Terralaboris asbl

Renonciation à la récupération d’indu en matière de congé parental : il n’y a pas que la force majeure qui peut être invoquée

Commentaire de C. trav. Mons, 21 février 2018, R.G. 2016/AM/304

Mis en ligne le lundi 15 octobre 2018


Cour du travail de Mons, 21 février 2018, R.G. 2016/AM/304

Terra Laboris

Par arrêt du 21 février 2018, la Cour du travail de Mons écarte l’application de l’article 5 de l’arrêté ministériel du 17 décembre 1991, arrêté d’exécution des articles 13, 15, 20 et 27 de l’arrêté royal du 2 janvier 1991 relatif à l’octroi d’allocations d’interruption, au motif d’une diminution de la protection offerte par l’article 22 de la Charte de l’assuré social.

Les faits

Une employée de banque bénéficie, à partir du 1er janvier 2004, d’une réduction de ses prestations à mi-temps dans le cadre d’un congé parental. Deux mois plus tard, elle apprend qu’elle est atteinte d’une affection grave, devant être opérée très rapidement. Elle demande à l’ONEm qu’il soit mis fin au congé parental afin de reprendre son activité à temps plein à partir du 1er avril, suite à des raisons impérieuses. L’ONEm prend une première décision, étant de demander la récupération pour les mois de janvier à mars, au motif que la durée minimale du congé parental à mi-temps était de six mois. Ultérieurement, elle demande à ce que soit reconnue la force majeure (opération grave, suivie d’une incapacité à durée indéterminée, imposant, afin de ne pas perdre son droit aux allocations de remplacement, de reprendre l’emploi à temps plein).

Elle est ensuite reconnue en incapacité de travail pendant six mois et peut être mise en mi-temps médical pendant six autres mois.

La force majeure est rejetée par l’ONEm, qui considère qu’il s’est agi d’un choix volontaire alors que l’intéressée n’avait pas l’obligation de renoncer à son congé parental, l’interruption de carrière étant compatible avec les indemnités de mutuelle perçues pour le mi-temps presté. La récupération est ensuite ordonnée, décision contestée par l’intéressée devant le Tribunal du travail de Nivelles.

Les rétroactes

Le tribunal rendit un jugement le 18 septembre 2017. Le tribunal admit la force majeure, tout en relevant que la reprise à temps plein n’était pas indispensable légalement, puisque l’intéressée pouvait conserver les indemnités de repos d’accouchement et les cumuler avec les indemnités d’incapacité de travail à concurrence du mi-temps presté. Cependant, il admit que l’erreur faite par l’intéressée aurait pu être commise par toute personne raisonnable, et ce vu le désarroi dans lequel elle s’était trouvée, apprenant sa grave maladie peu après l’accouchement, ainsi que vu l’extrême complexité de la législation sociale et l’insécurité qui en découlait. Le tribunal retint encore la difficulté d’obtenir une information valable.

Suite à l’appel de l’ONEm, la Cour du travail de Bruxelles considéra par arrêt du 24 décembre 2008 que, même s’il y avait, dans le chef de l’ONEm, un pouvoir discrétionnaire pour décider de l’existence ou non de la force majeure, il ne pouvait en tout cas que renoncer à la récupération de l’indu, vu les circonstances. Il reprit les mêmes éléments que le tribunal avait retenus en ce qui concerne le contexte.

Un pourvoi fut formé par l’ONEm et la Cour de cassation rendit un arrêt le 22 février 2010.

Elle y rappela la définition de la force majeure, étant que celle-ci ne peut résulter que d’un événement indépendant de la volonté humaine que l’homme n’a pu prévoir ou prévenir. En retenant qu’est constitutive d’une force majeure l’erreur qu’aurait pu commettre et non l’erreur qu’aurait commise toute personne raisonnable et prudente placée dans les mêmes circonstances, l’arrêt méconnaissait la notion légale.

L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles a dès lors été cassé et l’affaire revient devant la Cour du travail de Mons.

Position des parties après l’arrêt de la Cour de cassation

Position de l’ONEm

L’ONEm considère qu’il y a en la matière compétence discrétionnaire de son administrateur général (ou de l’agent désigné par lui).

En outre, même si les conditions d’une force majeure sont réunies, il n’est pas tenu de renoncer à la récupération. En l’espèce, il considère que l’administration a usé raisonnablement de son pouvoir d’appréciation, ne pouvant sanctionner que l’acte manifestement déraisonnable. A supposer que la cour ne conclue pas à une compétence discrétionnaire, il lui demande de constater que les conditions d’application de la force majeure ne sont pas réunies.

Position de l’intimée

Celle-ci considère que le contrôle du juge, même en cas de compétence discrétionnaire de l’administration, ne doit pas se limiter à un contrôle de légalité mais que celui-ci doit exercer un contrôle marginal : il doit censurer le comportement déraisonnable ou inéquitable de l’administration lorsque le manque de raison ou d’équité est si évident que la décision du juge correspond à une conception du droit communément partagée. Elle fait encore valoir que, si elle a commis une erreur, celle-ci est une erreur invincible, c’est-à-dire une erreur que toute personne « normale » aurait commise dans les mêmes circonstances.

