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Handicap et licenciement discriminatoire

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 25 août 2017, R.G. 16/3.146/A

Mis en ligne le lundi 11 décembre 2017


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 25 août 2017, R.G. 16/3.146/A

Terra Laboris

Dans un jugement (non définitif) du 25 août 2017, le Tribunal du travail de Bruxelles examine une demande d’indemnisation pour discrimination due au handicap, l’employeur étant resté en défaut de donner suite aux recommandations du conseiller en prévention en ce qui concerne les aménagements raisonnables.

Les faits

Une employée est engagée en 2007 en tant que bibliothécaire adjointe d’une société publique (radio-télévision). Elle y pose rapidement sa candidature au poste de sous-titreur et le premier contrat (à durée déterminée) est suivi de contrats de même nature ultérieurs, toujours pour la même fonction.

Elle est enfin engagée à durée indéterminée, ce contrat, signé près de deux ans après l’engagement initial, reprenant toujours les fonctions de départ, l’intéressée exerçant cependant dans la pratique les fonctions pour lesquelles elle avait postulé et qui lui avaient été attribuées. Celles-ci sont liées à des prestations en début de soirée, s’agissant de traductions gestuelles pour le public malentendant, en sus de travaux de sous-titrage en journée.

Elle présente cinq ans plus tard un problème médical important, devant subir une lourde intervention, suite à laquelle il est constaté que subsiste une fragilité.

La reprise du travail intervient progressivement et dans un premier temps à mi-temps.

Le médecin du travail investigue quant aux conditions de reprise du travail, confirmant dans un premier temps la nécessité de la poursuite de ce mi-temps. L’employeur admet celui-ci, qui sera presté trois jours ou deux jours par semaine. Il s’agit d’une mesure temporaire qui sera prolongée.

L’intéressée remet, ultérieurement, un certificat médical demandant à ne plus devoir effectuer que les documentaires et non les prestations en soirée. Le médecin du travail partageant l’opinion selon laquelle il fallait des horaires réguliers et administratifs (8 à 18 heures), il remet plusieurs évaluations en ce sens.

Elle est alors convoquée (trois semaines plus tard) à un entretien au cours duquel lui est annoncée la rupture du contrat, qui interviendra, effectivement, une dizaine de jours après. Il est fait état dans celle-ci d’un préavis à prester et l’employeur motive brièvement la décision, étant « un profil et des disponibilités horaires qui ne correspondent plus à l’attente de la fonction de sous-titreur pour laquelle vous avez été spécifiquement engagée ».

Elle demande alors à connaître les motifs du licenciement, se fondant sur la CCT n° 109.

Ayant remis un certificat médical de prolongation, le contrat est en fin de compte rompu moyennant paiement d’une indemnité correspondant au solde du préavis restant à courir.

Une procédure est engagée devant le Tribunal du travail de Bruxelles, dans laquelle l’intéressée demande condamnation de son ex-employeur à une indemnité de six mois de rémunération vu le caractère discriminatoire du licenciement, sur la base de loi du 10 mai 2007.

A titre subsidiaire, elle sollicite le bénéfice de l’indemnité prévue par la CCT n° 109.

Décision du tribunal

Le tribunal statue sur la demande principale (n’abordant pas la demande formée à titre subsidiaire), étant de savoir si le licenciement a un caractère discriminatoire.

Il reprend les critères protégés par la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, dont il rappelle le mécanisme clair :

  • Toute distinction directe fondée sur un critère protégé constitue une discrimination directe sauf si elle est objectivement justifiée par un but légitime et que les moyens de réaliser celui-ci sont appropriés et nécessaires ;
  • Par dérogation à cette règle, une distinction directe peut être fondée sur certains des critères protégés (âge, orientation sexuelle, conviction religieuse ou philosophique ou handicap) dans le champ des relations contractuelles s’il y a une justification de cette distinction par des exigences professionnelles essentielles et déterminantes.

Cette exigence est également définie dans la loi, étant qu’il faut réunir deux critères cumulatifs, à savoir qu’une caractéristique déterminée liée à ces critères est essentielle et déterminant en raison de la nature des activités professionnelles ou du contexte dans lequel celles-ci sont exécutées et que l’exigence repose sur un objectif légitime et est proportionnée par rapport à celui-ci.

