Terralaboris asbl

Les dispositions concernant le contrôle du comportement de recherche d’emploi des chômeurs sont–elles discriminatoires ?

Trib. trav. Charleroi, 22 septembre 2006, R.G. 65.973/R

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Tribunal du travail de Charleroi, 22 septembre 2006, R.G. 65.973/R

Terra Laboris asbl – Sophie Remouchamps

C’est par l’affirmative qu’a répondu le tribunal du travail de Charleroi dans un jugement du 22 septembre 2006. Sur un moyen soulevé par l’auditorat du travail, le tribunal a en effet conclu que la mesure d’exclusion visée par l’article 59 quinquies, § 6, alinéa 1er de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 est discriminatoire vis-à-vis des jeunes chômeurs (allocations d’attente). Il s’agit de la disposition qui exclut du bénéfice des allocations d’attente le jeune chômeur pour qui le bureau de chômage estime, lors du second entretien, qu’il n’a pas respecté les engagements souscrits dans le premier contrat.

Les faits

Le présent cas d’espèce concerne un chômeur qui bénéficiait des allocations d’attente depuis le 1er mai 2000 et était indemnisé comme « travailleur ayant charge de famille ».

En date du 30 mai 2005, il est convoqué pour un premier entretien, dans le cadre des dispositions « 59 bis et suivantes » de l’arrêté royal chômage, qui organisent le contrôle par le bureau de chômage du comportement de recherche d’emploi. Ne s’étant pas présenté à cette convocation, ni à celle ultérieure qui lui est envoyée, les allocations de chômage sont, dans un premier temps, suspendues.

Il se présente finalement le 27 juillet 2005, date à laquelle a lieu le premier entretien visé par l’article 59 quater, § 3 de la réglementation. Le directeur du bureau de chômage estimant qu’il n’a pas fourni suffisamment d’efforts, soumet à sa signature un contrat portant toute une série d’engagements.

Le contrat prévoit les obligations suivantes :

  • contacter le Forem afin d’examiner avec un agent son projet professionnel et les possibilités de formation ou d’accompagnement,
  • élaborer un c.v. et une lettre de motivation,
  • présenter spontanément sa candidature et s’inscrire auprès de deux bureaux d’intérim,
  • présenter spontanément sa candidature auprès de cinq entreprises au moins.

Lors du second entretien, destiné à évaluer le respect du contrat ainsi que les recherches d’emploi effectuées, le chômeur se présente sans document (il précise avoir rédigé un c.v. et une lettre de motivation mais se présente sans ceux-ci lors de l’entretien). Il ne déclare d’ailleurs qu’une seule postulation et ne fournit aucun document.

Le directeur estime en conséquence que l’évaluation est négative, le chômeur n’ayant pas respecté les engagements pris. Celui-ci se voit alors imposer la signature d’un second contrat (qui contient l’obligation de suivre des cours … d’alphabétisation).

En application de la réglementation, une décision d’exclusion du bénéfice des allocations d’attente pendant quatre mois est prise à son encontre, ainsi que cela est prévu par l’article 59 quinquies § 5, alinéa 5 et § 6, alinéa 1er.

C’est à l’encontre de cette décision d’exclusion que le recours est formé.

La position des parties

Dans le cadre de ce dossier, le demandeur, c’est-à-dire le chômeur exclu, était défaillant.

L’auditorat du travail a cependant soulevé, ainsi que lui incombe sa mission, une série d’éléments, dont le caractère discriminatoire de la sanction prévue par l’article 59 quinquies, § 6, en ce qu’elle est différente selon qu’il s’agit d’un jeune travailleur (qui se voit appliquer une mesure d’exclusion du bénéfice des allocations de chômage pendant quatre mois) et celui du chômeur ordinaire (qui percevra pendant la période des quatre mois une allocation réduite s’il a la qualité de travailleur ayant charge de famille ou d’isolé).

Ce qui est visé est ainsi une différence de traitement entre le chômeur bénéficiant d’allocations d’attente ayant charge de famille ou isolé et le chômeur bénéficiant d’allocations de chômage complètes ayant charge de famille ou isolé.

L’ONEm estime que, si des sanctions spécifiques sont appliquées aux bénéficiaires d’allocations d’attente, ceci s’explique par le fait que ce régime est un régime d’indemnisation spécifique, vu qu’y accèdent des personnes qui n’ont aucun passé professionnel.

La décision du tribunal

Dans un premier temps, le tribunal s’attache à vérifier le caractère justifié de l’appréciation faite par le directeur du bureau de chômage du comportement de recherche d’emploi de l’intéressé.

Le tribunal examine ainsi les évaluations faites après les premier et deuxième entretiens, concluant au caractère manifestement justifié de celles-ci.

Le tribunal examine également si les exigences contenues dans le contrat souscrit au terme du premier entretien semblent raisonnables, vu les critères légaux, examen qui se révèle également positif.

En conclusion, appréciant, après le directeur du bureau de chômage, le respect par le demandeur des obligations contenues dans la réglementation, le tribunal estime que l’application d’une mesure temporaire de privation des allocations, en application de l’article 59 quinquies, § 5, alinéa 5, est justifiée.

