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Travailleuse atteinte d’un cancer et licenciée au moment de la reprise du travail : discrimination sur la base d’un handicap

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 février 2018, R.G. 2016/AB/959

Mis en ligne le vendredi 29 juin 2018


Cour du travail de Bruxelles, 20 février 2018, R.G. 2016/AB/959

Terra Laboris

Dans un arrêt du 20 février 2018, la Cour du travail de Bruxelles alloue l’indemnité de protection due en cas de licenciement discriminatoire sur la base du handicap à une travailleuse victime d’un cancer, qui était en voie de reprendre progressivement le travail et avait fait une demande à cette fin, demande qui entraîna aussitôt son licenciement.

Les faits

Un contrat de travail à durée indéterminée pour des fonctions d’employée est conclu en avril 2006 entre une société de la région d’Anvers et une vendeuse. Il s’agit pour elle de travailler dans un magasin à Herent. La société exploite quatorze de ces commerces.

En novembre 2012, l’intéressée informe son employeur de ce qu’elle souffre d’un cancer (cancer du ganglion lymphatique). Pendant son incapacité de travail, elle est remplacée. Une reprise progressive du travail est envisagée à partir du 1er septembre 2014, l’intéressée prenant quelque temps auparavant contact avec son responsable. Le secrétariat social met un terme au contrat de travail quelques jours plus tard, soit avant la date de reprise prévue, moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de 6 mois et 6 semaines, le document C4 portant la mention d’absence de travail adapté.

Un échange de correspondance intervient avec l’organisation syndicale et, en août 2015, une requête est déposée devant le Tribunal du travail de Louvain, en paiement d’une indemnité de 6 mois de rémunération pour discrimination sur base de l’état de santé actuel et futur, ainsi que vu l’absence d’aménagements raisonnables étant donné l’existence d’un handicap. La même somme est réclamée du fait de discrimination sur le genre, ainsi encore qu’une indemnité de protection de maternité et une indemnité forfaitaire de 17 semaines en application de la C.C.T. n° 109.

Les demandes sont rejetées par jugement du Tribunal du travail de Louvain du 27 juin 2016. Le tribunal n’a pas retenu l’existence d’un handicap et a considéré que des éléments insuffisants étaient avancés pour conclure à une discrimination sur base de l’état de santé actuel et futur, la demande d’aménagements raisonnables en lien avec une reprise progressive du travail n’ayant pas été explicitement formée. Quant aux deux autres chefs de demande, la discrimination sur base du genre n’est pas en cause en l’espèce et l’information donnée à l’employeur sur l’état de grossesse n’a pas été faite. Sur le plan du caractère manifestement déraisonnable du licenciement, il retient que la décision de rupture a été prise pour des nécessités de fonctionnement de l’entreprise.

Appel est interjeté par la travailleuse. Celui-ci porte sur la discrimination sur base du handicap et/ou sur l’état de santé actuel et futur. La travailleuse demande en conséquence paiement de l’indemnité correspondante, à titre principal pour le handicap et à titre subsidiaire pour l’état de santé. A titre plus subsidiaire encore, elle réclame l’indemnité de la C.C.T. 109.

Unia est intervenu à la cause par requête en intervention volontaire du 7 novembre 2016, soutenant les chefs de demande de la partie appelante.

La décision de la cour

La cour entame un long examen des règles de droit européen sur la protection du handicap. Celui-ci débute avec le rappel de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, qui est la mesure de transposition de la Directive n° 2000/78 du 20 novembre 2000 du Conseil. Les deux critères fixés par l’appelante figurent parmi les critères protégés. La cour reprend les définitions légales en ce qui concerne la distinction directe ou indirecte, ainsi que l’abondante jurisprudence de la Cour de Justice sur le « handicap ». Il s’agit des arrêts classiques (CHACON NAVAS, RING, FOA et DAOUIDI).

Elle souligne la distinction opérée par la Cour de Justice entre les termes de « handicap » et de « maladie », précisant que, si ceux-ci ne peuvent être confondus, une maladie peut constituer un handicap, dans la mesure où la Directive n° 2000/78 ne vise pas uniquement les handicaps de naissance ou d’origine accidentelle en excluant ceux causés par une maladie. Si une maladie curable ou incurable entraîne une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs et si cette limitation est de longue durée, une telle maladie peut relever de la notion de « handicap » au sens de cette disposition (considérants n° 40 et 41 de l’arrêt RING, C.J.U.E., 11 avril 2013, Aff. n° C-335/11 et C-337/11).

