Terralaboris asbl

Critères de la cohabitation et de la bonne foi

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 novembre 2007, R.G. 48.392W

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles, 21 novembre 2007, R.G. n° 48.392W

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 21 novembre 2007, la Cour du travail de Bruxelles a rappelé d’une part les principes guidant la définition de la cohabitation en matière de chômage, et d’autre part, les conditions de la bonne foi dans le chef du chômeur.

Les faits

Un couple de chômeurs, ayant trois enfants, continue après une séparation, à résider dans le même immeuble. Les enfants étant avec le père, celui-ci bénéficie des allocations au taux de chef de famille. L’épouse, qui occupe une partie de la maison, est considérée comme isolée.

Suite à une enquête, l’ONEm considère que les déclarations faites par l’épouse, à diverses reprises, ne sont pas conformes à la réalité et qu’il y a lieu de conclure à la cohabitation. Les indices retenus étant l’acquisition en commun, plusieurs années auparavant, de l’immeuble dans lequel les époux continuent à résider ensemble, le remboursement partiel par l’épouse d’une partie du prêt hypothécaire, sa contribution dans les frais de gaz et d’électricité, la petite superficie de son habitat, l’absence de boîte aux lettres et de sonnette à son nom, le non établissement d’un compteur, …

Le dossier de l’ONEm fait apparaître que l’épouse se considère comme locataire, le mari faisant valoir, pour sa part, que le fait qu’il habitait seul avec ses enfants avait été constaté par l’inspecteur de quartier. Il conteste constituer une unité économique avec son épouse et confirme que celle-ci occupe deux pièces dans la maison, pour son propre ménage, avec coin cuisine et sanitaires séparés.

La position du tribunal

Le premier juge constata qu’il y avait maintien d’une entité économique et cohabitation, et ce malgré la séparation amiable du couple.

Par contre, il retint la bonne foi, considérant qu’il n’était pas en présence d’un « montage », la récupération étant ainsi limitée aux 150 derniers jours indemnisés.

Sur le maintien de l’unité économique, le tribunal l’a déduit de l’existence d’un budget principalement commun, caractérisé par le fait que le remboursement hypothécaire de l’immeuble, certes effectué par débit du compte bancaire du mari, mais matériellement rendu possible que grâce à une contribution que l’épouse lui fournit, ainsi qu’elle l’a déclaré, en lui remettant de la main à la main un loyer et une contribution dans le paiement des factures d’énergie pour les pièces qu’elle occupe.

La position des parties en appel

L’ONEm interjette appel, sur la bonne foi des intéressés, qu’il considère absente. Il ne retient toutefois pas d’intention frauduleuse dans leur chef et ne sollicite que l’application de la prescription triennale.

Plus précisément, l’ONEm fait valoir que la vie sous le même toit ne pouvant être contestée, il appartient aux époux d’établir qu’ils ne règlent pas en commun les principales questions ménagères. En l’espèce, cette preuve n’est pas rapportée, l’Office considérant qu’au contraire il y a maintien d’une unité économique caractérisée par un budget principalement commun.

Pour l’Office la situation financière du mari est favorisée par la contribution de son épouse et il ne démontre pas que ses ressources cumulées (allocations de chômage + allocations familiales + loyer perçu par les locataires de l’immeuble – dont il ne précise pas le montant) lui permettraient de faire face, sans l’apport de son épouse, au remboursement de l’emprunt et au budget mensuel indispensable à l’éducation de ses enfants et à son entretien personnel.

En ce qui concerne la bonne foi, l’ONEm considère que le chômeur doit établir qu’il est totalement étranger aux circonstances qui ont conduit à l’indemnisation indue et que, à cet égard, le fait de dire qu’il n’y a pas de fraude ne suffit pas à établir la bonne foi.

Quant au couple, il persiste à contester la cohabitation et, en ce qui concerne l’hypothèse de l’obligation de remboursement, fait valoir sa bonne foi et demande la confirmation du jugement sur ce point.

La position de la Cour

Après avoir rappelé la définition de la cohabitation, telle que contenue dans l’article 59 de l’Arrêté ministériel du 26 novembre 1991, la Cour reprend quelques éléments de doctrine, étant que la cohabitation peut se définir comme étant la situation d’une personne qui, vivant avec d’autres sous le même toit et participant à l’entretien commun, bénéficie de ce fait de plusieurs avantages matériels qu’une personne isolée et supporte moins de charges qu’elle. Il a ainsi pu être retenu qu’il y a cohabitation par le fait du partage du loyer et des charges et l’économie en résultant. SI la cohabitation est une notion de fait, avant tout économique, elle implique, outre l’obligation de vivre sous le même toit, celle de former une « communauté domestique » et dans celle-ci entrent en compte les avantages matériels objectifs liés à une habitation sous le même toit, tel le partage du loyer et des charges, l’économie qui en résulte, telles également la constitution d’un pouvoir d’achat unifié et la réalisation en commun de diverses tâches ménagères qui entraînent nécessairement l’absence d’autonomie, l’absence d’étanchéité entre le ménage du chômeur et celui (ou ceux) formé(s) par les autres occupants de l’immeuble.

En l’espèce, divers indices établissent cette cohabitation et c’est effectivement ce qu’avait déjà retenu le premier juge quant au budget principalement commun. La rétrocession – fut-elle partielle – des allocations de chômage par l’épouse constitue dans le cas visé une contribution indispensable et essentielle au maintien dans leur patrimoine de l’immeuble dont ils restent copropriétaires en dépit de la séparation. La Cour retient encore d’autres éléments plus ponctuels (absence de paiement de factures d’énergie, absence de compteur séparé, etc.). Face à l’ensemble des indices et éléments ci-dessus, la Cour rejette dès lors les compositions de ménage produites, au motif qu’elles ne correspondent pas à la réalité.

Par ailleurs, la Cour ne va pas retenir la bonne foi, vu les déclarations inexactes qui ont été faites, retenant, au contraire que les intéressés ont organisé leur situation.

Intérêt de la décision

L’arrêt annoté développe la deuxième partie de la définition de la cohabitation étant le fait de régler principalement en commun les questions ménagères, examinant scrupuleusement dans le cas d’espèce les avantages matériels objectifs qui sont liés à l’habitation sous le même toit, étant les frais partagés et l’économie en résultant. Si l’arrêt rappelle que la cohabitation est ainsi incontestablement une notion de fait, avant tout économique, il y a lieu pour le chômeur d’apporter tous éléments permettant d’établir l’absence de cette communauté domestique.


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