Le tribunal examine cependant si cette mesure d’exclusion temporaire des allocations de chômage est ou non discriminatoire. A cet égard, la juridiction rappelle qu’en application de l’article 59 de la Constitution, il lui appartient de vérifier la conformité des dispositions de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 aux principes constitutionnels d’égalité et de non discrimination (articles 10 et 11 de la Constitution).

Le tribunal se fonde sur les principes dégagés par la Cour de Cassation en la matière pour étayer son raisonnement.

Il estime ainsi qu’il s’agit de deux catégories de chômeurs dans une situation identique (travailleur ayant charge de famille ou étant isolé faisant l’objet d’une évaluation négative à l’issue du deuxième entretien) pour lesquelles une mesure différente est prévue, le bénéficiaire d’allocations d’attente se voyant sanctionner d’une manière plus sévère.

Quant à la question de savoir s’il existe une justification objective et raisonnable, le tribunal relève tout d’abord que le critère de distinction est objectif, reposant sur la catégorie d’allocations reçues (allocations d’attente et allocations de chômage).

Le tribunal s’attache par ailleurs à déterminer si la différence de traitement est raisonnablement justifiée, examinant tout d’abord le but de la disposition et ses effets. Le tribunal conclut que les sanctions prévues à l’issue du deuxième entretien sont conçues comme une « stimulation à la participation active à la procédure ». Au regard de cet objectif, l’existence d’une mesure plus sévère infligée aux bénéficiaires d’allocations d’attente n’apparaît pas comme une mesure objectivement raisonnable, n’étant pas particulièrement adaptée à leur situation. Au passage, le tribunal note qu’au niveau des effets de la mesure, celle-ci est susceptible de plonger le travailleur dans la précarité et dès lors d’hypothéquer les futures démarches de recherche d’emploi.

Le tribunal examine ensuite s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés (mesures particulières infligées aux bénéficiaires d’allocations d’attente) et le but poursuivi (incitation à la recherche d’emploi), concluant à la négative, puisque l’application d’une mesure identique aux deux catégories de chômeurs aurait pu servir de la même manière l’objectif, sans cependant provoquer des conséquences plus défavorables pour le jeune chômeur.

Le tribunal estime dès lors que la mesure est discriminatoire et qu’elle doit être écartée.

Sur les conséquences de cet écartement quant à la décision prise par l’ONEm, le tribunal rouvre les débats.

Importance de la décision

De très nombreuses voix s’étaient élevées contre la nouvelle procédure de contrôle du comportement actif de recherche d’emploi des chômeurs, qui avaient notamment critiqué la mesure prévue par l’article 59 quinquies, § 6, alinéa 1er, qui a pour objet de sanctionner, que ce soit par une exclusion ou une diminution des allocations de chômage, le chômeur qui échoue lors du second entretien. En effet, il est manifeste qu’étant privé de revenus ou voyant ceux-ci fortement diminués, le chômeur se trouvera dans des difficultés beaucoup plus grandes pour satisfaire aux exigences posées par le directeur du bureau de chômage. L’incitant à la recherche d’emploi apparaît ici à double tranchant.

Il faut rappeler qu’en application de cette disposition, le chômeur qui échoue lors du second entretien (c’est-à-dire celui qui n’a pas, aux yeux du directeur du bureau de chômage, satisfait aux exigences contenues dans le contrat proposé à l’issue du premier entretien) se voit appliquer une mesure temporaire de privation des allocations. Cette mesure peut être soit l’exclusion du bénéfice des allocations d’attente pendant une période de quatre mois soit la réduction des allocations de chômage pendant la même période. La décision d’exclusion s’applique au bénéficiaire des allocations d’attente (c’est-à-dire le jeune chômeur) ou au chômeur « ordinaire » qui est cohabitant au sens de la réglementation. Alors que la réglementation privilégie le chômeur ayant charge de famille ou isolé, elle n’accorde pas les mêmes égards au jeune travailleur, bénéficiaire des allocations d’attente qui a également charge de famille ou qui est isolé.

La décision examine la question du caractère discriminatoire de la différence de traitement existant entre le bénéficiaire des allocations d’attente, qui se voit infliger une décision d’exclusion des allocations de chômage, quelle que soit sa situation familiale, et les chômeurs ordinaires qui ont le statut de travailleur ayant charge de famille ou isolé, qui ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’une telle mesure d’exclusion.

Comme on l’a vu, la juridiction conclut son examen en estimant la mesure discriminatoire, ce qui est de nature à alléger quelque peu la sévérité de la mesure.
La décision présente également un autre intérêt, étant de confirmer le pouvoir d’appréciation du juge du comportement de recherche d’emploi du chômeur, le juge contrôlant si, de manière raisonnable, l’appréciation faite par l’ONEm est ou non justifiée.

NB : La Cour du travail de Mons a réformé ce jugement par arrêt du 29 juin 2007 (voir dans la rubrique).


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