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Comment s’évalue le besoin d’aide de tiers en accident du travail ?

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Dinant), 7 novembre 2017, R.G. 13/959/A

Mis en ligne le lundi 16 juillet 2018


Tribunal du travail de Liège (division Dinant), 7 novembre 2017, R.G. 13/959/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 7 novembre 2017, le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) rappelle la finalité de l’indemnisation de l’aide de tiers, le montant de l’allocation ne devant pas tenir compte du salaire réellement payé à la personne qui apporte cette aide.

Les faits

Un travailleur fut victime d’un accident du travail le 7 mars 2012, accident dont les séquelles furent fixées dans le cadre d’une procédure judiciaire. L’expert désigné par le Tribunal remit son rapport, qui fut entériné par un jugement du 18 avril 2017, seule restant en suspens la question de l’aide de tiers, sur laquelle les parties sont en désaccord persistant. L’expert a en effet accordé une allocation pour l’aide de tiers de 10%, chose que l’assureur conteste. Sa position est de considérer que cette aide doit être accordée en cas d’impossibilité de réaliser des gestes de la vie quotidienne. Une simple difficulté ne suffit pas. L’expert a en l’espèce invoqué des difficultés mais non une impossibilité. L’assureur considère également qu’une rééducation permettrait à l’intéressé de recouvrer une partie de ses facultés perdues.

Celui-ci plaide pour sa part que l’aide de tiers n’est pas réservée à l’état maximum de besoin et qu’une impossibilité n’est pas exigée, cette aide pouvant être retenue en cas de difficultés et de pénibilité d’accomplir des gestes de la vie courante. Il relève que l’expert s’est fondé sur la grille des Drs LUCAS et STEHMAN, grille qui a été correctement appliquée.

La décision du tribunal

Le tribunal reprend assez longuement les principes essentiels sur la question. Le siège de la matière est l’article 24, alinéas 4 et 5, de la loi du 10 avril 1971, en vertu duquel si l’état de la victime exige absolument et normalement l’assistance d’une autre personne, elle peut prétendre à une allocation complémentaire fixée en fonction du degré de nécessité de cette assistance, sur la base du revenu minimum mensuel moyen garanti (travailleur à temps plein). Le montant annuel ne peut dépasser douze fois ce RMMMG.

Il rappelle ensuite le caractère autonome de cette allocation par rapport à l’incapacité permanente et en reprécise le mode de calcul, étant que la référence ne se fait pas à la rémunération de base de la victime mais à celle de l’aidant.

La Cour de cassation est intervenue à plusieurs reprises pour préciser que cette aide n’exige pas nécessairement qu’il y ait une incapacité permanente totale (Cass., 10 mars 1980, Pas., 1980, I, p. 838) et que le forfait, qui limite actuellement le montant annuel maximum de l’allocation complémentaire au montant annuel du RMMMG, constitue un plafonnement de l’aide mais non un plafonnement du degré de celle-ci (le tribunal rappelant deux arrêts de la Cour de cassation, l’un du 28 février 1994 (n° 9628) et l’autre du 25 septembre 1974 (n° 5277).

Il convient de déterminer en fait l’importance de l’aide requise ainsi que son coût et, ensuite, s’il échet, de limiter le montant de l’allocation qui répare la nécessité de recourir à cette aide (C. trav. Gand, 6 juin 1996, R.B.S.S., 1997, p. 943).

Par ailleurs, la raison d’être de cette allocation est la perte de salaire légalement présumée des personnes qui aident la victime de l’accident, et ce indépendamment de leur situation (parent, allié, étranger à la victime, personne qui cohabite avec lui ou non, ou qui bénéficie d’un salaire propre ou non). Le tribunal y voit une nouvelle application du principe du forfait, qui est une caractéristique générale de la législation sur les accidents du travail. L’on peut dès lors être en présence d’une assistance prêtée par les proches.