En l’espèce, un cancer a été diagnostiqué en novembre 2012, ce qui a été communiqué immédiatement à l’employeur. La travailleuse a été absente, étant en incapacité totale pendant 21 mois. Lorsqu’elle s’est représentée, elle l’a fait avec la perspective d’une reprise du travail progressive, ce qui a été approuvé par le médecin-conseil de la mutuelle. L’intéressée étant alors suivie sur le plan médical, la cour conclut qu’il y a en l’espèce une atteinte physique, mais également psychique, de longue durée. Celle-ci l’empêchait de reprendre le travail à temps plein. Cette situation constituait dès lors une affection de longue durée répondant à la notion de handicap. Il y a dès lors handicap au sens légal.

Par ailleurs, en ce qui concerne les aménagements raisonnables, le C4 indique que ceux-ci n’existaient pas « pour cette travailleuse », ce qui, pour la cour, implique que les aménagements en cause existaient, mais pas pour elle.

La cour revient, ensuite, au rappel d’éléments de fait, étant les contacts entre parties. L’employeur soulevant qu’il n’avait pas eu l’intention de discriminer, la cour rappelle la doctrine de C. BAYART (C. BAYART, Discriminatie tegenover differentiatie, Arbeidsverhoudingen na de Discriminatiewet - Arbeidsrecht na de Europese Ras- en Kaderrichtlijn, Gent, Larcier, 2004, pp. 281-282), selon lequel il peut y avoir discrimination en dehors de toute intention de l’employeur de discriminer. Elle souligne encore que, une fois le handicap accepté, la travailleuse pouvait espérer de son employeur qu’il procède à des aménagements raisonnables et que, parmi ceux-ci, figurent un rythme de travail adapté ainsi que la possibilité de suivre des formations afin de remédier aux conséquences négatives du handicap.

En l’espèce, les aménagements sous la forme de la proposition de reprise progressive faite par le médecin-conseil ne constituent pas une charge déraisonnable pour l’employeur. La cour rejette les explications données par ce dernier quant aux modifications intervenues dans le mode de fonctionnement de l’entreprise pendant l’absence de l’intéressée, au motif qu’il s’agit de modifications courantes (webshop, système de caisse, etc.).

Examinant ensuite l’état de santé actuel et futur, la cour considère, avec le Ministère public, que la travailleuse apporte des éléments suffisants permettant d’établir qu’elle a été traitée de manière moins favorable qu’un autre travailleur, et ce eu égard à son état de santé. La société n’établit pas qu’il n’y aurait pas discrimination dans le licenciement.

Le jugement est dès lors réformé et la discrimination est retenue. L’indemnité forfaitaire de 6 mois est allouée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt fait une application très appropriée (outre qu’il est très documenté) sur la notion de handicap en droit du travail. L’on notera qu’en plus des décisions soulevées, qui ont progressivement affiné les principes de droit européen en la matière (CHACON NAVAS, RING, FOA et DAOUIDI), la Cour de Justice vient de rendre, le 18 janvier dernier, un arrêt statuant dans le cadre de l’article 2, § 2, sous b), i), de la Directive 2000/78/CE, s’agissant d’une différence de traitement fondée sur un handicap (C.J.U.E., 18 janvier 2018, Aff. n° C-270/16, CONEJERO c/ FERROSER SERVICIOS AUXILIARES SA, MINISTERIO FISCAL).

En l’espèce, l’arrêt a posé un jalon supplémentaire, puisque les faits portaient, ici, sur des absences intermittentes au travail justifiées et étant la conséquence de maladies imputables au handicap dont le travailleur est atteint. Elle a estimé que la réglementation nationale (espagnole en l’occurrence), qui prévoit la possibilité pour l’employeur de licencier pour le motif tiré de ces absences, n’est pas conforme avec la disposition de la Directive, sauf si la réglementation – tout en poursuivant l’objectif légitime de lutter contre l’absentéisme – n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci. Il appartient au juge national de vérifier cette question.


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