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Accident du travail : qu’entend-on par « état antérieur » ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 9 mars 2018, R.G. 2017/AL/63

Mis en ligne le mardi 25 septembre 2018


Cour du travail de Liège, division Liège, 9 mars 2018, R.G. 2017/AL/63

Terra Laboris

Dans un arrêt du 9 mars 2018, la Cour du travail de Liège (division Liège) fait un rappel complet des règles relatives à la réparation forfaitaire de l’accident du travail en cas d’état antérieur, adaptant, de ce fait, la mission de l’expert en conséquence.

Les faits

Un travailleur eut une altercation avec son employeur en mai 2013, au cours de laquelle il soutient avoir été victime d’une agression physique de la part de ce dernier, celle-ci ayant aggravé un état antérieur (maladie de Little et antécédents accidentels et chirurgicaux). Cette altercation entraînera son licenciement pour motif grave.

L’assureur-loi a indemnisé, proposant une date de consolidation au 1er janvier 2014 avec un taux d’I.P.P. de 5%.

Une procédure a néanmoins été introduite, vu le désaccord de la victime. Un expert ayant été désigné par le tribunal du travail, la procédure connaît un incident, étant que l’employeur (gérant d’une société exploitant une agence de banque) fait tierce opposition au jugement, demandant au tribunal de revoir la qualification d’accident du travail. Suite à ceci, l’assureur-loi demande également au tribunal de rejeter l’accident du travail.

Une deuxième décision intervient en novembre 2015, le tribunal considérant dans ce jugement que la tierce opposition de l’employeur est non fondée, les éléments constitutifs de l’accident étant dûment rapportés par le demandeur.

L’assureur-loi a alors également mis un terme à sa contestation et un troisième jugement a été rendu en novembre 2016, après dépôt du rapport de l’expert. Celui-ci a été écarté, au motif que l’expert avait imposé à la victime d’établir que les lésions étaient imputables à l’agression, et ce malgré la présomption légale.

Un nouvel expert a été désigné. Sa mission était de dire s’il peut être exclu, avec la plus grande probabilité scientifique avoisinant la certitude, que l’événement soudain soit une cause au moins partielle de la lésion. Ce jugement a été frappé d’appel et c’est dans le cadre de cette dernière contestation que la cour du travail rend son arrêt le 9 mars 2018.

La décision de la cour

Après avoir réglé un point relatif à la recevabilité de l’appel, la cour se penche sur l’état antérieur. Elle fait une longue analyse du rapport d’expertise et retient également que, postérieurement à son dépôt, de nouveaux éléments médicaux ont été soumis.

Sur la question spécifique de l’état antérieur, elle rappelle la distinction entre celui-ci – qui est l’état du sujet considéré juste avant l’accident qui le frappe et dont il convient d’évaluer les conséquences pour les réparer de manière adéquate, étant donc la situation de la victime avant l’événement soudain – et la prédisposition – qui est une caractéristique d’un sujet, très généralement ignorée de celui-ci, n’ayant aucune expression dans sa vie quotidienne, mais qui, lors d’un traumatisme, favorise l’apparition d’une pathologie constatable qui n’existait pas auparavant. Ces deux définitions sont reprises de la doctrine (M. JOURDAN et S. REMOUCHAMPS, « La réparation des séquelles de l’accident du travail », Kluwer, 2007, p. 229). Peuvent également être retenues trois hypothèses d’état antérieur, selon Y. HANNEQUART (Y. HANNEQUART, « L’état antérieur et les accidents du travail », R.G.A.R., 1967, n° 7929 et R.G.A.R., 1975, n° 9487), étant la notion d’antériorité pure et simple (invalidité préalable à l’accident et indépendante de celui-ci), de réceptivité (hypothèse de la réalisation d’un risque particulier auquel la victime était exposée avant l’accident) et de pathologie antérieure évolutive (influence qu’exerce un processus d’invalidation en cours avant l’accident et que celui-ci active pour provoquer une incapacité de travail).

Sur le plan de la réparation, il y a globalisation ou – à l’inverse – retour à l’état antérieur.

En effet, le régime de la réparation légale des accidents du travail est forfaitaire. La Cour de cassation a rappelé dans un arrêt du 5 avril 2004 (Cass., 5 avril 2004, n° S.03.0117.F) que l’indemnité en cas d’incapacité permanente vient réparer la mesure dans laquelle l’accident a porté atteinte à la capacité de travail de la victime, étant sa valeur économique. Il est indifférent que la capacité de travail ait antérieurement subi quelque altération, la valeur économique étant légalement présumée trouver sa traduction dans la rémunération de base de référence. Il s’impose dès lors, si l’accident a activé un état pathologique préexistant, d’apprécier l’incapacité dans son ensemble sans tenir compte de cet état morbide antérieur.

En présence de l’état antérieur, la règle de globalisation implique que l’incidence de celui-ci, c’est-à-dire la situation de la victime avant l’événement soudain constitutif de l’accident, peut être prise en compte à deux niveaux : d’abord la détermination du taux d’incapacité physique et, ensuite, la répercussion économique de la capacité de travail.

En ce qui concerne l’évaluation de l’incapacité physique, il y a lieu d’appliquer la théorie de l’équivalence des conditions : dès lors que l’accident est au moins la cause partielle de l’incapacité partielle, le taux de la réparation doit englober tout le passif de la victime. Il n’est pas tenu compte de l’état de prédisposition antérieur dès lors et aussi longtemps que l’accident du travail est au moins en partie cause du dommage. Par contre, s’il n’y aucune relation causale et que l’état antérieur n’a pas été aggravé par l’accident, il n’y a pas lieu de l’englober. Seules les séquelles qui relèvent strictement de celui-ci seront prises en compte pour la fixation du taux. C’est l’hypothèse où l’accident n’a eu aucun rôle d’aggravation de l’état antérieur. Dans celle-ci, cependant, cet état antérieur aura inévitablement une incidence au stade de l’évaluation de la répercussion économique. La cour renvoie encore à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 22 mai 2002 (C. trav. Bruxelles, 22 mai 2002, R.G. 26.314/97), qui a appliqué le principe, relevant qu’il importe peu que l’incapacité de travail déclenchée par l’accident en cause n’atteigne un degré particulièrement élevé que par suite des déficiences antérieures de la victime.

En conclusion, la cour désigne un nouvel expert, avec pour mission, sur la question de la prise en compte des lésions, de déterminer s’il peut être exclu qu’elles soient en lien causal avec l’accident, que celui-ci ait aggravé ou contribué à aggraver l’état antérieur, et ce eu égard à la maladie dont la victime est atteinte et à ses antécédents traumatiques.

Intérêt de la décision

Cet arrêt, particulièrement fouillé, tant sur le plan des principes qu’au niveau de l’analyse des éléments de l’expertise, fait un rappel complet des règles de la réparation, dérogatoires, dans la matière des accidents du travail.

La Cour du travail de Liège y rappelle les fondamentaux, étant le principe de la globalisation, ainsi que la présomption irréfragable selon laquelle la capacité économique de la victime est supposée traduite par la rémunération de base (étant la rémunération de l’année avant l’accident).

La mission confiée à l’expert est également particulièrement détaillée, le point relatif à la prise en compte des effets de l’état antérieur sur les conséquences de l’accident étant à examiner en tenant compte de la présomption légale de causalité, étant que l’expert doit déterminer s’il est exclu que l’accident ait aggravé les lésions, et non l’inverse.


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