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Absence d’immunité de juridiction de l’Etat étranger pour le personnel administratif et technique

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 novembre 2017, R.G. 2015/AB/730

Mis en ligne le jeudi 31 mai 2018


Cour du travail de Bruxelles, 7 novembre 2017, R.G. 2015/AB/730

Terra Laboris

Par arrêt du 7 novembre 2017, la Cour du travail de Bruxelles confirme la position de la jurisprudence en la matière : l’immunité de juridiction (ou d’exécution) de l’Etat étranger n’est pas absolue et ne peut être invoquée pour des actes de gestion, ainsi le paiement de la rémunération ou le droit aux pécules de vacances du personnel administratif.

Les faits

Une employée travaillant pour l’ambassade d’un Etat étranger sise à Bruxelles est licenciée moyennant prestation d’un préavis, qu’elle effectue.

Pendant l’exécution du contrat, l’Etat étranger cesse cependant de respecter la réglementation en matière de vacances annuelles. De même, il n’a pas complétement payé la rémunération due. Lors de la fin du contrat, il ne paie pas le pécule de vacances de sortie.

Une procédure est introduite devant le tribunal du travail, demandant le paiement des arriérés ainsi que des pécules.

Le Tribunal du travail de Bruxelles a rendu un jugement le 23 avril 2015, faisant droit à la demande. Il a considéré que l’immunité de juridiction ne pouvait être invoquée et a admis que la demande dans son principe et dans ses montants était fondée.

Appel est interjeté par l’Etat étranger, qui persiste à considérer qu’il bénéficie de l’immunité de juridiction. Par ailleurs, il fait valoir que l’affaire serait prescrite.

La décision de la cour

La cour renvoie à l’appréciation du tribunal, selon laquelle l’immunité de juridiction ne s’applique pas aux membres du personnel technique ou administratif d’une ambassade qui ne sont pas chargés d’une mission diplomatique. Il faudrait pour ce établir que l’intéressée effectuait des tâches liées à l’exercice de la puissance publique ou que ses fonctions étaient liées aux intérêts supérieurs de l’Etat.

L’arrêt renvoie à la doctrine de J. VERHOEVEN (J. VERHOEVEN, « La jurisprudence belge et l’immunité d’exécution », Mélanges offerts à Jacques Van Compernolle, Bruylant, 2004, p. 876), selon laquelle il ne suffit plus d’être souverain pour être soustrait à un jugement ou à son exécution forcée, il faut encore établir que, s’il n’en allait pas ainsi, la souveraineté ne serait plus en mesure de satisfaire les fins qui en justifient l’affirmation. Ceci signifie que l’immunité de juridiction est relative et qu’elle n’existe qu’en rapport avec les actes de souveraineté et non avec les actes de gestion. Il a déjà été jugé – et ce à diverses reprises – que les actes de puissance publique peuvent être définis par référence à la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques et que l’engagement et le licenciement d’un membre du personnel d’une ambassade, qui n’est pas chargé de missions diplomatiques, relèvent de la gestion privée de l’Etat étranger.

En l’espèce, l’intéressée était standardiste et avait un contrat de travail. Aucune pièce ne viendrait asseoir la thèse de la partie appelante, selon laquelle elle serait « diplomate ». L’Etat étranger ne peut dès lors invoquer l’immunité de juridiction aux fins de se soustraire à la procédure.

Sur la question de la prescription, la cour relève qu’il s’agit de non-paiement de salaires, étant non l’absence de paiement de ceux-ci mais l’absence d’un paiement partiel. Les principes généraux sont dès lors applicables et il ne peut être retenu qu’il y aurait prescription pour la période visée.

Pour ce qui est du fond de la demande, étant le droit de l’intéressée à des arriérés de rémunération, la partie appelante entend limiter ceux-ci à 35/38e, au motif que l’intéressée n’aurait pas travaillé à raison d’un temps plein – et ce alors que l’ensemble des documents pertinents (fiches de paie, C4) attestaient du contraire. La cour relève encore qu’aucun horaire de travail n’est produit qui permettrait à l’Etat étranger de prouver le régime de travail inférieur au temps plein.

Pour ce qui est des pécules de vacances, enfin, il est rappelé que le non-paiement de ces pécules est une infraction (sanctionnable à l’époque sur pied de la loi du 28 juin 1971). L’Etat étranger signalant qu’il aurait payé un « 13e mois » et que ceci équivaudrait au double pécule de vacances, la cour relève que – outre que ceci n’est pas établi – il ne peut être dérogé aux dispositions des lois coordonnées du 28 juin 1971 et de son arrêté d’exécution. Les parties ne peuvent dès lors convenir ou décider que le pécule de vacances serait contenu dans un autre avantage, ainsi, une prime.

Enfin, sur les intérêts, la partie appelante est également déboutée de sa demande d’en obtenir la suspension pendant 5 ans, au motif que le dossier n’aurait pas été diligenté pendant cette période. La cour rappelle que, dans cette hypothèse, chacune des deux parties peut accélérer la mise en état et que, ne l’ayant pas fait, l’Etat étranger – qui en avait la possibilité – ne peut demander la réduction de la période pendant laquelle l’intérêt légal est dû.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est l’occasion de rappeler la question de l’immunité de juridiction reconnue aux Etats étrangers. Celle-ci n’est pas absolue, comme l’a relevé la cour, étant intimement liée à la souveraineté elle-même. L’immunité de juridiction et d’exécution ne se justifie plus que parce qu’elle paraît utile, sinon indispensable, à l’exercice de certaines tâches ou responsabilités dans les rapports internationaux. Il n’est plus sérieusement contesté que celle-ci ne peut être invoquée pour des actes de gestion (iure gestionis) de l’Etat étranger.

Le caractère d’acte de gestion n’est pas influencé par le but réel poursuivi par l’Etat, seule la nature de l’acte étant déterminante.

L’arrêt reprend diverses décisions de jurisprudence et, particulièrement, de la Cour du travail de Bruxelles elle-même, qui ont jugé en ce sens (voir notamment C. trav. Bruxelles, 30 mars 2011, R.G. 2007/AB/49.521 et C. trav. Bruxelles, 9 janvier 2013, R.G. 2010/AB/374 – pour un expert économique dans cette affaire). L’on peut également retenir un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 15 septembre 2011 (J.T.T., 2012, p. 83 – pour une secrétaire, l’Etat étranger soutenant qu’elle détenait et utilisait des tampons officiels).

En l’occurrence, les fonctions de standardiste étaient établies par les fiches de paie et le contrat de travail ne reprenait pas d’autres informations qui seraient venues contredire la chose.


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