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Rente d’accident du travail dans le secteur public pour une petite incapacité : détermination de la rémunération de base

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 18 juin 2018, R.G. 2015/AL/463 et 2017/AL/60

Mis en ligne le mardi 25 septembre 2018


Cour du travail de Liège, division Liège, 18 juin 2018, R.G. 2015/AL/463 et 2017/AL/60

Terra Laboris

Dans un arrêt du 18 juin 2018, la Cour du travail de Liège (division Liège) examine longuement les règles applicables au calcul d’une rente d’accident du travail dans le secteur public, s’agissant non de la rente elle-même, mais de la fixation de la rémunération de base : s’agit-il de prendre la rémunération désindexée ou celle existant à l’époque de l’accident ?

Rétroactes

La cour a été saisie d’une question relative à une rente d’accident du travail dans le secteur public. Cette question ne concerne pas l’évaluation de l’incapacité permanente, non plus que la rente elle-même, mais le montant à retenir au titre de rémunération de base.

La victime considère en effet qu’il faut prendre en considération l’index existant lors de l’accident, alors que la Communauté française estime qu’aucune indexation ne doit avoir lieu.

Le Tribunal du travail de Liège avait considéré, dans un jugement du 19 février 2015, qu’il fallait réévaluer la rémunération en fonction de l’indice existant au moment de l’accident (2005), de telle sorte que le montant devait être divisé par 138,01 (indice existant au 1er avril 1989) et multiplié par celui de janvier 2005.

La Communauté française a interjeté appel de ce jugement.

L’arrêt du 3 octobre 2016

La cour a rendu un premier arrêt (interlocutoire) le 3 octobre 2016, demandant communication du jugement rendu (jugement qui n’est pas au dossier), ainsi que d’autres éléments (fiches de salaire et montant versé au titre de rente). Elle a également demandé à la Communauté française sur quel arrêté royal elle se fondait (question à laquelle elle a répondu en renvoyant à l’arrêté royal du 24 janvier 1969).

Position des parties devant la cour

La Communauté française persiste à considérer qu’il n’y a pas lieu d’indexer la rémunération de base. Elle renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 16 mars 2015, à un arrêt de la Cour constitutionnelle du 4 décembre 2014 et aux dispositions réglementaires elles-mêmes (articles 13 et 14, § 2, de l’arrêté royal du 24 janvier 1969). Elle plaide également que tenir compte du salaire indexé lors de l’accident reviendrait, dans le cadre d’une incapacité supérieure à 16%, à appliquer une double indexation (le taux étant ici de 5%).

L’intimée renvoie quant à elle au caractère d’ordre public des articles 3 et 4 de la loi du 3 juillet 1967 et voit une violation de son article 4 si la rémunération n’était pas fixée à l’indice en vigueur au moment de l’accident. Subsidiairement, elle estime que, s’il fallait suivre la position de la Communauté française quant à l’article 4, il y aurait une discrimination entre les travailleurs du secteur privé et ceux du secteur public et elle demande à la cour du travail d’interroger la Cour constitutionnelle.

L’arrêt du 18 juin 2018

C’est par un long rappel du mécanisme légal que la cour entame son examen du dossier sur la question de l’indexation du salaire de base. Elle cite notamment le texte de l’article 14, § 2, de l’arrêté royal, étant que, lorsque l’accident s’est produit après le 30 juin 1962, la rémunération annuelle ne comprend pas la majoration due à sa liaison aux fluctuations de l’indice général des prix de détail du Royaume de l’époque.

Pour la cour, il est généralement admis que le salaire est ramené à l’indice 138,01, salaire qualifié de « désindexé » par rapport au salaire réellement perçu lors de l’accident. Par ailleurs, si l’incapacité est supérieure ou égale à 16%, la liaison de la rente à l’indice des prix à la consommation (qui ne prend pas effet au moment de l’accident mais remonte dans le temps) permet de rattraper toute la variation du coût de la vie. L’indexation de la rente est doublement correctrice, étant qu’elle rattrape l’érosion salariale entre l’index 138,01 et celui existant au moment de l’accident et qu’elle compense celle qui intervient depuis. Lorsqu’il n’y a pas lieu d’appliquer cette indexation, le travailleur victime d’un accident subit une double peine : d’une part, le salaire retenu est le salaire désindexé ramené à 138,01, soit un salaire inférieur à celui qui était réellement perçu, et, d’autre part, la rente en tant que telle ne fait pas l’objet d’une indexation ultérieure.

