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Fermeture d’entreprise : octroi d’une indemnité de transition ou d’une indemnité de rupture ?

Commentaire de Trib. trav. Brabant wallon (div. Nivelles), 15 mars 2018, R.G. 15/1.450/A

Mis en ligne le vendredi 3 août 2018


Tribunal du travail du Brabant wallon, division Nivelles, 15 mars 2018, R.G. 15/1.450/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 15 mars 2018, le Tribunal du travail du Brabant wallon (division Nivelles) considère qu’il n’y a pas lieu de suivre la position du Fonds d’indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d’entreprise, qui pose l’exigence d’un délai d’attente d’un an en cas de reprise par un nouvel employeur, en cas de cession d’actif, pour déterminer la nature de l’indemnité due au travailleur licencié.

Les faits

Une SPRL s’occupant d’activités d’enseignement a engagé une enseignante en contrat à durée indéterminée à temps plein. Cette SPRL tombe en faillite (faillite sous aveu) en janvier 2014.

Entre-temps, une ASBL avec une dénomination voisine est constituée et un nouveau contrat de travail est conclu avec l’enseignante. Il s’agit d’un contrat à durée déterminée d’une durée de cinq mois, pour des prestations à temps partiel.

Une déclaration de créance est introduite par l’intéressée au passif de la faillite de la SPRL.

Celle-ci se trouve opposée au Fonds de Fermeture, qui lui écrit que, suite à la faillite de son ancien employeur, les actifs ont été repris par l’ASBL qui l’a réengagée. Il précise qu’elle a cependant droit à une indemnité de transition, telle que prévue à l’article 35, § 2, 2e alinéa, de la loi du 26 juin 2002.

Celle-ci perçoit donc l’indemnité de transition, mais introduit une procédure devant le tribunal du travail. Elle demande la condamnation du deuxième employeur (ASBL) au paiement de l’indemnité compensatoire de préavis et, à titre subsidiaire, sollicite celle du Fonds à la même somme.

Pour la demanderesse, il y a même employeur et celui-ci ne pouvait conclure un contrat à durée déterminée. Pour ce qui est de sa réclamation vis-à-vis du Fonds, elle renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 5 mai 1997, qui a considéré que, si le réengagement n’est pas à durée indéterminée, le travailleur ne peut être considéré comme repris au sens de l’article 5, 2°, de la loi du 12 avril 1985.

Pour l’ASBL, il ne s’agit pas du même employeur, puisqu’il y a deux sociétés juridiquement distinctes et qu’il y a eu, en sus, une interruption de service. Pour celle-ci, le Fonds doit intervenir.

Pour le Fonds de Fermeture, il y a eu une reprise d’actif après faillite. Son Comité de gestion avait conclu que l’application de la jurisprudence de la Cour de cassation ne pouvait conduire à des constructions permettant de contourner l’application de la loi sur les fermetures d’entreprise, raison pour laquelle il a été prévu en son sein que les travailleurs devaient être considérés comme repris, sauf si, après une occupation d’un an chez le repreneur, ils pouvaient prouver qu’ils étaient toujours occupés dans un contrat « restrictif ». Cette condition n’est en l’occurrence pas remplie par l’intéressée.

La décision du tribunal

Le tribunal tranche, dès lors, entre ces différentes thèses, en rappelant en premier lieu ce qu’il faut entendre par « reprise d’actif » au sens de la loi du 26 juin 2002 (article 7). Il s’agit soit de l’établissement d’un droit réel sur tout ou partie de l’actif d’une entreprise en faillite, soit de la poursuite de l’activité principale de l’entreprise ou d’une division de celle-ci par un employeur qui n’a pas repris tout ou partie de l’actif ci-dessus. Il est indifférent, selon la disposition légale, que l’activité principale de l’entreprise soit poursuivie avec des travailleurs réengagés par l’employeur qui a repris l’actif ou par des tiers…

Le critère à retenir est la poursuite de l’activité principale. Après avoir rappelé les principes en matière de transfert d’entreprise, étant que l’entité transférée doit conserver son identité, il conclut qu’il y a cession d’actif en l’espèce, l’activité d’enseignement (activité principale) ayant été poursuivie.

