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Violation du délai raisonnable : sanction

Commentaire de C. trav. Mons, 11 mai 2017, R.G. 2011/AM/385

Mis en ligne le lundi 15 janvier 2018


Cour du travail de Mons, 11 mai 2017, R.G. 2011/AM/385

Terra Laboris

Par arrêt du 11 mai 2017, la Cour du travail de Mons, statuant après un arrêt rendu par la Cour de cassation le 27 juin 2011 dans une affaire de cotisation spéciale de sécurité sociale, rappelle les règles du délai raisonnable d’une procédure et la sanction de sa violation.

Les faits

Les faits concernent l’exercice d’imposition 1985 (année de revenus 1984). Un indépendant et son épouse s’étaient à l’époque vu réclamer une cotisation spéciale de sécurité sociale, cotisation érigée par la loi du 28 décembre 1983 portant des dispositions fiscales et budgétaires. Cette cotisation était applicable aux bénéficiaires de revenus nets (I.P.P.) dépassant 3.000.000 d’anciens BEF.

Des rappels avaient été envoyés et, en fin de compte, une lettre recommandée avait été adressée en 1990. Une procédure avait alors été introduite par l’ONEm (chargé de la récupération) par citation du 18 février 1993. Les intérêts de retard sur le principal (de l’ordre de 150.000 anciens BEF) étaient réclamés à partir de décembre 1984, à un taux de 1,25% par mois dans un premier temps et de 0,8% par mois ensuite.

Un premier jugement par défaut avait été rendu en 1993 et l’ONEm avait formé opposition. Des demandes avaient été introduites à titre reconventionnel, aux fins d’obtenir la condamnation de l’Office à des dommages et intérêts pour procédure téméraire et vexatoire, ainsi qu’au remboursement d’un montant de 2.500 euros des frais et honoraires de l’avocat.

Le jugement du tribunal du travail a été rendu en février 2007. Il a déclaré la demande principale prescrite et les demandes reconventionnelles non fondées.

Suite à l’appel de l’ONEm, le jugement a été confirmé (pour d’autres motifs) par arrêt de la cour du travail du 2 avril 2009.

Un pourvoi en cassation a alors été introduit et la Cour suprême a rendu un arrêt le 27 juin 2011 (S.10.0016.F), arrêt qui a cassé la décision de la cour du travail. Pour la Cour de cassation, la prescription n’était pas acquise. En cas de recouvrement d’une cotisation spéciale de sécurité sociale, celle-ci prend en effet cours le dernier jour du mois suivant celui au cours duquel la feuille de calcul est adressée à la personne assujettie.

La cause a été renvoyée devant la Cour du travail de Mons.

Les décisions de la Cour du travail de Mons

La cour du travail a rendu un premier arrêt en date du 14 février 2013, par lequel elle a réformé le jugement entrepris et a dit pour droit que l’action en paiement de la cotisation se prescrit par 5 ans. Elle a sursis à statuer, pour le surplus, dans l’attente d’un arrêt de la Cour constitutionnelle, restant ainsi à trancher la question du point de départ du délai de prescription. Une question avait en effet été posée à celle-ci par la Cour du travail de Bruxelles dans un arrêt du 24 octobre 2012, s’agissant du contrôle de constitutionnalité des articles 60 à 73 de la loi du 28 décembre 1983.

La Cour du travail de Mons rappelle que celle-ci a déjà été saisie et a rendu deux arrêts en 2009 (9 juillet et 12 novembre 2009). Suite à l’enseignement de ceux-ci, la cour considère qu’en principe, sous réserve de la légalité de l’arrêté royal en cause (arrêté royal du 4 juillet 1984), le délai de prescription doit prendre cours le lendemain de la date de paiement indiquée dans la feuille de calcul.

La Cour constitutionnelle a répondu à la question de la Cour du travail de Bruxelles par arrêt du 26 septembre 2013 (n° 131/2013), concluant à la violation des articles 10 et 11 de la Constitution en ce que ces dispositions (articles 60 à 73) ne prévoient pas un délai de prescription raisonnable à compter de la date exécutoire du rôle fiscal de l’année en cause.

