Terralaboris asbl

Travaux de transformation et de rénovation profonde de l’habitation, activité incompatible avec l’octroi des allocations de chômage ?

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 24 janvier 2006 et 28 mars 2006, R.G. 7.762/04

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Liège, section Namur, 24 janvier 2006 et 28 mars 2006, R.G. 7.762/2004

Terra Laboris asbl – Sophie Remouchamps

Dans ses arrêts des 24 janvier et 28 mars 2006, la cour du travail de Liège répond à cette question et est amenée à statuer sur la légalité des arrêtés royaux et ministériels ayant modifié la réglementation chômage, qui avaient une incidence sur la compatibilité d’une activité de rénovation de l’habitation avec l’octroi des allocations.

Les faits

Monsieur C., ouvrier de la construction, achète en mars 2001 avec sa compagne, mère de ses enfants, une maison qui nécessite d’importants travaux de rénovation et de transformation afin de la rendre habitable (à telle enseigne d’ailleurs qu’il a dû se résoudre à citer les vendeurs en dommages et intérêts pour vices cachés).

En janvier 2003, un inspecteur de l’ONEm procède à une visite sur le chantier et constate que Monsieur C. y est occupé à des travaux, avec deux de ses frères et sa compagne. Il n’est par ailleurs pas en possession de sa carte de contrôle.

En conséquence, le directeur du bureau de chômage prend une décision d’exclusion des allocations de chômage à dater de juillet 2001 (chômeur ayant déclaré être occupé aux travaux de rénovation depuis « un an et demi »).

Cette décision d’exclusion est fondée sur l’activité exercée par le chômeur, qui est considérée par l’ONEm comme dépassant les limites normales des biens propres eu égard à l’ampleur des travaux de rénovation, l’absence de preuve de la poursuite d’un but non spéculatif et enfin le fait que les travaux sont également réalisés pour sa compagne, qualifiée de tiers.

La décision l’exclut également pour la période de janvier 2003, au motif qu’il n’a pas pu présenter sa carte de contrôle au moment du contrôle. Une sanction d’exclusion de huit semaines est également prise, eu égard au fait que le chômeur a omis de noircir sa carte de contrôle alors qu’il exerçait une activité considérée comme incompatible avec le droit aux allocations. L’exclusion est également motivée par l’absence de présentation de la carte de contrôle.

Les décisions de la cour

Dans son arrêt du 24 janvier 2006, la cour du travail rappelle l’évolution qu’ont connue les articles 45 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et 18 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 2001, dispositions qui ont été modifiées à diverses reprises, dont par un arrêté royal du 26 mars 1996.

Retraçant l’évolution jurisprudentielle sur la question des travaux de rénovation effectués par un chômeur dans son habitation antérieurement à ce dernier arrêté, la cour relève que la législation a été modifiée afin de contrer la jurisprudence de la Cour de Cassation, qui avait censuré les décisions de fond liant la gestion normale des biens propres à l’absence d’accroissement du patrimoine du chômeur. Il résultait de la jurisprudence de la Cour de Cassation que la gestion des biens propres est susceptible d’engendrer une plus value du patrimoine, de sorte que cette considération ne permet pas de considérer qu’il s’agit d’une activité dépassant la gestion normale des biens propres, dès lors qu’aucun but spéculatif n’est poursuivi par le chômeur et que l’activité de construction exercée par celui-ci a pour but la conservation et/ou l’amélioration de son patrimoine à son profit propre.

Ainsi, le travail ne dépasse pas la notion de gestion des biens propres quoique les travaux d’aménagement ou de transformation soient importants ou encore qu’il s’agisse de travaux de construction.

La cour du travail relève que le texte de l’article 45 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 a été modifié par l’arrêté royal du 26 mars 1996 afin de prévoir explicitement qu’une activité n’est considérée comme limitée à la gestion normale des biens propres dès lors que l’activité ne permet que de conserver ou d’accroître modérément la valeur des biens.

Elle note cependant que la légalité de cet arrêté royal pose question, et ce eu égard à la motivation de l’invocation de l’urgence pour la dispense d’avis au Conseil d’Etat.

La cour du travail rouvre en conséquence les débats afin de permettre aux parties de se prononcer.

Dans l’arrêt ultérieur, du 28 mars 2006, la cour estime que l’urgence n’était pas motivée à suffisance, de sorte qu’il faut écarter les modifications introduites dans la législation et se référer aux dispositions antérieures.

Sur la base de celle-ci, et de la jurisprudence de la Cour de Cassation (rappelée ci-dessus), la cour du travail estime que, quoique le chômeur ait, par les travaux effectués, augmenté la valeur du bien et que les travaux étaient réellement importants, s’agissant pratiquement d’une reconstruction, l’activité n’est pas prohibée par la réglementation, de sorte qu’il ne pouvait être sanctionné ou se voir appliquer une décision d’exclusion.

Par ailleurs, dans l’arrêt précédent du 24 janvier 2006, la cour s’était prononcée sur la nature de l’activité (pour compte de tiers ou pour compte propre). Pour la cour, il s’agit d’une activité pour compte propre et non pour compte de tiers, l’immeuble ayant été acheté par le chômeur et sa compagne, afin de s’y installer en commun avec leurs enfants. Sous peine de créer une discrimination entre couples mariés et couples non mariés, la cour estime qu’il y a lieu de considérer qu’il s’agit effectivement d’une activité pour compte propre.

Enfin, quant à la décision d’exclusion fondée sur l’article 71 (absence de présentation de la carte de contrôle à la première réquisition d’un inspecteur social), la cour relève que l’obligation non respectée est indépendante de la nature ou la légalité de l’activité exercée par le chômeur, de sorte que la décision de récupération pour le mois de janvier 2003 (mois du contrôle) se justifie.

Enfin, sur la sanction appliquée par l’ONEm, la cour ordonne une deuxième réouverture des débats, relevant que la décision se fonde tant sur l’absence de présentation de la carte de contrôle que sur le caractère prohibé de l’activité exercée par le chômeur. Ce dernier point ayant été infirmé par la cour, celle-ci estime qu’il y a lieu encore d’examiner le fondement de la sanction vu qu’elle repose désormais sur des motifs non légitimes.

L’intérêt de la décision

Dans les décisions annotées, la cour du travail de Liège exerce un contrôle de la légalité des dispositions réglementaires dont on lui demande de faire application, sur la base de l’article 149 de la Constitution, et confirme une jurisprudence désormais bien établie, étant que, lorsque le Roi se dispense de demander l’avis préalable de la section de législation du Conseil d’Etat en ne motivant pas régulièrement l’urgence, il appartient aux tribunaux de l’ordre du judiciaire de ne pas appliquer les dispositions ainsi adoptées.

Comme l’arrêt le rappelle, la Cour de Cassation s’était déjà prononcée sur la légalité de l’arrêté royal du 31 décembre 1992 et de l’arrêté ministériel du 4 janvier 1993 (modifiant l’article 45 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 et l’article 18 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991). Suivant le même raisonnement, la cour du travail de Liège conclut à l’illégalité des modifications apportées par l’arrêté royal du 26 mars 1996.

L’arrêt présente également un autre intérêt, étant de rappeler que, quoique le chômeur ne soit pas marié, l’activité exercée dans un immeuble commun ne cesse pas, en l’absence de mariage, d’être une activité exercée pour son propre compte.


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