rémunération de base de l’incapacité permanente dans le cadre de la loi du 10 avril 1971.

Les faits

Une société fait une déclaration d’accident du travail en novembre 2011 pour un de ses travailleurs, qui, à l’occasion du déchargement d’une « mono-brosse » d’un véhicule, a eu le dos bloqué. Il y a eu interruption du travail immédiatement et un médecin a été consulté. Le travailleur s’est fait une lombalgie aiguë suite à une contracture musculaire.

Cet accident a été reconnu par l’assureur-loi, qui a proposé un accord-indemnité en juillet 2013. Le travailleur a marqué accord, mais FEDRIS (à l’époque F.A.T.) a refusé l’entérinement, vu l’insuffisance de la rémunération de base.

L’assureur a introduit une procédure judiciaire, dans laquelle FEDRIS est intervenue volontairement.

Un jugement a été rendu par le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles le 10 novembre 2016, fixant les séquelles mais ordonnant une réouverture des débats aux fins de permettre à l’assureur-loi de fixer la rémunération de base, et ce en tenant compte de la rémunération réellement perçue au prorata des prestations effectuées au moment de l’accident.

L’assureur a interjeté appel, dans la mesure où il estime que le premier juge a fait une mauvaise application de l’article 36, § 2, de la loi du 10 avril 1971. Il demande à la cour de dire pour droit que la rémunération de base a été correctement calculée par lui, à savoir que renvoi a été fait à la personne de référence occupée dans la même entreprise.

Il propose des chiffres pour les deux types d’incapacité.

La décision de la cour

La cour reprend les textes. Il s’agit des dispositions spécifiques à la rémunération de base figurant aux articles 34 et 36 de la loi. L’intéressé était occupé depuis moins d’un mois dans l’entreprise, au moment de l’accident, situation visée à l’article 36, § 2, de la loi. En vertu de cette disposition, lorsque le travailleur est occupé depuis moins d’un an dans l’entreprise ou dans la fonction exercée au moment de l’accident, la rémunération hypothétique, afférente à la période antérieure, est calculée en raison de la rémunération journalière moyenne des personnes de référence.

En l’occurrence, vu la très faible occupation de l’intéressé, il faut faire application de cette disposition. La cour précise encore que, par « personne de référence », il faut entendre la personne occupée à temps plein dans la même entreprise ou, à défaut, dans la même branche d’activités, dans une fonction analogue à celle du travailleur et dans laquelle il est normalement censé accomplir le même nombre de jours de travail que le travailleur (article 7, 2°, de l’arrêté royal du 10 juin 2001 portant définition uniforme des notions relatives au temps de travail à l’usage de la sécurité sociale, en application de l’article 39 de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux de pensions).

En l’occurrence, l’intéressé, qui avait effectivement été occupé moins d’un mois dans l’entreprise au moment de l’accident, bénéficiait, depuis sa mise au travail, d’un salaire sensiblement supérieur à celui des autres travailleurs occupés dans l’entreprise et dans le secteur, faisant un travail analogue.

Il s’agit en l’espèce d’une entreprise de nettoyage dépendant de la C.P. 121. Le salaire horaire était de près de 14 € l’heure, le travailleur prestant à temps plein, dans la catégorie la plus basse de la classification professionnelle.

L’assureur dépose d’autres fiches de paie de travailleurs de la même catégorie (1A), plus âgés et bénéficiant d’une plus longue ancienneté, qui n’avaient pas 12 € de salaire horaire brut.

Aucune explication n’est donnée quant à la différence de rémunération.

Pour l’assureur, en vertu de l’article 36, § 2, de la loi, l’on est bien en présence de personnes de référence, puisqu’elles effectuent un travail analogue à celui de l’intéressé. L’assureur prend en compte le salaire journalier moyen – qui est en réalité plus bas – pour le calcul de la rémunération hypothétique. Il estime que les tribunaux ne peuvent recourir à l’évaluation ex aequo et bono que lorsqu’il n’y a aucune personne de référence à partir de qui calculer la base de la rémunération et que ceci n’est pas le cas en l’espèce. Il considère également que l’application de l’article 36, § 2, L.A.T., a pour conséquence que le travailleur doit se voir allouer une rémunération de base inférieure.

