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Règlement 1408/71 : deux arrêts de la Cour de Justice sur la notion d’exercice d’activités dans plusieurs Etats membres

Commentaire de C.J.U.E., 13 septembre 2017, Aff. n° C-569/15 (X c/ STAATSSECRETARIS VAN FINANCIËN) et C.J.U.E., 13 septembre 2017, Aff. n° C-570/15 (X c/ STAATSSECRETARIS VAN FINANCIËN)

Mis en ligne le lundi 18 décembre 2017


Cour de Justice de l’Union européenne, 13 septembre 2017, Aff. n° C-569/15 (X c/ STAATSSECRETARIS VAN FINANCIËN) et Cour de Justice de l’Union européenne, 13 septembre 2017, Aff. n° C-570/15 (X c/ STAATSSECRETARIS VAN FINANCIËN)

Terra Laboris

Dans deux arrêts du 13 septembre 2017, la Cour de Justice de l’Union européenne rappelle le principe du rattachement à l’Etat d’emploi, en matière de sécurité sociale, et reprend les conditions dans lesquelles il peut être dérogé à la règle, tenant compte également de la situation où des activités sont exercées de façon ponctuelle.

Rétroactes

Le 13 septembre 2017, la Cour de Justice a rendu deux arrêts, dans des affaires similaires, où elle était interrogée sur l’interprétation de l’article 13, § 2, sous a), et de l’article 14, § 2, sous b), i), du Règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (dans sa mouture tenant compte des versions mises à jour par le Règlement n° 118/1997 du Conseil du 2 décembre 1996, lui-même modifié par le Règlement n° 592/2008 du 17 juin 2008).

Il s’agit de deux affaires néerlandaises opposant chacune un citoyen au Secrétaire d’Etat aux Finances au sujet d’un avis d’imposition au titre de l’impôt sur le revenu et de cotisations de sécurité sociale.

L’affaire C-569/15

L’affaire C-569/15 concerne un ressortissant néerlandais qui réside et travaille aux Pays-Bas au service d’un employeur qui y est établi. Il a pris un congé sans solde de trois mois (décembre 2008 – février 2009). Pendant celui-ci, le contrat de travail a été maintenu.

Pendant cette période, l’intéressé a séjourné en Autriche, où il a travaillé comme moniteur de ski, pour un autre employeur.

Cette période de congé sans solde a été la seule qu’il a prise à l’époque. Cependant, en 2010, il a été inscrit à deux reprises dans les registres de la sécurité sociale autrichienne. La situation s’est poursuivie jusqu’en 2013 (inscription une fois par an à raison d’une ou deux semaines). La question posée, outre celle du calcul de l’impôt sur le revenu, concerne les cotisations de sécurité sociale : il y a lieu de savoir si, pendant les deux premiers mois de l’année 2009 (étant les deux derniers mois du congé sans solde), l’intéressé était affilié au régime néerlandais et devait dès lors verser des cotisations.

Le juge néerlandais a considéré que, vu le maintien du contrat de travail, la législation néerlandaise s’appliquait pendant ces deux mois. Cette position a été confirmée en appel et l’intéressé a introduit un pourvoi en cassation, qui a amené le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) à poser deux questions préjudicielles à la Cour de Justice.

L’affaire C-570/15

Dans l’affaire C-570/15, il s’agissait également d’un ressortissant néerlandais, celui-ci résidant toutefois en Belgique et ayant travaillé pendant l’année 2009 près de 1900 heures au service d’un employeur établi aux Pays-Bas, en qualité de gestionnaire des comptes et des relations en matière de télécommunication. Parmi les heures effectuées, 6,5% de celles-ci l’ont été en Belgique. Il a visité des clients (17 heures) et travaillé à son domicile (104 heures). Ces activités n’étaient pas exercées selon un plan de travail déterminé par l’employeur et, par ailleurs, le contrat de travail ne prévoyait pas de prestations en Belgique. Les autres activités l’ont été aux Pays-Bas, soit en clientèle, soit dans les bureaux de l’entreprise.

Se pose ici également un problème d’impôt sur le revenu et de cotisations de sécurité sociale.

Le tribunal du travail et la cour d’appel ont considéré que l’intéressé n’avait exercé que des activités purement ponctuelles en Belgique, ne devant pas être prises en compte pour déterminer la législation applicable pour la sécurité sociale, seul devant l’être le droit néerlandais.

L’intéressé a introduit un pourvoi devant la Cour suprême, qui a posé à la Cour de Justice une question préjudicielle.

Les questions préjudicielles

Dans l’affaire C-569/15, les deux questions préjudicielles sont les suivantes :

  • La détermination de la loi applicable au sens du Règlement lorsque le travailleur exerce une activité salariée dans un autre Etat membre alors qu’il bénéficie d’un congé sans solde ;
  • L’incidence sur la réponse à donner à la question ci-dessus du fait que des prestations de travail sporadiques sont intervenues les années suivantes.

Dans l’affaire C-570/15, la Cour suprême demande quels critères il faut appliquer pour déterminer la législation applicable dans le cas de ce travailleur, qui réside en Belgique et qui exerce la plus grande partie de ses activités pour son employeur néerlandais aux Pays-Bas et a presté à raison de 6,5% de son activité professionnelle en Belgique (clientèle et domicile), étant entendu qu’il n’y a pas de plan de travail établi et qu’il n’a conclu aucun accord avec son employeur sur la question.