La cour procède ensuite à la comparaison avec le secteur privé, étant que l’article 27bis, alinéa 2, de la loi du 10 avril 1971 indexe les indemnités à la condition que l’incapacité s’élève à 10% ou plus (et non 16% comme dans le secteur public), les indemnités étant elles-mêmes liées à l’indice-pivot en vigueur au moment de l’accident. Il n’y a pas de désindexation.

Elle se livre à une analyse critique très approfondie du mécanisme appliqué dans le secteur public.

Si le salaire de base n’a plus été indexé à partir de 1962, c’est que, à ce moment, a trouvé à s’appliquer un mécanisme d’indexation de la rente qui aboutit au même résultat.

Cet équilibre a été rompu en 1994, lorsque le législateur a décidé de n’indexer les rentes qu’à partir de 10% (loi du 30 mars 1994), avec pour seule motivation la volonté de faire des économies. Ce seuil a été porté à 16% par un arrêté royal du 8 août 1997, toujours pour des considérations économiques.

La cour relève que, à aucun moment, la différence de traitement entre les victimes d’accident du travail en fonction de la gravité de leur atteinte n’a été justifiée. De telles différences ont ainsi été induites entre travailleurs placés dans des situations comparables et la cour les passe en revue, à partir de trois critères : (i) le temps écoulé depuis l’adoption de la grille barémique à laquelle la désindexation renvoie, (ii) la gravité de l’incapacité encourue et (iii) le régime dans lequel la victime travaille. Elle rappelle que la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt le 4 décembre 2014 (C. const., 4 décembre 2014, n° 178/2014), où, saisie de la différence de traitement entre travailleurs du secteur privé (pour qui il est tenu compte du salaire indexé au moment de l’accident) et travailleurs du secteur public (pour qui l’on retient une rémunération non indexée), cette différence gît non dans une norme législative mais dans l’arrêté royal du 24 janvier 1969.

La cour du travail estime en conséquence qu’elle doit, en vertu de l’article 159 de la Constitution, contrôler la conformité de l’article 14, § 2, de l’arrêté royal. La question est de savoir si celui-ci est conforme aux articles 10 et 11 de la Constitution. Renvoyant aux trois différences qu’elle a pointées dans le traitement du calcul de la rente, elle pose la question de savoir s’il s’agit de discrimination. Elle conclut par l’affirmative, et ce pour plusieurs motifs, le premier étant que, à incapacités égales, la valeur économique de l’indemnisation de l’accident est, dès la fixation de la rente, moindre que pour un accident chronologiquement plus éloigné du point de référence et qu’elle continue à baisser au fil du temps et des indexations sans justification valable. Un autre motif est que, faute d’indexation tant de la rente que de la rémunération de base, il n’est plus garanti que le montant de l’indemnisation soit en rapport avec le préjudice subi. Enfin, la cour considère que des travailleurs du secteur public sont parfaitement comparables avec des travailleurs du secteur privé et que, à situations égales, les travailleurs du secteur privé voient leur indemnisation calculée sur la base du salaire des 12 mois qui ont précédé l’accident, sans décote liée à la désindexation, ce qui n’est pas le cas des autres travailleurs, qui se voient pénalisés par une désindexation non compensée.

Elle considère qu’il y a dès lors lieu de laisser inappliqué l’article 14, § 2, de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 et de mettre en œuvre l’article 4 de la loi du 3 juillet 1967 : la rémunération à prendre en compte est celle à laquelle la victime avait droit au moment de l’accident, soit la rémunération effectivement versée et non désindexée.

Intérêt de la décision

Dans ce bel arrêt, très fouillé, la Cour du travail de Liège règle une question importante de l’indemnisation des victimes d’accident dans le secteur public. La question de la désindexation de la rémunération de base a en effet pour conséquence de réduire – parfois de manière appréciable – l’indemnisation de l’accident.

La Cour du travail de Bruxelles a, quant à elle, rendu un arrêt en date du 5 mars 2018 (C. trav. Bruxelles, 5 mars 2018, R.G. 2017/AB/471 – précédemment commenté), dans lequel elle a abouti à la même solution, s’agissant d’un accident relevant du champ d’application de l’arrêté royal du 13 juillet 1970, qui ne prévoyait quant à lui pas la désindexation.

L’analyse de la Cour du travail de Liège se situe sur le plan de la discrimination, question qui n’était pas abordée dans l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles.


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