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Travailleurs détachés : vérification de la réalité du détachement

Commentaire de C. trav. Mons, 14 décembre 2017, R.G. 2015/AM/433 et 2016/AM/113

Mis en ligne le vendredi 29 juin 2018


Cour du travail de Mons, 14 décembre 2017, R.G. 2015/AM/433 et 2016/AM/113

Terra Laboris

Dans un arrêt du 14 décembre 2017, la Cour du travail de Mons rappelle d’une part qu’en sécurité sociale, s’agissant d’un contentieux subjectif, les juridictions du travail bénéficient d’un pouvoir de pleine juridiction et, d’autre part, qu’en matière de détachement de travailleurs d’un autre Etat européen, il faut vérifier sur place si la société qui les envoie exerce réellement une activité.

Les faits

L’O.N.S.S. poursuit le paiement de cotisations de sécurité sociale du chef de prestations de quatre travailleurs. Ceux-ci sont de nationalité roumaine et exécutaient des travaux de rénovation d’un immeuble. Il a été conclu que ceux-ci, qui travaillaient pour compte du propriétaire, devaient être considérés comme occupés par ce dernier. Se posait, cependant, la question de savoir s’ils étaient dans les liens d’un contrat de travail avec une société polonaise, question à laquelle l’O.N.S.S. a répondu par la négative.

Une procédure a été introduite devant le Tribunal du travail du Hainaut. Celui-ci a fait droit à la demande de l’O.N.S.S.

La partie défenderesse (propriétaire) a interjeté appel.

Plusieurs arrêts ont été rendus par la Cour du travail.

L’arrêt du 8 septembre 2016

L’arrêt a ordonné une réouverture des débats aux fins de permettre à l’O.N.S.S. de s’expliquer sur les décisions intervenues et les procès-verbaux déposés au dossier.

Se posait plus particulièrement la question du destinataire de la régularisation d’office.

L’arrêt du 23 février 2017

Cet arrêt a ordonné une nouvelle réouverture des débats, demandant à l’O.N.S.S. de nouvelles explications en ce qui concerne les décisions, étant d’une part celle notifiée à la société polonaise et, d’autre part, celle visant l’appelant (personne physique).

L’arrêt du 14 décembre 2017

L’arrêt constate que l’O.N.S.S. n’a pas formellement retiré la décision prise vis-à-vis de la société polonaise et qu’aucune décision d’assujettissement n’a d’ailleurs été notifiée à l’appelant en ce qui concerne la déclaration d’affiliation d’office des quatre travailleurs. La position de l’O.N.S.S., qui s’appuie sur l’adage fraus omnia corrumpit, est que les actes juridiques posés par la société polonaise ne peuvent lui être opposés.

La cour tranche dès lors la question de sa saisine, rappelant qu’en vertu de l’article 580, 1°, du Code judiciaire, elle connaît des contestations relatives aux obligations des employeurs, prévues par la législation en matière de sécurité sociale. S’agissant d’un contentieux subjectif, le juge dispose d’une compétence de pleine juridiction avec, en principe, obligation de substitution. Par conséquent, l’absence de retrait d’une décision et l’absence de notification d’une décision d’assujettissement à l’appelant ne dispensent pas les juridictions du travail de procéder à l’examen de la qualification des relations entre l’appelant et les travailleurs.

La cour reprend ensuite l’historique des visites et contrôles. Il a notamment été acté dans un procès-verbal que l’appelant avait fait (ou laissé) travailler des ressortissants étrangers qui n’étaient pas admis ou autorisés au séjour de plus de 3 mois en Belgique sans avoir reçu au préalable l’autorisation de l’autorité compétente. Il s’agit d’une infraction à l’article 4, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 30 avril 1999 relative à l’occupation des travailleurs étrangers. En outre, il y a également infraction à l’arrêté royal du 5 novembre 2002 instaurant une déclaration immédiate de l’emploi. Il a encore été constaté qu’ultérieurement, ces travailleurs ont fait l’objet d’une Limosa de la part de la société polonaise en cause, ce qui a abouti à des notifications à cette dernière.

La cour examine, dès lors, le respect des dispositions en matière de détachement de travailleurs. Celles-ci, régies par la Directive n° 96/71 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996, ont donné lieu à la loi du 5 mars 2002, loi de transposition.