La réponse de la Cour de Justice

La Cour de Justice rappelle d’abord qu’une personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un Etat membre est soumise à la législation de cet Etat même si elle réside dans un autre Etat, ceci sous réserve de certaines situations particulières (articles 14 à 17 du Règlement). Certaines situations peuvent en effet entraîner des complications administratives susceptibles d’entraver le droit à la libre circulation. Ainsi, si la personne exerce une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs Etats, l’on appliquera la législation de celui où elle réside, dans la mesure où elle exerce une partie de son activité là.

Il y a dès lors une exception à la règle générale de rattachement à l’Etat membre d’emploi, celle-ci supposant l’exercice normal d’une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs Etats. La question est dès lors de savoir si, lorsqu’une relation de travail est suspendue, le travailleur peut, au sens du Règlement, exercer une activité dans un autre Etat où il prend le congé sans solde qui lui a été accordé.

La Cour renvoie à sa jurisprudence en matière de congé parental : une personne a la qualité de travailleur au sens du Règlement dès lors qu’elle est assurée, ne serait-ce que contre un seul risque (qu’il s’agisse d’une assurance obligatoire ou facultative) d’un régime général ou particulier de sécurité sociale, et ce indépendamment de l’existence d’une relation de travail (C.J.U.E., 7 juin 2005, DODL et OBERHOLLENZER, n° C-543/03). Il faut dès lors comprendre par « activités salariées » et « activités non salariées », au sens du Titre II du Règlement, celles qui sont réputées telles par la législation en matière de sécurité sociale dans l’Etat où elles sont exercées.

Par ailleurs, la suspension du contrat n’implique pas que le travailleur n’aurait plus la qualité de travailleur salarié pendant le congé sans solde. Il faut dès lors conclure que la personne exerce une activité salariée au sens du Titre II. Cette activité pourra relever de l’article 14, § 2, sous b), i), pour autant qu’elle ait un caractère habituel et significatif, critère pour lequel il faut examiner la durée des périodes ainsi que la nature du travail salarié et, le cas échéant, les activités elles-mêmes. Ceci doit être vérifié par le juge de renvoi. La Cour précise encore que les activités exercées postérieurement sont sans incidence.

La conclusion de la Cour est, dès lors, qu’à partir du moment où une personne réside et exerce une activité salariée sur le territoire d’un Etat membre et qu’elle a un congé sans solde de trois mois pendant lequel elle va exercer une activité salariée sur le territoire d’un autre Etat, elle exerce normalement une activité salariée sur le territoire des deux Etats, le juge de renvoi devant vérifier le caractère habituel et significatif.

Dans la seconde affaire, la Cour rappelle les mêmes principes. Elle précise cependant que la circonstance que le travailleur exerce des activités de façon ponctuelle sur le territoire d’un Etat membre ne peut être prise en compte pour l’application de l’article 14, § 2, sous b), i), du Règlement. Elle renvoie, également, pour l’appréciation de cette condition, aux critères de la durée des périodes d’activité, de la nature du travail telle que définie dans les documents contractuels, ainsi que, le cas échéant, de la réalité de ces activités.

Dans sa jurisprudence, elle a jugé (C.J.U.E., 13 octobre 1993, ZINNECKER, n° C-121/92) que l’exercice de l’activité professionnelle pour moitié dans chacun des deux Etats concernés signifie l’exercice normal de l’activité en cause.

En l’occurrence, il s’agit de 6,5% de l’activité. Pour la Cour, l’on ne peut, dans une telle situation, considérer qu’il s’agit d’un exercice habituel des activités significatives sur le territoire de l’Etat membre. La règle générale de rattachement à l’Etat membre d’emploi ne peut en effet connaître des exceptions que dans des situations particulières, là où un autre lieu de rattachement est plus approprié.

Sa conclusion ici est qu’il n’y a pas lieu de considérer que l’intéressé a exercé normalement une activité salariée sur le territoire des deux Etats membres concernés.

Intérêt des décisions

Ces deux affaires – voisines – rappellent le principe général du rattachement à l’Etat d’emploi et donnent l’occasion de vérifier l’application de ce principe dans deux cas pratiques très clairs.

L’on notera que, dans la première affaire, la Cour retient que la suspension du contrat de travail dans un Etat membre n’implique pas que celui-ci doive être pris en considération pour l’appréciation de l’exercice d’une activité dans un autre Etat.

La seconde affaire est intéressante en ce sens que, la part de travail effectuée en Belgique étant très peu importante, la Cour décide d’office que ceci ne doit pas être considéré comme l’exercice normal d’une activité salariée au sens de l’article 14, § 2, b), i), du Règlement. L’arrêt ZINNECKER du 13 octobre 1993 avait statué dans l’hypothèse où une personne exerçait une activité non salariée environ pour moitié sur le territoire de l’Etat de résidence et pour moitié sur le territoire d’un autre Etat : pour la Cour, il fallait ici considérer qu’elle exerce normalement une activité non salariée sur le territoire de deux Etats.

Les extrémités de la fourchette sont ainsi données. Restera à apprécier ce qu’il en est de pourcentages intermédiaires.


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