La décision de la cour

Après un rappel du régime de l’interruption de carrière pour congé parental, dans lequel elle souligne que, lorsque le délai minimum n’est pas respecté, l’administrateur général de l’ONEm (ou l’agent désigné par lui) peut renoncer à la récupération en cas de force majeure dans le chef du travailleur, la cour examine les pouvoirs du juge vis-à-vis d’une décision de refus de renonciation à l’indu.

Cette question suppose le renvoi à la fois à la Charte de l’assuré social, à la jurisprudence de la Cour de cassation et à celle de la Cour constitutionnelle. La cour examine l’arrêt rendu en matière de prestations familiales garanties (C. const., 21 décembre 2004, n° 207-2004), celui intervenu dans le cadre des allocations aux personnes handicapées (C. const., 15 février 2006, n° 26/2006) et dans celui des pensions de retraite (arrêt du 7 juin 2007, n° 82/2007). Ces trois décisions de la haute cour ont confirmé la compétence des juridictions du travail pour connaître des recours contre les décisions administratives prises en matière de renonciation à la récupération de l’indu.

Elle relève que la Cour constitutionnelle a également été interrogée en matière d’interruption de carrière pour congé parental, mais sur un point légèrement différent (C. const., 12 juillet 2007, n° 101/2007), où elle a rappelé sa jurisprudence précédente, précisant que, lorsque le critère en vertu duquel l’administration peut renoncer à la récupération de l’indu a été dicté uniquement en sa faveur, celle-ci dispose d’une liberté d’appréciation sur laquelle le juge ne peut exercer de contrôle. Cependant, si le critère est établi en faveur de l’administré, le juge doit pouvoir exercer un contrôle de légalité et sans pouvoir de substitution.

En l’espèce, reprenant à la fois la réglementation en matière d’allocations d’interruption (arrêté royal du 29 octobre 1997) et les dispositions de la Charte de l’assuré social (article 22, §§ 1er et 2, a)), la cour constate que l’article 5 de l’arrêté ministériel du 17 décembre 1991 – arrêté d’exécution des articles 13, 15, 20 et 27 de l’arrêté royal du 2 janvier 1991 – constitue une disposition réglementaire propre régissant la récupération des allocations d’interruption de carrière pour congé parental. Il limite en effet les cas dans lesquels l’ONEm peut renoncer à la récupération des allocations d’interruption à la seule hypothèse de la force majeure dont pourrait se prévaloir le bénéficiaire alors que, pour d’autres allocations versées par l’ONEm, il peut y avoir renonciation dans des situations dignes d’intérêt si le débiteur est de bonne foi au sens de la Charte.

La cour considère en conséquence qu’il y a lieu de vérifier le respect du principe de non-discrimination. Cette question avait déjà été soulevée par la Cour du travail de Bruxelles dans un arrêt du 19 février 2009 (C. trav. Bruxelles, 19 février 2009, R.G. 46.500), contre lequel un pourvoi formé par l’ONEm avait été rejeté par la Cour de cassation dans un arrêt du 13 décembre 2010 (Cass., 13 décembre 2010, S.10.0050.F).

Réexaminant les dispositions de la Charte, elle conclut que cette disposition de l’arrêté ministériel n’assure pas une protection aussi complète. Le cas digne d’intérêt est une notion qui n’exige pas, comparée à la force majeure, le caractère imprévisible et inévitable de l’événement. La différence de traitement n’est pas justifiée, entre d’une part le cas d’un congé parental et de l’autre les bénéficiaires d’autres allocations de sécurité sociale. Il n’existe, pour la cour, aucun argument qui justifierait que le cas digne d’intérêt au sens de l’article 22 de la Charte ne soit pas couvert.

Le jugement se trouve dès lors confirmé, mais pour d’autres motifs.

Intérêt de la décision

Dans ce bel arrêt, la Cour du travail de Mons fait le détour par la Charte de l’assuré social pour arriver à la conclusion qu’il y a lieu d’écarter une disposition d’un arrêté ministériel qui lui est contraire, dans la mesure où elle n’assure pas la protection et les garanties offertes par celle-ci.

Les conditions de la force majeure sont effectivement très strictes, puisqu’il doit s’agir d’un événement imprévisible, extérieur à la volonté de la personne qui l’invoque et qui rend insurmontable (et non plus difficile) l’exécution des obligations contractuelles. Ce concept de droit civil n’est pas approprié à la matière de la renonciation à la récupération de l’indu. La notion de « cas digne d’intérêt » se rencontre plus fréquemment et permet de prendre en compte des situations raisonnables, dans lesquelles l’assuré social doit être protégé.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be