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Exercice non autorisé d’une activité d’indépendant : base de calcul en vue du remboursement des allocations de chômage

Commentaire de Cass., 19 février 2018, n° S.17.0066.F

Mis en ligne le lundi 16 juillet 2018


Cour de cassation (3e chambre), 19 février 2018, n° S.17.0066.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 19 février 2018, la Cour de cassation tranche une controverse, étant de déterminer sur quelle base devaient être fixés les revenus d’indépendant issus de l’exercice d’une activité autorisée en vue de calculer les montants à rembourser à l’ONEm : bruts ou nets ?

Faits et antécédents de la cause

Par décision du 15 octobre 2010, l’ONEm a exclu Mr A.E. du bénéfice des allocations de chômage à partir du 1er avril 2007, décidé de récupérer les allocations de chômage indument perçues à partir du 1er octobre 2007 jusqu’au 31 mai 2010, soit un montant de 8.281,11 euros, et prononcé une sanction administrative de sept semaines. Il lui est reproché d’avoir exercé une activité de travailleur indépendant non déclarée tout en percevant des allocations pour chômage temporaire et intempéries. Il ressort du dossier que le chômeur tenait le dimanche, et encore pas toujours, une échoppe sur le marché du Midi.

Mr A.E. a introduit contre cette décision un recours dont la recevabilité n’était pas contestée.

Par un jugement du 25 juin 2014, le Tribunal du travail de Bruxelles a confirmé l’exclusion et donc le principe de la récupération, en écartant le moyen du chômeur qui faisait grief à l’ONEm d’avoir manqué à son obligation d’information. Il a, par application de l’article 169, alinéa 5, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, limité la récupération à la somme de 2.395,61 euros compte tenu de la bonne foi du chômeur et réduit la sanction administrative à un avertissement.

L’ONEm a interjeté appel de ce jugement et Mr A.E. a formé un appel incident.

Par un arrêt du 18 mai 2017 (R.G. 2014/AB/842), commenté par Terra Laboris pour SocialEyeNews et publié avec le commentaire sur le site www.terralaboris.be, la Cour du travail de Bruxelles a rejeté l’appel incident du chômeur et donc confirmé le principe de la récupération. Sur le montant à récupérer, la cour du travail a souligné que l’article 169, alinéa 5, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 ne distinguait pas selon que les revenus provenaient d’un travail comme salarié ou comme indépendant et décidé que, compte tenu des modes particuliers à chacun de ces régimes de précompte professionnel et de cotisations sociales, le recours à la notion de revenu brut imposable était la solution la moins discriminante. Elle s’est également référée au commentaire de l’ONEm (Riolex article 169, alinéa 5, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, com. 6). Tout en précisant confirmer dans son intégralité la décision du tribunal, elle fixe néanmoins le montant à récupérer à 4.565,86 euros. Les pièces de la procédure auxquelles nous avons eu accès ne permettent pas d’expliquer cette différence.

Le pourvoi en cassation

La requête en cassation est publiée sur Juridat avec l’arrêt.

Le moyen unique de cassation invoque la violation de l’article 169, alinéas 1er et 5, de l’arrêté royal.

L’ONEm soutient que le raisonnement adopté par l’arrêt attaqué en l’espèce, qui consiste à soustraire les frais professionnels du bénéfice brut et donc à ne tenir compte que du résultat net (bénéfice) de l’activité ne peut être suivi. Le texte réglementaire est en effet clair quant au montant à prendre en compte. C’est bien au revenu brut qu’il est expressément fait référence dans le texte de l’article 169, alinéa 5, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991. La jurisprudence confirme également que c’est au revenu brut que doit se limiter la récupération lorsque cette disposition vient à s’appliquer. La requête cite plusieurs arrêts (C. trav. Liège, 1er avril 2014, 2013/AN/94 ; C. trav. Liège, 23 octobre 2012, 2011/AN/111 ; C. trav. Liège, 3 mai 2011, 63/2010 ; C. trav. Liège, 4 mars 2010, 8774/09) et se réfère également à l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 9 juillet 2014 (R.G. n° 2012/AB/1210 ), qui confirme la limitation de la récupération au montant brut des revenus dont le chômeur a bénéficié et qui n’étaient pas cumulables avec le bénéfice des allocations de chômage et reprend clairement les montants repris en face du poste « bénéfice brut » sur les avertissements extraits de rôle en vue de fixer le montant brut des revenus du chômeur en cause.

