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Conditions de la compensation légale entre des pécules de vacances et des dégâts à un véhicule de société

Commentaire de Trib. trav. Brabant wallon (div. Nivelles), 14 décembre 2017, R.G. 15/762/A

Mis en ligne le lundi 3 septembre 2018


Tribunal du travail du Brabant wallon (division Nivelles), 14 décembre 2017, R.G. 15/762/A

Terra Laboris

Par jugement du 14 décembre 2017, le Tribunal du travail du Brabant wallon (division Nivelles) reprend les conditions de la compensation légale au sens des articles 1289 et suivants du Code civil, appliquant celles-ci à une compensation faite d’office à la fin d’un contrat de travail entre un incontestablement dû (des pécules de vacances) et une dette contestée relative à des dégâts à un véhicule. Le tribunal rappelle également qu’il doit être tenu compte de l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978 pour ce qui est des sommes réclamées au travailleur suite à un constat de dégâts.

Les faits

Un employé est licencié en avril 2014. Il bénéficiait, au moment du licenciement, d’un véhicule de société, également à usage privé.

Lors de la rupture du contrat (démission), il remet les instruments de travail mis à sa disposition, dont le véhicule. Un constat contradictoire de l’état de celui-ci est fait. La société produit alors un devis rédigé unilatéralement par une société de réparation, fixant les dégâts à un montant légèrement inférieur à 1.000 euros. En conséquence, la société s’estime en droit de retenir le montant en cause sur les pécules de vacances, compensation qu’elle justifie comme « frais de voiture ». Le travailleur conteste cette retenue.

Une procédure est introduite par l’intéressé devant le Tribunal du travail du Brabant wallon, procédure qui porte sur une demande de condamnation au paiement du montant retenu sur le pécule de vacances.

Entre-temps, à l’issue du contrat de leasing, la société de leasing a facturé des dégâts à raison d’un montant de l’ordre de 650 euros et la société introduit une demande reconventionnelle à concurrence de cette somme.

La décision du tribunal

Le tribunal passe en revue les arguments de la société, en contestation du fondement de la demande originaire. Celle-ci considère en effet qu’il y a des dégâts et que la loi du 12 avril 1965 ne s’applique pas aux pécules de vacances.

Le tribunal relève que, si le constat a été opéré contradictoirement, l’évaluation de ceux-ci ne l’a pas été. Par ailleurs, vu l’inapplicabilité de la loi sur la protection de la rémunération aux pécules de vacances, se pose la question de savoir si l’employeur était autorisé à procéder à une compensation légale. Il rappelle à cet égard qu’il s’agit de dommages occasionnés, selon la société, au véhicule de la société. Il y a lieu de vérifier si ceux-ci ne seraient pas couverts par l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978. Le tribunal examine cependant d’abord les conditions de la compensation légale au sens des articles 1289 à 1299 du Code civil et notamment l’article 1291. Celui-ci exige que les deux dettes à compenser soient liquides et exigibles. La dette de la société concernant les pécules de vacances l’est, mais non celle relative aux dégâts au véhicule.

Dans les arguments de l’employé figure le renvoi à l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978, arguments que le tribunal retient pour conclure que les conditions légales en matière de compensation ne sont pas réunies. La demande de l’employé est dès lors fondée.

Quant à la demande reconventionnelle, étant la facture de la société de leasing en fin de contrat, c’est également l’article 18 qui doit déterminer les conditions d’intervention de l’employé. Si les dégâts ont eu lieu pendant l’occupation professionnelle, le travailleur ne peut être rendu responsable financièrement, sauf en cas de dol, de faute lourde, ou encore de fautes légères et répétées, conformément à la disposition légale, dont le tribunal relève encore expressément qu’elle déroge au droit commun. S’il y avait faute légère occasionnelle, le travailleur ne devrait pas en répondre.

Il renvoie encore à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 29 novembre 2006 (C. const., 29 novembre 2006, n° 185/2006), qui a rappelé le but du législateur, étant de mettre le travailleur à l’abri de la réparation, sur ses deniers, de tout dommage causé par faute légère occasionnelle dans l’exécution de son contrat de travail. Est soulignée par la Cour la circonstance que l’activité professionnelle génère un surcroît de risque et que les travailleurs exercent la leur au profit de l’employeur et sous son autorité.

Concluant que la société reste en défaut d’établir le dol, la faute lourde ou les fautes légères répétées, le tribunal estime qu’elle ne peut dès lors obtenir la condamnation du travailleur au montant réclamé par la société de leasing.

Reste encore un point, étant que la société se fonde sur la « car policy » signée par le travailleur. Le tribunal relève que ce document est rédigé uniquement en anglais et qu’il est dès lors contraire au Décret du 30 juin 1982 relatif à la protection de la liberté de l’emploi des langues et de l’usage de la langue française en matière de relations sociales entre les employeurs et leur personnel, ainsi que d’actes et documents des entreprises imposés par la loi et les règlements. Il est dès lors nul.

Intérêt de la décision

Ce jugement s’inscrit dans la ligne de la jurisprudence de plus en plus affirmée sur la question.

L’on peut notamment renvoyer à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 25 avril 2017 (C. trav. Bruxelles, 25 avril 2017, R.G. 2016/AB/158 – commenté pour SocialEye), où celle-ci a considéré que la limitation de la responsabilité du travailleur ne vaut que pour les dommages causés dans l’exécution du contrat et non en dehors de celle-ci. L’employeur (qui veut mettre à sa charge des dommages survenus au véhicule professionnel) doit prouver soit que le dommage a été causé en dehors de l’exécution, soit qu’il l’a été pendant celle-ci, avec les règles de limitation de responsabilité du travailleur dans cette seconde hypothèse. En outre, si le dommage est dû à l’usure consécutive à l’usage normal, il n’y a pas lieu à réparation (en l’espèce, kilométrage important du véhicule lorsqu’il a été mis à la disposition du travailleur et utilisation par celui-ci pendant deux ans). Dans la mesure par ailleurs où il n’est pas établi que les dommages constatés sont survenus en dehors de l’exécution du contrat, que l’employeur n’arrive pas à retenir un dol ou une faute lourde du travailleur, il ne resterait que l’hypothèse de la faute légère avec un caractère habituel qui pourrait entraîner l’obligation pour le travailleur d’intervenir dans le coût de la réparation.


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