Quant à l’objet de cette aide, renvoyant à la doctrine de Mme R. JANVIER (R. JANVIER, « Hulp van derden bij arbeidsongeval : voor en na de programmawet van 22 december 1989 », R.G.A.R., 1992, n° 11.957), le tribunal rappelle encore qu’elle doit porter sur les actes essentiels de la vie quotidienne : déplacements, préparation et consommation de la nourriture, possibilité d’assurer l’hygiène personnelle ainsi que de s’habiller, et encore possibilité d’entretenir son habitation et d’effectuer des travaux ménagers. Elle peut dès lors porter sur certains actes de la vie courante. L’aide ne peut dès lors être accordée si la personne continue à avoir une certaine autonomie (l’exemple étant pris de la marche à l’aide d’une canne).

Le tribunal s’interroge ensuite sur les critères d’appréciation de la possibilité pour la victime de continuer à accomplir certains actes, puisque la nécessité doit s’imposer « absolument ». Il prend les critères du temps, de l’effort déraisonnable ainsi que du danger. Il est malaisé de déterminer ce que recouvre la notion de « aide absolument nécessaire » : ceci ne vise pas nécessairement les actes essentiels de la vie quotidienne ; par contre, d’autres besoins tels que la communication sociale, les loisirs, etc., peuvent entrer dans la notion. Il se fonde sur la version de l’article 24 actuel, étant celle qui a été introduite par la loi du 22 décembre 1989 pour conclure que le besoin d’aide ne serait pas réservé aux seules activités « vitales », et renvoie, sur ce, également à l’arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 1974, pour la prise en compte d’une aide nécessaire pour les loisirs.

Enfin, sur l’appréciation par le juge, dans la mesure où n’y a ni critères ni méthode, c’est à ce dernier de constater et d’évaluer le degré d’assistance de tiers requis, évaluation pour laquelle il peut être amené à faire la distinction entre les soins non médicaux et les soins infirmiers, par exemple.

En l’espèce, l’expert a fixé le taux à 10%, retenant notamment que le travailleur ne peut utiliser un rasoir électrique, que sa main droite l’empêche de fermer seul ses boutons, d’enfiler seul un pantalon, des chaussettes ou des souliers, et qu’il n’est pas capable de couper seul ses aliments, non plus que d’effectuer des travaux de précision. Sur la base de ces critères, le tribunal conclut que l’assistance de tiers doit être évaluée par rapport au critère du degré de nécessité de celle-ci et qu’il faut l’évaluer en équité, avec raison et impartialité. Il ne faut pas tenir compte des frais réellement exposés ni des gestes de la vie courante que la victime serait dans l’impossibilité d’accomplir mais de ceux qu’elle ne peut plus accomplir normalement. C’est la jurisprudence de la Cour du travail de Mons, à laquelle le tribunal se réfère encore (C. trav. Mons, 20 février 2006, Chr. Dr. Soc., 2007, p. 354). L’évaluation de l’expert est dès lors confirmée.

Intérêt de la décision

Ce beau jugement du Tribunal du travail de Liège fait une analyse poussée des éléments d’appréciation à retenir pour l’examen de l’allocation pour l’aide de tiers. Après avoir rappelé le caractère autonome de celle-ci, qui est donc indépendante du taux d’incapacité permanente lui-même, le tribunal fait le rappel de la doctrine et de la jurisprudence essentielles sur la question. De nombreux critères d’appréciation sont repris, parmi lesquels l’on retiendra plus particulièrement la difficulté d’interpréter les termes de « aide absolument nécessaire ». Pour ce qui est de cette notion, centrale à la matière,elle ne recouvre pas nécessairement les actes essentiels de la vie quotidienne. Cependant, des actes tels que activités de réparation, de peinture, de tapisserie, d’entretien du jardin, etc. ne sont pas nécessairement visés, le tribunal précisant que « la solution est moins claire » pour ceux-ci.

Il n’échappera que, dans son arrêt du 25 septembre 1974, la Cour de cassation avait visé l’aide nécessaire pour les loisirs, faisant ainsi une interprétation large de la notion.

L’on ne pourra, enfin, s’empêcher de constater que, dans les items pris en compte, se retrouvent ceux fixés pour l’appréciation de la perte d’autonomie dans le cadre de la législation relative aux prestations pour personnes handicapées (déplacements, préparation et consommation de la nourriture, possibilité d’assurer l’hygiène personnelle et de s’habiller, possibilité d’entretenir l’habitation et d’effectuer des travaux ménagers).


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