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Accident du travail : condition de survenance dans le cours de l’exercice des fonctions

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 17 octobre 2017, R.G. 16/7.245/A

Mis en ligne le vendredi 13 avril 2018


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 17 octobre 2017, R.G. 16/7.245/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 17 octobre 2017, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles a examiné la condition légale de la survenance d’un accident du travail dans le cours et par l’exercice des fonctions (accident survenu dans le secteur public), condition qui contient une présomption légale, selon laquelle l’accident survenu au cours de l’exécution est présumé l’être par le fait de celle-ci.

Les faits

Un enseignant (statutaire) fait l’objet d’une audition disciplinaire en février 2016, audition menée dans le cadre d’une plainte pénale déposée par le pouvoir organisateur à son encontre. L’intéressé introduit ultérieurement une déclaration d’accident du travail, dans laquelle il fait valoir qu’il s’est effondré en sanglots suite à ces événements. Il est mis en incapacité de travail.

La Communauté française refuse de reconnaître l’accident au motif de l’absence d’événement soudain. La plainte pénale est classée sans suite, mais l’intéressé se verra infliger une peine disciplinaire en novembre 2016, peine contre laquelle il introduit un recours. Le recours aboutit, vu l’absence de preuve des faits reprochés.

Il est cependant resté en incapacité de travail et a été mis en disponibilité en octobre 2016.

Il introduit un recours devant le tribunal, demandant la reconnaissance d’un accident du travail, accident qui persiste à être contesté par la Communauté française, celle-ci estimant également que les faits ne sont pas survenus au cours de l’exécution des fonctions.

La décision du tribunal

Après avoir repris les conditions de principe pour qu’il y ait accident du travail, le tribunal examine en premier lieu la lésion, retenant qu’il s’agit d’un choc psychologique survenu au demandeur le 23 février 2016.

Les développements faits sur la question de l’événement soudain sont plus complexes, le tribunal précisant qu’il ne s’inscrit pas dans le courant jurisprudentiel qui exclut la qualification d’événement soudain dans l’hypothèse d’agressions verbales ou de discussions entre un travailleur et son supérieur hiérarchique, ces décisions reposant sur le principe que les événements en cause ne sortent pas du cadre habituel et normal des prestations de travail. Pour le tribunal, il s’agirait, ce faisant, de réintroduire le critère d’anormalité, qui est contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation.

Un contexte de harcèlement moral n’empêche par ailleurs pas la survenance d’un accident du travail. La déclaration de l’accident qui a été faite ainsi que les circonstances de celui-ci sont un élément à prendre en compte dans le cadre de l’établissement de la preuve et, en l’espèce, le tribunal pointe les explications données par l’intéressé. L’annonce de poursuites disciplinaires et la perspective de devoir se présenter devant le Collège communal pour se défendre d’accusations graves ont pu entraîner le choc psychologique en cause. Le tribunal admet dès lors que celui-ci a pu être provoqué par la réception d’un courrier lui annonçant lesdites poursuites.

Cependant, la condition de la survenance de l’accident dans le cours et par le fait de l’exercice des fonctions n’est pas remplie.

Dans divers arrêts, la Cour de cassation a défini la notion d’exécution du contrat de travail dans la matière des accidents du travail comme signifiant que, au moment de l’accident, le travailleur est soumis à l’autorité de l’employeur. Il se trouve sous cette autorité tant que sa liberté personnelle est limitée en raison de l’exécution du contrat de travail.

Le lieu de l’accident n’est dès lors pas totalement déterminant, puisque la liberté du travailleur peut être restreinte dans l’enceinte de l’entreprise comme en dehors, le tribunal citant notamment l’hypothèse du travail à domicile.

En l’espèce, l’intéressé a réceptionné le courrier chez lui et il précise d’ailleurs avoir eu le choc psychologique en cause au moment où il se préparait à se raser, étant dans sa salle-de-bain.

Pour remplir la condition requise, il doit démontrer qu’au moment de la survenance de l’événement soudain, il était en train d’exécuter ses prestations de travail et les seuls éléments produits (salle-de-bain et toilette en cours) n’établissent pas ce fait.

Pour le tribunal, il devrait prouver qu’il était en train de travailler à ce moment précis. Il relève que l’intéressé n’affirme pas que l’accident serait survenu dans le cours de l’exercice des fonctions, mais que les faits en cause s’inscrivent dans le cadre de la relation de travail avec l’employeur. Il rappelle que l’exigence légale est double, étant que l’accident doit être survenu dans le cours et (le tribunal souligne) par le fait de l’exercice des fonctions. Il y a une présomption légale, mais celle-ci joue dans l’autre sens que celui invoqué par le demandeur : c’est l’accident survenu dans le cours de l’exercice des fonctions qui est présumé, de manière réfragable, survenu par le fait de cet exercice, le tribunal précisant que ce n’est pas l’inverse. La preuve de cette condition n’est pas rapportée.

Reste encore un point qui pourrait être abordé, étant que l’article 2, § 2, 2°, de la loi du 3 juillet 1967 contient une extension du champ d’application de la loi dans une hypothèse spécifique, étant qu’est également considéré comme accident du travail celui subi par le membre du personnel en dehors de l’exercice des fonctions mais qui lui est causé par un tiers du fait des fonctions exercées par lui. Il s’agit d’une modification législative de 2007. Sont ici visés des accidents causés par un tiers, qui se déroulent en dehors de l’exercice des fonctions mais en représailles (d’un acte accompli par le membre du personnel ou simplement du fait qu’il est l’expression de l’autorité). Cette dernière hypothèse est écartée, de telle sorte que le tribunal conclut au débouté de la demande.

Intérêt de la décision

Dans le cadre de l’accident du travail, la victime (ou l’ayant-droit) a une triple preuve, celle relative à l’exigence de la survenance de l’accident dans le cours et par le fait de l’exercice des fonctions (ou du contrat) étant cependant adoucie du fait de la présomption légale selon laquelle l’accident survenu dans le cours est présumé l’être par le fait de l’exercice des fonctions (ou du contrat). Comme justement rappelé par le tribunal, si l’accident est survenu par le fait de l’exercice – ce qui est le cas en l’espèce, étant manifestement lié à la relation professionnelle –, il n’est pas survenu dans le cours de cet exercice.

S’agissant d’un enseignant dont il est admis qu’il prestait régulièrement à son domicile, comme tous les enseignants, le tribunal aurait pu conclure différemment. Il retient cependant, en l’absence de tout élément utile avancé à cet égard par le demandeur, qu’il n’y avait pas exercice des fonctions au moment où l’événement soudain est survenu.

L’on notera encore le rappel de l’extension du champ d’application de la loi du 3 juillet 1967 dans l’hypothèse où un dommage a été causé par un tiers en raison d’un acte antérieur accompli dans l’exercice des fonctions, ainsi que tout dommage causé par un tiers à un membre du personnel du fait de ses fonctions. Les travaux préparatoires du texte renvoient à l’hypothèse d’une agression perpétrée eu égard au fait que l’agresseur voyait dans le membre du personnel une expression de l’autorité.


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