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Remboursement d’un médicament contre le cancer du sein : légalité de l’exclusion aux hommes souffrant de cette pathologie

Commentaire de C. trav. Mons, 27 avril 2017, R.G. 2016/AM/66

Mis en ligne le lundi 13 novembre 2017


Cour du travail de Mons, 27 avril 2017, R.G. 2016/AM/66

Terra Laboris

Par arrêt du 27 avril 2017, la Cour du travail de Mons examine, à propos d’un litige relatif à l’absence de remboursement d’un médicament prescrit dans certains cas de cancer du sein, la notion de valeur thérapeutique d’une spécialité médicale, rappelant la définition des critères légaux : l’efficacité, l’utilité ainsi que les effets indésirables.

Les faits

Un assuré social, souffrant d’un cancer du sein, demande à son organisme assureur AMI le remboursement d’un médicament (Femara), remboursement qui est refusé au motif que la nomenclature AMI ne le prévoit que pour les femmes ménopausées (et dans certaines conditions).

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Charleroi et le premier juge y fait droit par jugement du 1er février 2016, au motif d’une présomption de discrimination indirecte sur la base d’un critère de distinction intrinsèquement suspect. Le tribunal relève que l’organisme assureur ne renverse pas la présomption.

Appel est interjeté par celui-ci.

Décision de la cour

La cour examine les articles 34, alinéa 1er, 5°, b) et c) ainsi que 35bis, §1er, alinéa 1er et §2, alinéa 1er de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, relatifs à la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables. Elle reprend parallèlement l’arrêté royal du 21 décembre 2001 fixant les procédures, délais et conditions concernant l’intervention de l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités dans le coût des spécialités pharmaceutiques.

Il résulte de l’application combinée de ces dispositions qu’une décision portant sur la modification de la liste des spécialités remboursables est prise après une évaluation de sa valeur thérapeutique. Il s’agit de la somme de l’évaluation de toutes les propriétés pertinentes pour le traitement de la spécialité et pour laquelle sont pris en considération notamment l’efficacité, l’utilité ainsi que les effets indésirables (article 1er, 20° de l’arrêté royal du 21 décembre 2001).

L’efficacité est admise si l’activité pharmacologique lors de la mise en œuvre dans le cadre d’un examen clinique engendre un effet thérapeutique ; le critère de l’utilité est rencontré si la spécialité est efficace et si l’examen atteste que son utilisation dans la pratique quotidienne permet d’atteindre le but escompté du traitement. Les effets indésirables sont également listés. Le remboursement de la spécialité est dès lors soumis à ces conditions.

Examinant par ailleurs la nomenclature, la cour constate que le médicament en cause ne fait l’objet d’un remboursement qu’administré pour le traitement d’un cancer du sein chez une femme ménopausée, et ce à certaines conditions.

Se pose dès lors la question de savoir si l’on est en présence d’une discrimination prohibée. La cour rappelle la Directive 79/7/CEE du 19 décembre 1978 visant la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en droit de la sécurité sociale ainsi que la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes, qui a mis cette directive en œuvre.

Les soins de santé sont visés par le texte légal et c’est par la vérification de ces critères légaux que la cour poursuit son examen, étant d’examiner s’il existe en l’espèce une discrimination indirecte fondée sur le genre. Il s’agit de déterminer si une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre affecte dans la réalité une proportion nettement plus élevée de personnes d’un sexe. Est cependant admise la situation où cette distinction est appropriée et nécessaire et peut être justifiée par des facteurs objectifs indépendants du critère du sexe.

Pour la cour, il est évident que, dans la mesure où seules les femmes ménopausées peuvent bénéficier du remboursement de la spécialité, la mesure affecte un nombre plus important d’hommes, puisque tous sont exclus. La cour pose alors la question de savoir s’il y a un critère objectif raisonnablement proportionné au but poursuivi, qui permettrait de justifier l’exclusion des hommes.

Pour l’organisme assureur, l’exclusion est justifiée dans la mesure où la réalisation des trois critères ci-dessus n’a pu être vérifiée sur le plan scientifique. La procédure prévoit que, lorsqu’une firme pharmaceutique a reçu l’autorisation de mettre un médicament sur le marché, elle peut introduire une demande de remboursement auprès de l’INAMI, dossier à l’appui. La Commission de remboursement des médicaments va alors procéder à l’examen et remettre un avis au ministre des affaires sociales, à qui incombe la décision.

La cour renvoie à un précédent, étant le Fosamax, dont une des formes n’était remboursée qu’aux femmes ménopausées. La question avait fait l’objet d’une intervention au Sénat en 2005. Il en ressort que les critères sur lesquels se fonde la Commission de remboursement des médicaments sont les indications issues de la notice scientifique approuvées par le ministre de la Santé publique.

En l’espèce, le dossier relatif aux caractéristiques du produit est déposé, avec les indications thérapeutiques ainsi que des mises en garde spéciales et des précautions d’emploi. Il est expressément prévu que l’utilisation du médicament chez les hommes présentant un cancer du sein n’a pas été étudiée.

Pour la cour, dans la mesure où le fabricant lui-même limite l’indication thérapeutique aux femmes ménopausées et que les examens n’ont été effectués que chez celles-ci, les critères d’efficacité, d’utilité ou encore le caractère dangereux n’ont pu être vérifiés scientifiquement pour les hommes.

La mesure est justifiée au rapport du but poursuivi. Il n’y a pas de discrimination.

Intérêt de la décision

Cet arrêt a été rendu sur avis non conforme de l’avocat général.

La cour examine la question à partir de la discrimination indirecte. L’on pourrait cependant se poser celle de savoir s’il ne s’agit pas d’une discrimination directe, dans la mesure où le texte ne prévoit le remboursement que si la spécialité est administrée pour le traitement d’un cancer du sein chez une femme ménopausée et non chez un homme.

La solution dégagée par la cour est essentiellement d’ordre médical, dans la mesure où il ressort des indications du fabricant lui-même que le champ d’application des examens scientifiques a été restreint à un certain type de population. La distinction ainsi opérée au niveau du remboursement est dès lors davantage le résultat de la limitation des vérifications scientifiques à ce public, plutôt que la volonté de discriminer.

L’on notera également que l’efficacité n’avait pas été démontrée chez toutes les patientes atteintes d’un cancer du sein (essentiellement celles présentant des récepteurs hormonaux négatifs).


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