Quant à FEDRIS, elle considère que :

  • Il est impensable que le mécanisme légal aboutisse à aligner la rémunération de la victime sur des personnes de référence qui perçoivent une rémunération moindre que celle-ci.
  • Le calcul effectué par l’assureur aboutit à lui causer un préjudice, vu que les chiffres sont manifestement plus bas du fait de l’application de l’article 36, § 2, qu’ils l’auraient été si la victime avait pu faire valoir une période de référence complète.
  • L’assureur-loi n’a pas pris en compte des personnes occupées à temps plein ou dans la même entreprise. Dès lors, les personnes de référence ne peuvent être considérées comme telles. Il ne s’agit pas de travailleurs comparables.
  • Il faut tenir compte du salaire réellement alloué au travailleur et raisonner autrement serait contraire à la disposition légale. Il n’y a pas lieu non plus de fixer la rémunération de base ex aequo et bono.

La cour retient ensuite que le premier juge a suivi la position de FEDRIS et a admis la rémunération réellement perçue au prorata au moment de l’accident.

Elle considère que la position de l’assureur ne peut être suivie. Elle renvoie à deux arrêts de la Cour de cassation. Dans le premier, du 18 mai 1992 (Cass., 18 mai 1992, n° 7.812), la Cour a rappelé que les indemnités allouées en vertu de la loi sur les accidents du travail du chef d’incapacité de travail couvrent le dommage qui consiste en la perte ou la réduction de la capacité d’acquérir, par son travail, des revenus pouvant contribuer aux besoins alimentaires. Le second arrêt est celui du 15 janvier 1996 (Cass., 15 janvier 1996, n° S.95.0094.N), arrêt enseignant que la valeur économique sur le marché du travail d’un travailleur victime d’un accident du travail est présumée, par la loi du 10 avril 1971, trouver sa traduction dans la rémunération de base du travailleur. La fixation de la rémunération de base doit donc correspondre le plus fidèlement possible à la valeur économique de la victime au moment où elle tombe en incapacité de travail.

La cour renvoie encore aux travaux préparatoires, aux fins de préciser davantage le mécanisme légal, reprenant la volonté du législateur de l’époque : si un travailleur n’a pas un an d’ancienneté dans l’entreprise, il est possible qu’il bénéficie d’une rémunération plus basse que les autres travailleurs. Dans la mesure où l’on peut escompter une évolution normale de sa rémunération, qui lui permettrait d’atteindre un seuil plus élevé, il est indiqué, dans ce cas, de se référer au seuil qu’il pourrait atteindre s’il n’avait pas été victime de l’accident.

Tout en soulignant que ceci n’est pas le cas dans le chef de l’intéressé, la cour rappelle que l’article 36, § 2, exige, dans la détermination de la personne de référence, que celle-ci gagne un salaire comparable à celui du travailleur. En conséquence, il y aura lieu de fixer la rémunération conformément à celle qu’il percevait effectivement.

Elle poursuit son raisonnement en relevant que la position défendue par l’assureur-loi aboutirait à une discrimination prohibée eu égard à l’intention du législateur quant à la détermination de la valeur économique de la victime.

L’appel est dès lors rejeté.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est très éclairant.

Il est en effet prévu dans le mécanisme légal de se référer, pour le calcul de la rémunération hypothétique afférente à la période antérieure, à la rémunération journalière moyenne des personnes de référence. L’arrêté royal du 10 juin 2001 cité définit cette personne de référence, étant celle qui est occupée à temps plein dans la même entreprise ou, à défaut, dans la même branche d’activités, dans une fonction analogue à celle du travailleur et dans laquelle il est normalement censé accomplir le même nombre de jours de travail que celui-ci.

En l’occurrence, l’on notera que tous les éléments de la définition n’étaient pas rencontrés, puisque les travailleurs « comparés » étaient engagés à temps partiel. L’assureur-loi plaidait de son côté qu’ils étaient plus âgés ou avaient une plus grande ancienneté.

La cour a certes relevé la question du temps plein, mais s’est surtout fondée sur les principes généraux en matière de réparation des séquelles de l’accident, étant qu’existe une présomption légale, irréfragable d’ailleurs, selon laquelle la rémunération de base traduit précisément la valeur économique de la victime sur le marché du travail.

Ce rappel ne suffit cependant pas, à notre sens, à valider la conclusion de la cour. C’est davantage le renvoi aux travaux préparatoires (Exposé des motifs, Sénat, 1969-70, n° 328, 22) qui peut permettre de comprendre la raison pour laquelle la loi renvoie à des personnes de référence : il s’agit de permettre au travailleur qui, vu sa faible ancienneté, bénéficie peut-être d’une rémunération plus basse que celle à laquelle il pourrait avoir droit de voir sa rémunération de base alignée sur celle qu’il aurait pu percevoir après un an de service et qu’il a été victime de l’accident avant d’avoir pu atteindre celle-ci.


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