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Technicien ou scripte d’émissions de télévision : bénéfice de la non-dégressivité d’allocations de chômage ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 26 septembre 2017, R.G. 2016/AN/152

Mis en ligne le jeudi 11 janvier 2018


Cour du travail de Liège (division Namur), 26 septembre 2017, R.G. 2016/AN/152

Terra Laboris

Par arrêt du 26 septembre 2017, la Cour du travail de Liège (division Namur) reprend l’évolution de la réglementation relative aux travailleurs intermittents et, relevant que l’arrêté royal du 25 novembre 1991 prévoit actuellement, en son article 116, § 8, alinéa 2, qu’en cas de programmes radiophoniques ou de télévision, ceux-ci doivent, pour entrer dans le champ d’application de la notion, être d’ordre artistique, entreprend de définir cette exigence.

Les faits

L’assurée sociale travaille, en l’espèce, comme scripte ou assistante de réalisation pour des émissions de télévision. Elle perçoit des allocations de chômage pour les périodes de non-activité. Elle avait bénéficié, jusqu’au début de la période litigieuse, de l’avantage prévu à l’article 116, § 5bis, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, étant la non-dégressivité des allocations. Elle demande, en mai 2014, la prolongation de celui-ci. Il lui est demandé de justifier la présence d’artistes dans les émissions auxquelles elle disait collaborer.

Suite à l’instruction du dossier, l’ONEM prend, en date du 13 juillet 2015, une décision lui refusant la prolongation du bénéfice de la disposition en cause, au motif que l’activité exercée n’est pas une activité de technicien dans le secteur artistique.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Dinant), qui, par jugement du 10 juin 2016, y fait droit.

L’ONEm interjette appel.

Position des parties devant la cour

Pour l’ONEm, la définition d’activité artistique figure à l’article 116, § 8, de l’arrêté royal. Or, il s’agit en l’espèce de programmes d’information ludiques, sans caractère artistique. Il se fonde notamment sur un avis du C.N.T. (rendu par la Commission artistique).

Quant à l’intéressée, elle fait valoir qu’elle a effectivement travaillé sur des programmes télévisés d’ordre artistique et qu’elle devait bénéficier du régime prévu pour les techniciens du secteur. La notion n’est pas définie dans l’arrêté royal et il faut avoir égard aux exigences de finalité et de cohérence des dispositions en cause, s’agissant de renvoyer aux œuvres protégées par le droit d’auteur. Elle conteste que l’ONEm puisse exiger la présence d’un artiste de spectacle pour que l’avantage puisse être alloué. Il s’agit, pour elle, d’une condition supplémentaire ajoutée par l’Office à la réglementation.

Elle développe une thèse à titre subsidiaire, à savoir que, si la disposition en cause ne pouvait lui être appliquée, il y aurait une discrimination, les travailleurs du secteur artistique qui collaborent à des programmes de télévision étant traités différemment selon que ces programmes sont d’ordre artistique ou non. Le critère de distinction n’est ici pas objectif mais, au contraire, arbitraire. En outre, il n’est pas proportionné au but poursuivi, puisque ces buts n’ont pas été explicités par le texte.

La décision de la cour

La cour reprend les règles en la matière. Si, en principe (article 114 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991), le montant journalier de l’allocation de chômage va diminuer en fonction de la durée de l’indemnisation, il y a des exceptions, prévues à l’article 116, étant la règle spécifique de non-dégressivité.

La cour reprend le mécanisme du § 5bis de cette disposition, qui permettra, si l’assuré social apporte la preuve de l’exercice de 156 journées de travail dans les 18 mois précédant la demande, dans des activités techniques du secteur artistique et dans le cadre de contrats de travail de très courte durée, de ne pas voir son allocation réduite.

Des conditions plus spécifiques existent également, permettant encore le maintien de cet avantage ultérieurement.

