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Pension de retraite : conformité d’une décision de récupération d’indu avec le Règlement n° 883/2004

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 mars 2018, R.G. 2016/AB/508

Mis en ligne le vendredi 14 septembre 2018


Cour du travail de Bruxelles, 28 mars 2018, R.G. 2016/AB/508

Terra Laboris

Dans un arrêt du 28 mars 2018, la Cour du travail de Bruxelles renvoie à la récente jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne selon laquelle Règlement n° 883/2004 ne s’oppose pas à l’application des règles anti-cumul nationales en cas de cumul d’une prestation avec d’autres prestations de sécurité sociale acquises au titre de la législation d’un autre Etat membre ou d’autres revenus de toute nature obtenus sur le territoire d’un autre Etat membre.

Les faits

Un citoyen français, ayant presté dans différents pays d’Europe (dont la Belgique), a terminé sa carrière en Espagne. Il a introduit une demande de pension de retraite en 2011.

Le SPF interroge l’intéressé en ce qui concerne la poursuite éventuelle d’une activité et il répond par la négative.

La pension belge est octroyée à partir du 1er février 2011.

Il apparaîtrait, cependant, deux ans plus tard, que l’intéressé a été employé par une société à Madrid entre 1998 et 2013 et que, pour la période de 2011, 2012 et les quatre premiers mois de 2013, il se trouvait dans les liens d’un « contrat de relève » et aurait perçu des rémunérations, par ailleurs importantes.

La pension belge est dès lors suspendue et un remboursement de l’ordre de 20.000 euros est réclamé.

L’intéressé saisit le tribunal du travail, qui annule la récupération d’indu. Pour le premier juge, le contrat en cause est un contrat qui vise à diminuer le chômage des jeunes, en mettant en pension un employé qui réunit certaines conditions. Il perçoit alors 75% de sa pension et reçoit 25% de son dernier salaire. Pour le demandeur, il n’y a donc pas eu exercice d’une activité professionnelle au sens strict.

Le tribunal constate cependant que, dès l’introduction de la demande de pension, un formulaire E.202 avait été émis et que le SPF était, de ce fait, informé de la poursuite d’une activité. Le formulaire précisant qu’il continuait à exercer une activité rémunérée et l’intéressé ayant lui-même avait signalé qu’il n’exerçait plus d’activité, l’administration ne pouvait rester passive face à des données contradictoires qui avaient une incidence sur le droit à la pension. Le tribunal se réfère à l’article 17, alinéa 2, de la loi du 11 avril 1995, étant la Charte de l’assuré social, qui prévoit les situations dans lesquelles il ne peut y avoir, en cas d’indu, de remboursement rétroactif. La bonne foi de l’intéressé est retenue et le tribunal considère dès lors que le SPF ne peut poursuivre la récupération des prestations indues.

Appel est interjeté par celui-ci.

L’appel

Le demandeur originaire persiste à expliquer qu’il n’y a pas d’activité professionnelle, mais que les revenus qui lui ont été versés l’ont été dans le cadre d’un mécanisme de pension partielle, en vertu duquel, moyennant le recrutement d’un jeune travailleur, le travailleur qui quitte l’entreprise avant l’âge normal de la retraite perçoit un pourcentage de sa pension de retraite, le solde correspondant à son dernier salaire devant être assuré par l’employeur. Il considère par ailleurs que, s’il ne peut bénéficier de la pension de retraite belge, il y a eu erreur de l’administration et que l’article 17, alinéa 2, de la Charte doit trouver à s’appliquer.

Le Ministère public rend un avis, dans lequel il confirme le mécanisme appliqué, soulignant cependant que l’intéressé n’a pas dû prester pour bénéficier des 25% de son dernier salaire et que, sur le plan européen, les règlements de coordination ne contiennent pas de disposition qui autoriserait un Etat membre à ne pas tenir compte d’un régime légal de pension dans un autre Etat, et surtout de ses conséquences. Il estime que le régime en cause est inexistant en Belgique et ne peut être assimilé à un régime belge. Il n’y a dès lors pas d’indu, puisque le contrat de relève étant compatible avec la pension belge. A titre subsidiaire, il propose également de renvoyer à l’article 17, alinéa 2, de la Charte. Il estime expressément, à cet égard, que le cas particulier de l’intéressé aurait dû attirer davantage l’attention du SPF.

La décision de la cour

La cour constate que la mesure prise par le SPF est fondée sur l’article 25 de l’arrêté royal n° 50, qui vise le cas de l’exercice d’une activité professionnelle. Cette règle a été mise en œuvre par l’article 64, § 1er, de l’arrêté royal d’exécution. A l’époque des faits, il définissait l’activité professionnelle comme toute activité susceptible de produire des revenus au sens du C.I.R. (à savoir les revenus professionnels, et ce même si l’activité est exercée par une personne interposée).