La cour reprend les principaux textes, rappelant les obligations spécifiques à l’occupation de travailleurs salariés détachés sur le territoire. L’article 139 de la loi-programme du 27 décembre 2006 fait obligation à l’employeur (son préposé ou mandataire) d’effectuer une déclaration auprès de l’O.N.S.S. par voie électronique. Sur le plan de la sécurité sociale, le travailleur régulièrement détaché sera soustrait à la sécurité sociale de l’Etat dans lequel il effectuera ses prestations. Le Règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004 du Parlement européen et du Conseil sur la coordination des systèmes de sécurité sociale prévoit en effet une exception à la règle selon laquelle est applicable la législation de l’Etat membre sur le territoire duquel le travailleur exerce une activité salariée, exception valable pour les travailleurs détachés envoyés dans un autre Etat membre pour effectuer des travaux limités dans le temps. Ceux-ci vont conserver l’affiliation à la sécurité sociale au régime de sécurité sociale de leur Etat d’origine, à la condition que soient respectées les obligations en la matière.

L’entreprise qui envoie des travailleurs sur le territoire d’un autre Etat membre doit, en premier lieu, exercer normalement ses activités dans le premier Etat, ceci signifiant l’exercice habituel d’activités significatives. La cour investigue, dès lors, à partir des éléments du dossier, aux fins de vérifier la chose. Or, en Pologne, là où l’inspecteur du travail polonais a fait son enquête, il s’avère que le siège social de l’entreprise ne révèle l’exercice d’aucune activité, ce bâtiment étant un logement multifamilial.

En conséquence, la cour conclut que l’on a affaire à une « boîte aux lettres », ce que confirme la suite de l’enquête polonaise. Il ne peut dès lors qu’être conclu à l’assujettissement de la sécurité sociale belge de ces travailleurs roumains, puisque les conditions du détachement ne sont manifestement pas remplies.

Les travailleurs doivent dès lors être considérés comme engagés par l’appelant, qui est leur employeur réel.

En conséquence, la cour confirme le jugement.

Intérêt de la décision

Cet arrêt reprend un premier principe, à vérifier lors de l’occupation de travailleurs détachés, dans le cadre de la réglementation européenne. A la fois la Directive n° 96/71 du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services et instaurant un régime simplifié pour la tenue de documents sociaux par les entreprises qui détachent des travailleurs en Belgique et le Règlement (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004 du Parlement européen et du Conseil sur la coordination des systèmes de sécurité sociale contiennent des règles très strictes. Celles-ci vont faire, dans un premier temps, l’objet de vérifications par les autorités compétentes belges, qui vont pouvoir renvoyer, comme en l’espèce, en cas d’occupation présentée comme exercée pour compte d’une société d’un autre Etat membre, vers les inspections sociales compétentes de cet Etat.

La première condition à vérifier est qu’il ne doit pas s’agir d’un « faux détachement », à savoir que ne peut être autorisé l’envoi de l’étranger (par une société qui n’aurait dans cet Etat aucune activité) de travailleurs vers un autre Etat membre. Il faut qu’il y ait l’exercice effectif d’une activité de cette entreprise dans l’Etat où elle a son siège, afin que puisse être vérifiée la réalité d’un détachement conforme à la réglementation européenne.

Ne s’est pas posée en l’espèce la question de la validité des documents A1 (E101) pour laquelle la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne est assez fournie, ces derniers temps. L’on peut à cet égard renvoyer à l’arrêt A-ROSA FLUSSSCHIFF (C.J.U.E., 27 avril 2017, Aff. n° C-620/15, A-ROSA FLUSSSCHIFF c/ UNION DE RECOUVREMENT DES COTISATIONS DE SÉCURITÉ SOCIALE ET D’ALLOCATIONS FAMILIALES D’ALSACE (URSSAF) et SOZIALVERSICHERUNGSANSTALT DES KANTONS GRAUBÜNDEN), ainsi qu’à l’arrêt ALTUN (C.J.U.E., 6 février 2018, Aff. n° C-359/16, ALTUN et alii – procédure pénale) (précédemment commentés).


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