Selon l’ONEm, il est assez logique que l’article 169, alinéa 5, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 limite la récupération au montant brut des revenus et non au montant net (ou imposable) de ceux-ci, dès lors que des revenus nets peu importants peuvent résulter d’une importante déduction de frais. De nombreux travailleurs indépendants ne font pas de bénéfice d’un point de vue fiscal, leurs dépenses excédant leurs revenus. Le fait toutefois d’utiliser tout ou partie du montant brut des revenus générés par l’activité litigieuse en vue de réaliser des frais professionnels ne peut avoir d’impact quant à l’application de l’alinéa 5 de l’article 169 de l’arrêté royal.

L’objectif poursuivi par cette disposition est en effet d’éviter une disproportion entre les sommes perçues des suites de l’exercice de l’activité, lorsqu’elles restent limitées, et les allocations de chômage à restituer (H. MORMONT, « La révision des décisions administratives et la récupération des allocations de chômage payées indûment », in La réglementation du chômage : vingt ans d’application de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, Kluwer, 2011, p. 685). Raisonner comme l’a fait l’arrêt attaqué dans le cas d’espèce permettrait aux chômeurs qui n’ont pas déclaré leur activité accessoire de s’exonérer partiellement de la récupération des allocations indûment perçues en engageant de nombreux frais professionnels, qui viendraient ainsi fictivement limiter les revenus générés par l’activité accessoire litigieuse et réduiraient par la même occasion à peau de chagrin l’assiette de récupération à laquelle l’Office peut prétendre. Cela revient à admettre l’utilisation d’un mécanisme qui permet de contourner l’esprit de l’alinéa 5 de l’article 169 de l’arrêté royal, puisqu’il serait alors permis aux chômeurs de faire délibérément usage de tout ou partie du montant brut des revenus générés en vue de réaliser des frais professionnels pour systématiquement donner l’impression que l’activité litigieuse exercée ne génère que des sommes limitées.

L’arrêt commenté

La Cour casse l’arrêt attaqué en retenant que :

« Il suit des termes mêmes de (l’article 169, al.5) que c’est au montant brut des revenus produits par l’activité du chômeur que la récupération peut être limitée, sans qu’il y ait lieu de distinguer selon qu’il s’agit d’une activité salariée ou d’une activité indépendante. »

Intérêt de la décision

La Cour tranche ainsi dans ce très (trop ?) bref arrêt une question controversée et écarte l’existence d’une discrimination entre les salariés et les indépendants.

Sur le site de l’ONEm référencé dans l’arrêt attaqué et le commentaire de Terra Laboris, on peut lire, à l’heure de rédiger ces lignes :

« Contrairement aux dispositions précitées (soit celles des alinéas 2 à 4 et 6), il ne s’agit pas d’un droit dans le chef du chômeur mais d’une possibilité qui dépend de l’appréciation du directeur.
En cas de revenus comme salarié et d’allocations sociales, il est tenu compte du montant brut ; en cas de revenus comme indépendant, il est tenu compte du revenu net imposable ».

Concernant le premier alinéa, il n’a pas été soutenu dans le présent litige que la décision du directeur serait discrétionnaire et l’utilisation du terme ne permet pas à notre estime cette interprétation.

Concernant le second alinéa, l’ONEm n’est pas tenu par son interprétation administrative si elle est contraire au texte réglementaire.


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