Le § 8 définit les activités techniques dans le secteur artistique, étant celles exercées par un technicien ou dans une fonction de soutien, précisées par le texte (celui-ci reprenant essentiellement quatre hypothèses relatives à la préparation ou la représentation d’une œuvre en public, d’une œuvre cinématographique, d’un programme radiophonique ou de télévision d’ordre artistique, ou encore d’une exposition publique d’une œuvre artistique dans le domaine des arts plastiques).

Dans l’hypothèse des programmes radiophoniques ou de télévision, est donc précisé que ceux-ci doivent être « d’ordre artistique », ce qui n’est pas visé pour les autres hypothèses, aucune définition n’étant par ailleurs donnée de cet ordre artistique lui-même.

Pour la cour, il faut comprendre que ceci vise les programmes consistant en la diffusion par les medias concernés d’œuvres artistiques ou qui sont principalement consacrées à ce thème. En l’occurrence, l’intéressée travaille comme technicienne (ou dans une fonction de soutien) à la diffusion de programmes de télévision et se pose ainsi la question de savoir si ces programmes sont d’ordre artistique.

La cour examine donc ces programmes, qui sont des programmes d’information citoyenne ou ludique, sur le thème de l’Europe ou du Parlement européen. Ce ne sont pas des émissions de diffusion d’œuvres artistiques, s’agissant d’entretiens politiques, les émissions n’ayant pas par ailleurs pour thème principal l’art ou les activités artistiques. La cour écarte par ailleurs le renvoi aux matières couvertes par le droit d’auteur, relevant que la propriété intellectuelle est « assez indifférente » aux finalités poursuivies en l’espèce dans le cadre de la réglementation chômage.

Elle aborde ensuite la question du caractère discriminatoire des dispositions en cause. Elle estime que le critère de « l’ordre artistique » n’est pas dépourvu d’objectivité, étant une notion légale qui donne lieu à interprétation et accorde à l’autorité chargée de l’appliquer à des situations d’espèce une certaine marge d’appréciation. Cette notion ne relève pas de la stricte subjectivité. En outre, la distinction n’est pas dépourvue de justification ni fondée sur un critère sans pertinence ou disproportionné par rapport à celle-ci. Le Roi a pu légitimement admettre que les programmes d’ordre artistique étaient davantage susceptibles que les programmes d’autre nature de donner lieu aux occupations intermittentes des artistes et techniciens du spectacle qu’il entendait protéger.

Enfin, sur la question du standstill, également invoquée par l’intimée, la cour relève qu’il s’agit ici de savoir si la version actuelle de l’article 116 de l’arrêté royal (c’est-à-dire celle depuis l’entrée en vigueur de l’arrêté royal du 7 février 2014) viole ou non l’obligation de standstill.

Actuellement, la protection des travailleurs intermittents contre la dégressivité (outre les travailleurs de l’Horeca) est limitée aux travailleurs qui effectuent des activités artistiques ou des activités techniques dans le secteur artistique, la version précédente visant tous les travailleurs intermittents, c’est-à-dire ceux occupés exclusivement dans les liens de contrats de très courte durée de tous les secteurs d’activité (hors Horeca). Il pourrait donc s’en déduire un recul du niveau de protection sociale pour ceux de ces intermittents qui ne sont pas des artistes ou des techniciens du secteur artistique. Si ce recul était établi, il faudrait encore vérifier s’il est sensible et si existent des motifs liés à l’intérêt général. La cour constate que les parties ne se sont pas expliquées sur la question et ordonne la réouverture des débats.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la cour du travail ne manque pas d’intérêt à plusieurs égards : outre le rappel du régime particulier de non-dégressivité pour les travailleurs intermittents, il souligne qu’actuellement, le champ de la disposition s’est restreint, puisqu’il ne vise plus (hors l’Horeca) que les artistes ou techniciens du secteur artistique.

Cette question implique, bien évidemment, que soit examinée l’existence éventuelle d’une restriction par la norme nouvelle de la protection sociale dont ces travailleurs bénéficiaient auparavant.

L’on attendra avec grand intérêt la décision qui sera rendue dans le cadre de la réouverture des débats, la cour ayant fixé comme date de plaidoirie le 17 avril 2018…


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