Il relève, ensuite, le fait que l’intéressée n’a été reprise qu’à temps partiel et à durée déterminée. Ce n’est dès lors pas parce qu’il y a une reprise d’actif que le travailleur peut, vis-à-vis du nouvel employeur, réclamer l’indemnité de rupture sur la base de son ancienneté totale, car il peut, comme en l’espèce, être considéré comme n’ayant pas été repris. Pour ce, il faut un contrat de travail avec l’employeur qui a effectué la reprise d’actif au plus tard dans un délai de six mois suivant celle-ci et cette reprise doit être en conformité avec la CCT 32bis.

En ce qui concerne l’indemnité de transition, la Cour de cassation enseigne, dans son arrêt du 5 mai 1997, qu’en cas de reprise sous contrat à durée déterminée, l’exclusion du droit à l’indemnité de rupture à charge du Fonds n’est pas applicable. Le tribunal en conclut qu’en l’espèce, l’intéressée ne remplit pas les conditions de l’indemnité de transition, vu qu’elle a été reprise à durée déterminée et à temps partiel. Ne pouvant bénéficier de l’indemnité de transition, la travailleuse doit pouvoir bénéficier de l’indemnité de rupture en raison de son occupation antérieure et le Fonds ne pouvait la lui refuser.

Le tribunal considère qu’il a instauré un tempérament, étant la condition d’occupation d’un an, qui devrait lui permettre de prouver qu’il est toujours dans les liens d’un contrat à durée déterminée ou à temps partiel, condition qui – si elle est respectée – permettrait au Fonds de revoir sa décision et de payer l’indemnité de préavis en lieu et place de l’indemnité de transition.

Pour le tribunal, c’est une pratique administrative qui n’est pas acceptable. Il faut mettre en parallèle les dispositions de la loi du 26 juin 2002 sur les fermetures d’entreprise et la CCT 32bis : le travailleur ne sera considéré comme repris au sens de la loi de 2002 que si les articles 41 et 42 ainsi que l’article 14 de la CCT 32bis sont respectés.

Enfin, le fait que la demanderesse ait perçu l’indemnité de transition n’implique pas qu’elle a admis remplir les conditions pour y prétendre.

Le tribunal accueille dès lors la demande à l’égard du Fonds, déboutant cependant l’intéressée en ce qui concerne l’ASBL, deuxième employeur.

Une réouverture des débats est ordonnée aux fins de permettre au Fonds de chiffrer les montants de son intervention, tenant compte de l’indemnité de transition, qui doit venir en déduction.

Intérêt de la décision

La question tranchée par ce jugement ne donne pas lieu à une abondante jurisprudence. Le jugement rendu par le Tribunal du travail du Brabant wallon est d’autant plus important.

A plusieurs reprises dans sa décision, le tribunal relève qu’il y a lieu de mettre en parallèle les réglementations en matière de transfert et de fermeture d’entreprises.

Les faits de l’espèce étaient particulièrement emblématiques, puisque l’intéressée, qui avait une longue ancienneté au bénéfice d’une SPRL, avait été réengagée par une ASBL, mais dans des conditions toutes différentes, étant un contrat à durée déterminée et un horaire à temps partiel.

Le tribunal a rappelé que l’octroi de l’indemnité de transition ou de l’indemnité de rupture doit être apprécié en fonction des conditions réelles d’une éventuelle reprise. Il a cependant fustigé la condition posée par le Fonds de Fermeture de l’exigence d’un « délai d’attente » d’un an, qui permettrait de vérifier si les conditions nouvelles sont réelles ou si les parties ne sont pas revenues à la situation antérieure. Il s’agit, pour le tribunal, d’une pratique administrative sans fondement légal.


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