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Règlement n° 1408/71 : conditions pour l’application du dispositif anti-cumul de prestations de pension de retraite

Commentaire de C.J.U.E., 15 mars 2018, Aff. n° C-431/16 (INSTITUTO NACIONAL DE LA SEGURIDAD SOCIAL (INSS) et TESORERÍA GENERAL DE LA SEGURIDAD SOCIAL (TGSS) c/ BLANCO MARQUÉS)

Mis en ligne le vendredi 31 août 2018


Cour de Justice de l’Union européenne, 15 mars 2018, Aff. n° C-431/16 (INSTITUTO NACIONAL DE LA SEGURIDAD SOCIAL (INSS) et TESORERÍA GENERAL DE LA SEGURIDAD SOCIAL (TGSS) c/ BLANCO MARQUÉS)

Terra Laboris

Dans un arrêt du 15 mars 2018, la Cour de Justice, saisie par une juridiction espagnole, rappelle la notion de prestations de même nature au sens du Règlement n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale, ainsi que les conditions dans lesquelles peuvent être appliquées des dispositions anti-cumul en cas de prestations perçues dans deux Etats membres ou dans un de ces Etats et dans la Confédération helvétique.

Les faits

Un travailleur ayant presté en qualité d’électricien dans le secteur minier bénéficie d’une pension de droit espagnol pour incapacité permanente à exercer cette profession. Il s’agit d’une maladie non professionnelle.

Au moment de l’octroi, l’intéressé est âgé de plus de 55 ans et se voit accorder un complément (20%), conformément à la loi. A l’âge de 65 ans, il perçoit une pension de retraite de la sécurité sociale suisse. Celle-ci est calculée sur la base des cotisations sociales versées dans le régime de cet Etat, la pension espagnole l’ayant été sur la base des cotisations versées en Espagne.

Le complément de 20% perçu dans ce régime lui est supprimé, au motif de son incompatibilité avec une pension de retraite. Un indu de plus de 17.000 euros lui est réclamé.

Une procédure est introduite par l’intéressé devant le Juzgado de lo Social de Ponferrada, qui annule la décision, sur pied de l’article 46bis, § 3, sous a), du Règlement n° 1408/71 (ou de l’article 53, § 3, sous a), du Règlement n° 883/2004). En vertu du droit européen, il ne peut y avoir incompatibilité que si la législation nationale prévoit la prise en compte de prestations étrangères. La règle n’existe pas en droit espagnol.

Appel est interjeté par l’institution de sécurité sociale, qui fait valoir qu’en droit national, le complément est suspendu dans plusieurs hypothèses (si l’intéressé continue à exercer un emploi ou s’il perçoit une pension de retraite dans un autre Etat membre ou la Suisse). La Cour de Justice est dès lors interrogée par le Tribunal Superior de Justicia de Castilla y León, qui pose cinq questions préjudicielles.

La première est de savoir si le régime d’exception figurant en droit espagnol est une clause de réduction au sens de l’article 12 du Règlement n° 1408/71. Après avoir constaté que la question entre bien dans le champ d’application matériel du Règlement, la Cour reprend la définition qu’elle a donnée dans sa jurisprudence de la « clause de réduction ». Une règle nationale doit être ainsi qualifiée lorsque le calcul qu’elle impose a pour effet de réduire le montant de la pension à laquelle l’intéressé peut prétendre en raison du fait qu’il bénéficie d’une prestation dans un autre Etat membre (la Cour renvoie aux arrêts VAN DEN BOOREN du 7 mars 2013, Aff. n° C-127/11, et INSALACA du 7 mars 2002, Aff. n° C-107/00).

La Cour relève que la raison de la suppression en cas de perception d’une pension de retraite est qu’il s’agit ici d’un revenu de substitution aux revenus issus du travail. En outre, le droit espagnol ne fait pas de distinction entre les pensions nationales et les pensions perçues dans un autre Etat membre. La pension perçue en Suisse entre dans cette notion, cet Etat devant être assimilé à un Etat membre de l’Union dans l’examen de la règle. La clause constitue donc, au sens de la jurisprudence constante de la Cour, une clause de réduction telle que visée à l’article 12, § 2, du Règlement n° 1408/71.

La question se pose ensuite de savoir si les prestations en cause sont de même nature, au sens du même Règlement, ou s’il s’agit de prestations de nature différente (ceci étant la troisième question, la Cour ne répondant pas à la deuxième, vu la réponse donnée à la première). Par « prestations de même nature », il faut entendre des prestations dont l’objet et la finalité ainsi que la base de calcul et les conditions d’octroi sont identiques. N’entre pas dans cette définition la prise en compte de caractéristiques purement formelles. La Cour conclut que la suspension du complément vise uniquement à adapter les conditions d’octroi de la pension d’incapacité permanente totale à la situation du bénéficiaire. Elle ne lui confère pas le caractère de prestations de nature différente. La Cour rappelle ses arrêts CELESTRE et alii (C.J.U.E., 2 juillet 1981, Aff. n° 116/80 et s.) et DI FELICE (C.J.U.E., 18 avril 1989, Aff. n° 128/88). La réponse à la question est dès lors que les prestations doivent être considérées comme étant de même nature.

Enfin, sur les deux dernières questions, qui portent sur les règles de cumul autorisé en cas de perception de prestations de même nature, par le Règlement n° 1408/71, la Cour examine l’article 46ter, § 2, sous a), de celui-ci. Cette disposition prévoit que les clauses anti-cumul prévues par une législation nationale sont applicables à une prestation calculée conformément à l’article 46, § 1er, sous a), i), du même Règlement uniquement lorsque deux conditions cumulatives sont remplies : le montant de la prestation doit être indépendant de la durée des périodes d’assurance ou de résidence et la prestation doit être visée à l’annexe IV, partie D, du Règlement. En l’espèce, la Cour constate que la prestation n’est pas reprise à ladite annexe. La réponse donnée sur la question de cumul est que l’article 46ter n’est dès lors pas applicable à la prestation.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour de Justice présente un intérêt évident, étant qu’il reprend les pistes à suivre pour les règles de cumul de prestations de même nature. Après avoir rappelé la définition de cette notion dans sa jurisprudence, la Cour conclut qu’il y a en l’espèce une clause de réduction au sens du Règlement. La prestation est en effet réduite, en raison du bénéfice d’une prestation dans un autre Etat membre. Par ailleurs, sur l’application du dispositif anti-cumul de l’article 46ter, la Cour rappelle que les Etats ont été tenus de faire figurer les prestations visées dans une annexe spécifique du Règlement.

La Cour a également rappelé l’autre condition permettant de faire valoir une interdiction de cumul, étant que le montant de la prestation doit être indépendant de la durée des périodes d’assurance ou de résidence accomplies. Dans les autres hypothèses, le travailleur ne peut être privé de ses droits.

Enfin, l’on notera que la Cour a examiné cette question dans le cadre de l’Accord CE-Suisse, dont l’annexe II relative à la coordination des systèmes de sécurité sociale assure notamment l’égalité de traitement des travailleurs ayant presté dans cet Etat et dans un autre Etat de l’Union.


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