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Choc psychologique d’un directeur d’établissement scolaire et accident du travail

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 18 juillet 2017, R.G. 2016/AL/505

Mis en ligne le mardi 9 janvier 2018


Cour du travail de Liège, division Liège, 18 juillet 2017, R.G. 2016/AL/505

Terra Laboris

Par arrêt du 18 juillet 2017, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle qu’un événement soudain peut être retenu dans un contexte de situation stressante sur le plan professionnel, donnant lieu, ainsi, en cas d’apparition d’une lésion, à la reconnaissance d’un accident du travail.

Les faits

Une directrice de l’enseignement secondaire (libre), précédemment professeure dans un autre établissement pendant une durée de 20 ans, est confrontée à un arrêt de travail du personnel de son établissement. Une consultation du personnel intervient ainsi et, à l’issue de celle-ci, la délégation syndicale informe la directrice de ce que sa présence n’est plus souhaitée dans l’établissement en cette qualité.

Celle-ci va alors réagir suite à cet entretien, faisant valoir qu’elle s’est sentie agressée, démunie et humiliée face à ce désaveu collectif. Elle expose ne pas avoir pu faire valoir son point de vue.

La contestation du personnel se poursuit et un préavis d’action est annoncé, demandant que la directrice n’assume plus de fonctions dans l’établissement.

Celle-ci tombe en incapacité de travail la semaine suivante et introduit une déclaration d’accident du travail. Elle y joint des attestations de témoins, émanant d’une autre directrice ainsi que d’un sous-directeur.

Les faits ne sont pas reconnus par la Communauté française comme constitutifs d’un accident du travail, au motif qu’il s’agit de faits usuels pour la fonction. Malgré l’envoi de documents complémentaires, ainsi que la remise d’un certificat médical de prolongation de l’incapacité de travail pour une période de cinq semaines, la Communauté française maintient son point de vue, au motif que, même si les faits sont émotionnellement perturbants, ils sont circonscrits dans les limites de la fonction de l’intéressée et que son intégrité physique n’a pas été menacée. Les menaces prises en compte, pour la Communauté française, aux fins de faire reconnaître un accident du travail, sont des menaces de mort, de viol ou une menace concernant l’intégrité physique. En l’espèce, il s’agit d’une menace de grève et celle-ci ne peut être retenue.

Les parties restent sur leur position et l’intéressée va, après de nouvelles tentatives de faire reconnaître l’accident, introduire une procédure devant le tribunal du travail le 8 janvier 2015.

Celui-ci admet, par jugement du 28 juin 2016, qu’il y avait accident du travail et, en conséquence, il a désigné un expert.

La Communauté française interjette appel, demandant la réformation du jugement. A titre subsidiaire, elle demande à être autorisée à prouver des faits côtés.

La décision de la cour

La cour reprend la disposition pertinente, étant l’article 2 de la loi du 3 juillet 1967, qui contient une définition de l’accident du travail dans le secteur public.

Elle s’attache à rappeler la jurisprudence constante de la Cour de cassation, et ce depuis le premier arrêt rendu le 26 mai 1967 (Cass., 26 mai 1967, Pas., 1967, I, p. 938), ainsi que les décisions rendues par la Cour suprême selon lesquelles il n’est pas exigé que l’événement soudain se distingue de l’exécution du contrat de travail. Ainsi, un stress professionnel dû aux conditions de travail inhérentes à la fonction peut constituer celui-ci (la cour renvoyant à Cass., 13 octobre 2003, n° S.02.0048.F).

La cour précise ensuite les contours qui ont déjà été dégagés en jurisprudence sur la question précise de circonstances particulièrement énervantes ou éreintantes dans lesquelles la victime est placée, circonstances pouvant donner lieu à un accident du travail.

Pour la cour du travail, il est bien établi qu’en l’espèce, à un jour déterminé et à une heure déterminée, deux permanents et six délégués syndicaux se sont rendus dans le bureau de l’intéressée et que – excluant toute possibilité de négociation ou de dialogue – ils lui ont signifié que sa présence n’était plus souhaitée et qu’à défaut de départ volontaire, un préavis d’action serait déposé.