La cour du travail reprend de larges extraits de cet arrêt de la Cour constitutionnelle et, essentiellement, sa motivation, dans laquelle se retrouve l’arrêt de la Cour de cassation du 27 juin 2011 ainsi que deux autres, des 5 mars 2012 et 4 octobre 2010. Ces deux dernières décisions ont précisé que l’ONEm ne peut procéder au recouvrement de la cotisation aussi longtemps que la dette fiscale n’est pas définitivement établie, de sorte qu’en cas de réclamation ou de recours fiscal le délai de prescription ne prend cours qu’à l’expiration du mois suivant celui au cours duquel la nouvelle feuille de calcul (basée sur la décision fiscale définitive) a été adressée par l’Office au redevable de la cotisation.

Pour la cour du travail, il faut faire une lecture combinée de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 26 septembre 2013 et de l’arrêt de la Cour de cassation du 27 juin 2011, la Cour constitutionnelle ayant invité, dans sa décision, les juridictions de fond à appliquer les articles litigieux de la loi du 28 décembre 1983 dans le respect des articles 10 et 11 de la Constitution. Ceci suppose dès lors que l’ONEm établisse la feuille de calcul de la cotisation dans un délai raisonnable à compter de la date exécutoire du rôle fiscal.

En l’occurrence, un délai de 22 mois s’est écoulé. Pour la cour du travail, c’est un délai raisonnable, dans la mesure où il faut prendre en compte les délais de communication des données définitives et du traitement du dossier.

Le délai de prescription a dès lors commencé à courir en 1989. La demande en justice a été introduite dans les 5 ans et elle n’est dès lors pas prescrite.

La cour répond, ensuite, à l’argument tiré de l’illégalité de l’arrêté royal d’exécution du 4 juillet 1984 et rejette cet argument, dans la mesure où l’urgence a été invoquée et qu’elle est justifiée.

Se pose enfin vu le long délai une dernière question relative aux intérêts, dont la suspension est demandée tant pour la procédure administrative que pour la procédure judiciaire.

Aucune faute n’est imputable à l’ONEm dans le cours de l’instruction du dossier, de telle sorte que la cour rejette cette demande. En ce qui concerne la phase judiciaire, il s’agit d’appliquer l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et la Cour rappelle les critères généralement retenus dans la jurisprudence pour considérer que la durée d’une procédure a été raisonnable. Il s’agit notamment de la complexité de l’affaire, du comportement du requérant, ainsi que de celui des autorités et, enfin, de l’enjeu du litige. En cas de durée anormale de la procédure imputable à la partie demanderesse originaire et dans la mesure où il n’y a pas, dans la Convention, de sanction du dépassement du délai raisonnable, il a été répondu en jurisprudence par le recours à la théorie de l’abus de droit, qui permet d’indemniser le préjudice subi.

Cependant, la Cour de cassation a posé le principe que la sanction de l’abus de droit n’est pas la déchéance du droit, mais uniquement la réduction de celui-ci à son usage normal ou la réparation du dommage causé par l’abus (notamment Cass., 8 février 2001, n° C.98.0470.N)

Les intérêts moratoires ne peuvent dès lors être écartés purement et simplement, la cour ne pouvant non plus en réduire le taux. Ce qui peut être pris en compte, cependant, est la réduction de la période de calcul des intérêts.

La cour va ainsi retenir qu’une période globale (en plusieurs phases), de l’ordre de 10 ans et demi, s’est écoulée sans qu’aucune initiative ne soit prise. Les intérêts sont dès lors suspendus pendant celle-ci.

Intérêt de la décision

Ce très ancien contentieux (qui remonte donc à plus de 30 ans) donne régulièrement lieu à des décisions et l’on voit que la Cour de cassation a été saisie à plusieurs reprises récemment ainsi que la Cour constitutionnelle.

La question devrait actuellement être réglée, vu l’enseignement des deux hautes cours.

A la question spécifique du point de départ du délai de prescription en la matière, vient se greffer le principe du délai raisonnable dans lequel une affaire doit être jugée.

Rappelant qu’aucune sanction n’est prévue dans la Convention européenne des droits de l’homme, la cour reprend ici la solution dégagée en jurisprudence quant aux effets d’une violation, étant la suspension (possible) du cours des intérêts pendant une période à déterminer par le juge, mais non leur réduction ou leur suppression.


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