La cour demande cependant des explications sur la nature du contrat en cause, nature qu’elle veut vérifier. Elle considère qu’il faut obtenir une traduction de ce texte pour pouvoir qualifier les revenus et elle s’interroge d’ailleurs sur la question de savoir comment les décisions ont pu être prises sans que le SPF n’ait pris connaissance de cette législation. Elle ordonne une réouverture des débats sur cette question.

Elle examine cependant déjà la conformité d’une décision de récupération de l’indu avec le Règlement n° 883/2004. L’intéressé a en effet exercé son droit à la libre circulation et la cour reprend les principes fondamentaux du droit européen à cet égard, principes rappelés dans l’important arrêt de la Cour de Justice du 21 janvier 2016 (C.J.U.E., 21 janvier 2016, Aff. n° C-515/14, COMMISSION c/ CHYPRE). Les travailleurs migrants ne peuvent perdre des avantages de sécurité sociale du fait qu’ils ont exercé leur droit à la libre circulation.

Il existe cependant des clauses de réduction des prestations, qualifiées de « anti-cumul », mais celles-ci font l’objet d’un encadrement particulièrement complexe et la Cour de Justice a été amenée à diverses reprises à vérifier si certaines règles pouvaient avoir cette qualification. Elle a donné la définition de la disposition anti-cumul dans plusieurs arrêts et a d’ailleurs confirmé récemment (C.J.U.E., 15 mars 2018, Aff. n° C-431/16, INSTITUTO NACIONAL DE LA SEGURIDAD SOCIAL (INSS) et TESORERÍA GENERAL DE LA SEGURIDAD SOCIAL (TGSS) c/ BLANCO MARQUÉS) que le Règlement n° 883/2004 ne s’oppose pas à l’application des règles anti-cumul nationales en cas de cumul d’une prestation avec d’autres prestations de sécurité sociale acquises au titre de la législation d’un autre Etat membre ou d’autres revenus de toute nature obtenus sur le territoire d’un autre Etat membre.

Les effets des règles anti-cumul sont cependant limités dès lors qu’ils apparaissent exorbitants ou disproportionnés. Plus particulièrement pour ce qui concerne des pensions de vieillesse, il faut examiner les articles 53 à 55 du Règlement, qui font une distinction entre les prestations autonomes et les prestations au prorata, s’agissant de vérifier si l’on est en présence de prestations de même nature et si les clauses anti-cumul existent dans un ou plusieurs pays.

La définition de prestations de même nature a également été donnée dans la jurisprudence, étant entendu qu’il ne faut pas s’arrêter lors de la classification de celles-ci aux caractéristiques seulement formelles.

La cour constate que ces principes n’ont pas été examinés dans le cours de l’instruction du dossier et elle pose dès lors la question de savoir si l’article 25 de l’arrêté royal n° 50 est une clause anti-cumul au sens du Règlement. Il en va de même si la pension belge et la pension partielle espagnole doivent être considérées comme des prestations autonomes de même nature et si, enfin, le principe de proportionnalité ne requiert pas que seule la partie des revenus qui dépasse les 25% de la pension qui ne sont pas payés soit prise en compte pour l’application de la disposition en cause.

La cour examine enfin la question de l’erreur de l’administration, au sens du Règlement, étant que celui-ci impose des obligations spécifiques aux institutions nationales. Ainsi, il est prévu par l’article 76, § 3, que les autorités et institutions des Etats membres peuvent communiquer directement entre elles ainsi qu’avec les personnes intéressées ou leur mandataire. Le Règlement d’application n° 987/2009 prévoit également des obligations spécifiques (transmission d’informations et pièces) pour les personnes auxquelles le Règlement s’applique. Se pose ici la question de définir la portée des obligations d’information et la cour répond sur ce point que, dans le contexte du Règlement européen, celles-ci doivent être appréciées en tenant compte des principes d’équivalence et d’effectivité et qu’il n’y aurait pas lieu de traiter ces obligations d’une manière plus ou moins sévère que si la question était purement nationale.

Il faut dès lors, pour l’appréciation de l’existence d’une erreur, être davantage documenté, d’où une réouverture des débats, annoncée à l’audience du 12 décembre 2018.

Intérêt de la décision

Ce bel arrêt contient deux axes, étant en premier l’examen de l’article 25 dans le contexte du droit européen, la cour voulant savoir s’il s’agit d’une clause anti-cumul au sens de celui-ci (articles 10 ainsi que 53 à 55).

La cour examine ensuite la question à partir de la notion d’erreur de l’institution de sécurité sociale, étant ici que c’est le formulaire européen (E.202) qui devait constituer la source de l’information, le SPF n’ayant pas à demander des informations complémentaires via le formulaire national. Les obligations des autorités et institutions sont fixées à la fois dans le Règlement n° 883/2004 et dans son règlement d’application et cette procédure prévoit des obligations spécifiques imposées aux personnes auxquelles le règlement de base s’applique. Elle considère que ces obligations telles que définies dans ces textes doivent respecter les principes d’équivalence et d’effectivité et qu’il n’y a pas lieu de les apprécier différemment que si la question était purement nationale.


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