La directrice ayant vécu cette situation comme particulièrement stressante, la cour constate qu’il y a des faits précis et situés dans le temps et dans l’espace. Ceux-ci ne peuvent être réduits à l’annonce d’un préavis de grève, mais sont plus larges : c’est une action visant explicitement à ce que l’intéressée n’exerce plus de responsabilités dans l’établissement, action dans laquelle un moyen de pression a été exercé sur le pouvoir organisateur, étant le résultat d’une consultation auprès des membres du personnel.

La cour va encore retenir que, l’événement soudain ne devant pas avoir un caractère imprévisible, il faut admettre, comme la jurisprudence a déjà pu le faire, que le fait qu’une situation était déjà tendue avant une réunion et que cette poursuite de la tension était prévisible ne devait pas intervenir dans l’appréciation de l’existence de l’événement soudain, la seule circonstance de la situation stressante pouvant être celui-ci.

Elle suit la position de l’intéressée, selon laquelle ce n’est pas parce que des tensions existaient que les faits du jour en cause étaient prévisibles, d’autant qu’aucune réunion ne devait avoir lieu ce jour-là.

Il est dès lors acquis, pour la cour, que l’intéressée a été victime d’un accident du travail, d’autant qu’elle n’a pu reprendre le travail dans les semaines qui ont suivi et que les tentatives de reprise intervenues dans les deux années suivantes ont été un échec, vu la persistance d’une vive opposition dans le chef des représentants syndicaux. La cour note encore que l’intéressée est tombée en disponibilité pour cause de maladie et qu’elle a été examinée par la Commission des Pensions de Medex, qui a admis qu’elle était inapte temporairement et, in fine, définitivement, l’intéressée ayant été admise prématurément à la pension.

Appel a cependant été interjeté par la directrice de cette décision d’inaptitude définitive, l’intéressée estimant qu’elle pourrait néanmoins reprendre des fonctions ailleurs.

La cour retient, en conséquence, également l’existence d’une lésion et rejette encore un argument de la Communauté française selon lequel l’intéressée se serait mal acquittée de ses fonctions de directrice, la cour rappelant que cette circonstance est indifférente pour la reconnaissance d’un accident du travail.

Enfin, elle retient que les documents médicaux font état d’un burnout lié à une situation de harcèlement au travail, mais estime que ceci ne permet pas de considérer à ce stade de son examen que la lésion est exclusivement imputable au harcèlement dont l’intéressée aurait été victime depuis plusieurs années. L’existence d’un trouble anxio-dépressif réactionnel étant avérée, la cour désigne un expert, rappelant encore que le lien de causalité est présumé légalement et que la présomption peut être renversée dans le cours de l’expertise.

Elle estime devoir préciser dans la mission de l’expert que, vu la présomption légale, il convient de demander à celui-ci, dans la perspective du renversement éventuel de la présomption de causalité, de dire s’il est établi, avec le plus haut degré de vraisemblance possible, que la lésion n’est pas imputable, même partiellement, à l’événement soudain.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est particulièrement intéressant, s’agissant non seulement d’une situation encore parfois contestée, étant de savoir si, dans un contexte de risque psychosocial où semblent avérés une situation de harcèlement et un constat médical de burnout, un événement soudain peut être retenu, susceptible de donner lieu à la reconnaissance d’un accident du travail.

La cour opte par l’affirmative, rappelant qu’un événement soudain ne doit pas se distinguer du cours normal de l’exécution de la tâche journalière et que, en l’espèce, il ressort des déclarations de témoins directs que l’entretien a été particulièrement mal ressenti par l’intéressée et qu’elle a réagi, suite à celui-ci, par des manifestations physiques incontrôlées (pleurs, sentiment d’humiliation et choc traumatique).

L’on notera que la cour du travail a rejeté la vision (étroite) de l’appelante, selon laquelle ne pourraient être retenues, dans l’hypothèse de menaces, que des menaces de mort, de viol ou encore d’atteinte à l’intégrité physique. Aucun fondement légal à cette position n’existe.


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