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Cohabitation et chômage : nouvel arrêt de la Cour de cassation

Commentaire de Cass., 22 janvier 2018, n° S.17.0039.F

Mis en ligne le jeudi 31 mai 2018


Cour de cassation, 22 janvier 2018, n° S.17.0039.F

Terra Laboris

Par arrêt du 22 janvier 2018, la Cour de cassation rejette un pourvoi contre un arrêt rendu par la Cour du travail de Liège le 13 février 2017, admettant, dans le cas du partage d’une maison unifamiliale, qu’il n’y avait pas règlement principalement en commun des questions ménagères avec les autres occupants.

Rétroactes

La question posée concernait deux sœurs, habitant dans le même immeuble, l’une au rez-de-chaussée avec sa grand-mère et l’autre à l’étage. Celles-ci partageaient les commodités. L’ONEm avait pris deux décisions, l’une pour chacune d’entre elles. Suite au recours introduit devant le Tribunal du travail de Liège, celui-ci avait conclu à la cohabitation, et ce tant avant qu’après le décès de la grand-mère (survenu entre-temps).

La cour du travail avait repris les règles de l’article 110 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, retenant le caractère transversal de la notion de cohabitation dans les diverses branches de la sécurité sociale.

La cour du travail avait interprété la notion de règlement principalement en commun des questions ménagères comme pouvant recouvrir deux aspects, et ceux-ci pouvant d’ailleurs se cumuler sans que ce ne soit requis : il s’agit soit de la mise en commun des ressources au-delà des aménagements pratiques liés à la vie sous le même toit, soit du règlement en commun des questions ménagères non financières.

La cour avait appelé à la prudence en ce qui concerne la mise en commun des ressources, l’évolution des modes de vie devant être pris en compte, et ce particulièrement eu égard à l’essor de la colocation et au marché locatif. Sa conclusion était que l’on ne peut déduire, en cas de partage d’un logement et de consommation d’énergie sans autre élément, qu’il y a cohabitation. La seule économie – qui va nécessairement découler de la vie sous le même toit et qui en est d’ailleurs le but – ne suffit pas pour qu’il y ait cohabitation. Des critères sont dès lors à considérer comme indifférents, étant le paiement de la part du loyer, la signature du bail et le paiement des factures d’énergie. Ceux-ci ne sont pour la cour que des conséquences du mode de vie et ils sont impuissants à démontrer le règlement principalement en commun des questions ménagères.

Le pourvoi

L’ONEm a formé un pourvoi contre cette décision, dans lequel il développe un moyen unique de cassation. Celui-ci vise, pour ce qui est des dispositions de la réglementation chômage, l’article 110 de l’arrêté royal et l’article 59, alinéa 1er, de l’arrêté ministériel. Selon le pourvoi, il y a règlement principalement en commun des questions ménagères à partir du moment où les personnes qui habitent un logement commun mettent en place une organisation pratique qui les amène à régler d’un commun accord les questions relatives à l’occupation du logement (règlement en commun des questions non financières) et à se répartir les frais du logement (mise en commun des ressources), la cohabitation procurant ainsi un avantage économico-financier.

Il s’agit d’une situation de fait qui doit s’apprécier au cas par cas et tenant compte notamment des avantages matériels objectifs liés au fait d’habiter sous le même toit. Le pourvoi réfute la nécessité d’un « projet commun » allant au-delà de la répartition de l’occupation des pièces communes, critère qui avait été retenu par la cour du travail. Le pourvoi y voit une violation des dispositions en cause.

La décision de la Cour de cassation

La Cour de cassation rejette celui-ci. Elle pose les principes comme suit : il faut, pour considérer qu’il y a règlement principalement en commun des questions ménagères – mais il ne suffit pas – que les personnes tirent de cette vie sous le même toit un avantage économique et financier. Il faut en outre régler en commun, et ce en mettant éventuellement en commun des ressources financières, les tâches, activités et autres questions ménagères (entretien et, le cas échéant, aménagement du logement, entretien du linge, courses, préparation et consommation des repas). La Cour poursuit qu’il ne suffit pas de partager les principales pièces de vie et les frais d’un même logement, de régler en commun les seules questions relatives au loyer et aux frais de ce logement et tirer de ceci un avantage économique et financier.

L’appréciation de la situation tient en fait et c’est le juge du fond qui appréciera s’il y a ou non règlement principalement en commun des questions ménagères.

L’arrêt de la Cour de cassation reprend ensuite les éléments retenus par la cour du travail pour arriver à sa conclusion qu’il n’y avait pas cohabitation et elle estime que, sur la base de ceux-ci, l’arrêt a pu légalement décider que l’intéressée ne réglait pas les questions ménagères principalement en commun avec sa sœur et leur grand-mère.

Intérêt de la décision

Cet arrêt s’inscrit dans l’évolution des positions sur la question. Il y a lieu de rappeler, comme le fait la Cour du travail de Liège dans son arrêt du 13 février 2017 (C. trav. Liège, 13 février 2017, R.G. 2016/AL/272 – précédemment commenté), que la notion de cohabitation reçoit une acception transversale dans les diverses branches de la sécurité sociale.

La cohabitation a régulièrement posé question et l’on peut rappeler que les hautes cours ont statué en 2011 pour ce qui est, dans le cadre de la loi du 26 mai 2002 relative au droit à l’intégration sociale, de la cohabitation avec un étranger en séjour illégal. La Cour constitutionnelle avait, ainsi, dans son arrêt du 10 novembre 2011 (C. const., 10 novembre 2011, n° 176/2011), posé le principe que, pour qu’il y ait cohabitation dans une telle hypothèse, ceci supposait que l’allocataire tire un avantage économico-financier de la situation. Le même enseignement avait été retenu par la Cour de cassation dans un arrêt quasi-concomitant (Cass., 21 novembre 2011, n° S.11.0067.F). Cette jurisprudence avait posé un premier jalon, étant qu’il y a lieu de vérifier l’existence – ou non – d’un avantage économico-financier issu du partage du lieu de vie.

Diverses décisions ont été rendues, à partir de l’année 2015 essentiellement, admettant que ne constituaient pas une cohabitation au sens de la réglementation chômage des hypothèses de co-location, co-housing, etc. (voir « Co-location, co-housing, cohabitation et sous-location : quel est le taux des allocations de chômage ? », Terra Laboris, 26 mai 2017), et la Cour de cassation a ultérieurement rendu le premier arrêt attendu (Cass., 9 octobre 2017, n° S.16.0084.N – précédemment commenté). Il s’agit d’un arrêt néerlandophone, dans lequel elle a donné la définition de la cohabitation : pour décider qu’il y a cohabitation, étant que deux personnes vivent sous le même toit et règlent principalement en commun les questions ménagères, il est exigé – mais ceci ne suffit pas – qu’elles retirent du partage de l’habitation un avantage économico-financier. Il est également exigé qu’elles mettent en commun des tâches, des activités, ainsi que d’autres questions ménagères, tels que l’entretien de l’habitat, éventuellement le règlement des questions de lessive, des courses, ainsi que la préparation et la prise en commun des repas, et même éventuellement qu’elles y affectent des moyens financiers.

Cette définition est répétée dans l’arrêt du 22 janvier 2018, qui vient ainsi confirmer l’approche réaliste de la question faite par les juridictions de fond.

Nul doute que cette nouvelle jurisprudence apportera des développements intéressants dans la matière.


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