Le tribunal reprend encore le mécanisme légal en ce qui concerne les règles en matière d’indemnisation et de charge de la preuve avant d’en venir à la notion de handicap. Après avoir souligné que celle-ci n’est pas définie par la loi mais qu’elle figure dans plusieurs arrêts de la Cour de justice de l’Union Européenne, il synthétise comme suit : le handicap suppose une atteinte à l’intégrité physique, psychique ou mentale du travailleur, qui restreint durablement ses capacités professionnelles. L’origine de ce handicap est sans importance et il n’est pas exigé qu’il ait atteint un certain seuil.

Le tribunal rappelle encore que, avant de licencier un travailleur atteint d’un handicap, l’employeur doit mettre en place des aménagements raisonnables et que ceux-ci sont définis également par la loi du 10 mai 2007, étant des mesures appropriées qui tiennent compte des besoins de la personne handicapée pour lui permettre d’accéder, de participer et de progresser dans les domaines d’application de la loi sauf s’ils constituent une charge disproportionnée (la loi soulignant que la charge n’est pas disproportionnée lorsqu’elle est compensée de manière suffisante par des mesures prises dans le cadre de la politique publique concernant les personnes souffrant d’un handicap).

Le tribunal va, sur la base de ces principes, passer à l’examen du fondement de la demande. Il rappelle en premier lieu que la demanderesse doit, en vertu des règles sur la question, démontrer des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination. L’intéressée ayant visé à la fois l’état de santé et le handicap, il retient qu’il y a handicap, à savoir une atteinte physique durable et que celle-ci fait obstacle à la pleine et effective participation à la vie professionnelle.

Celle-ci a été constatée et prise en compte par le médecin du travail, qui a donné comme recommandation de fixer les plages horaires de manière fixe et en journée. Pour le tribunal la limitation de l’horaire constitue donc un aménagement raisonnable.

Il appartient à l’employeur, qui a refusé celui-ci, puisqu’il estimait qu’il n’était pas possible de suivre la recommandation du médecin du travail, de prouver que sa décision était justifiée par des exigences professionnelles essentielles et déterminantes, ce qu’il ne fait pas. Il fait valoir une désorganisation du service mais ne satisfait pas, pour le tribunal, à son obligation de preuve.

Le tribunal se réfère encore à la fonction contractuellement convenue et souligne que celle qui avait été exercée ne se limitait par ailleurs pas à des prestations du soir mais comportait un horaire en journée, l’ensemble de l’équipe comptant près de dix personnes.

Il est également fait grief à l’employeur de ne pas avoir informé concrètement le juge de la manière dont le travail était organisé au sein de cette équipe. Dès lors, il n’est pas établi que le maintien de l’intéressée dans sa fonction n’était plus possible, la charge déraisonnable des aménagements n’étant pas davantage avérée.

Le tribunal retient, enfin, qu’il s’agit d’une entreprise de grande taille et que, si elle exerce des missions de service public, ceci ne la dispense pas de respecter les obligations mises à sa charge par la loi en matière de bien-être au travail et d’interdiction de discrimination.

Il est dès lors fait droit à la demande, les débats étant rouverts, cependant, sur la question des chiffres.

Intérêt de la décision

Ce beau jugement du Tribunal du travail de Bruxelles apporte une pierre supplémentaire à la construction de la protection contre la discrimination due au handicap dans les relations de travail.

Le tribunal y rappelle l’apport de la Cour de justice dans ses arrêts CHACON NAVAS (C.J.U.E., 11 juillet 2006, C-13/05), RING (C.J.U.E., 11 avril 2013, C-335/11) et DAOUIDI (C.J.U.E., 18 décembre 2014, C-354/13).

Il souligne également l’intérêt présenté par un arrêt rendu par la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 9 janvier 2013, RG 2011/AB/668, précédemment commenté) qui avait statué dans l’hypothèse d’une employée de grande surface qui (après plus de vingt-cinq ans d’ancienneté) avait vu son contrat rompu pour force majeure au motif qu’elle ne pouvait plus effectuer tous les gestes d’une réassortisseuse. Dans cette espèce, la cour avait conclu non seulement à l’absence de force majeure mais également à la rupture pour discrimination dans le chef de l’employeur.


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