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Harcèlement moral et résolution judiciaire

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 mai 2017, R.G. 2015/AB/253

Mis en ligne le vendredi 10 novembre 2017


Cour du travail de Bruxelles, 10 mai 2017, R.G. 2015/AB/253

Terra Laboris

Par arrêt du 10 mai 2017, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les principes guidant la demande de résolution judiciaire d’un contrat de travail, dans un contexte de dégradation des relations de travail dans lequel sont retenus des éléments de harcèlement moral.

Les faits

Une employée introduit une procédure devant le tribunal du travail de Nivelles (div. Nivelles), sollicitant la résolution judiciaire du contrat de travail aux torts de son employeur. Elle s’estime victime de harcèlement de la part de la gérante et a déposé une plainte formelle, qui a donné lieu à un rapport motivé. En ce qui concerne la nature des faits, le conseiller en prévention conclut à des dysfonctionnements managériaux importants dans le chef de la gérante à la fois sur le plan de la gestion humaine que sur le plan administratif.

Il retient des comportements de type harcelant. Des questions sont également posées sur la légalité ou l’acceptabilité d’une série d’actes posés par cette dernière (surveillance par caméra, gestion du fond de caisse, …).

Dans sa requête introductive, l’intéressée se fonde en outre sur la volonté persistante de la directrice de ne pas respecter l’obligation de respect et d’égards mutuels prévue par la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.

Quant à la société, elle conteste l’existence d’un manquement grave justifiant la résolution judiciaire du contrat de travail, faisant de nombreux griefs au rapport déposé.

Le tribunal du travail ayant fait droit à la demande, la société a interjeté appel.

Décision de la cour

La cour reprend très longuement les principes à la lumière desquels le litige doit être tranché.

Le premier corps de règles est relatif à la résolution judiciaire, qui a son fondement dans l’article 1184 du Code civil. La cour reprend de très nombreuses décisions de la Cour de cassation sur ce mode d’extinction des obligations, rappelant notamment que dans les contrats à prestations successives, la résolution remonte en principe au jour où la demande en justice est introduite – sauf lorsque les prestations effectuées en exécution de la convention après cette demande ne sont pas susceptibles de restitution. Le juge saisi du litige peut accorder des dommages et intérêts dont le montant est équivalent à une indemnité de rupture. Ceux-ci peuvent cependant être évalués autrement.

La cour en vient ensuite au fondement du harcèlement moral, qui exige cinq conditions, étant que (i) il doit s’agir de conduites abusives, (ii) cet enchainement de conduites abusives (similaires ou différentes) doit se produire pendant un certain temps, (iii) elles peuvent être externes ou internes à l’entreprise, (iv) elles doivent avoir pour objet ou pour effet de porter atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité (physique ou psychique) de la personne ou mettre en péril son emploi ou encore créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant et (v) elles peuvent se manifester par des paroles, intimidations, actes, gestes ou écrits unilatéraux (cette liste n’étant pas exhaustive).

Intervient également dans l’appréciation des éléments du litige l’article 16 de la loi du 3 juillet 1978 qui contient l’obligation pour chacune des deux parties au contrat de travail de respect et d’égards mutuels.

La cour va se livrer à une analyse très fouillée des éléments du dossier en fait. Elle examine notamment les griefs de l’employeur relatifs aux témoignages rapportés et contestés par ce dernier. Se pose en effet la question de la valeur de témoignages anonymes. Le respect des droits de la défense permet difficilement d’avoir égard aux faits récoltés par le conseiller en prévention dans ces conditions. Cependant, ceci dénote une certaine crainte de représailles, malgré la protection contre le licenciement des témoins.

La cour constate que l’employée s’était fort investie dans son travail pour la société (dont elle était responsable d’un point de vente) et que les relations de travail ont été harmonieuses pendant quatre ans. Un incident a cependant émaillé celles-ci en 2010, étant en rapport avec un jour de congé pris dans le cadre d’un décès familial, la travailleuse ayant contesté sa fiche de paie (qui ne reprenait pas cette journée). Il y a eu une dégradation progressive à partir de ce moment, les parties se faisant toujours davantage de reproches, s’envoyant des courriers recommandés, etc. La cour relève encore un climat anormal de soupçons ainsi que des pratiques illégales (obligation pour les travailleuses de rembourser elles-mêmes les erreurs de caisse - ceci étant contraire à l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978).

Elle aboutit à la conclusion que la résolution judiciaire aux torts exclusifs de la société est justifiée. Celle-ci est fixée à la date de la demande en justice, étant le 20 août 2012. La cour s’écarte ici de la date retenue par le tribunal, à savoir le 7 mars 2011 (date qui correspond au début d’une période d’incapacité de travail de l’intéressée). Après cette date, certaines prestations ont encore été exécutées par la société, qui a notamment payé le salaire garanti. Elle s’écarte également de la position de la travailleuse, qui demande de faire fixer la résolution judiciaire à la date du prononcé de l’arrêt. Pour la cour, ce n’est que lorsque, postérieurement à la demande en justice, certaines prestations non susceptibles de restitution sont exécutées que la résolution peut être fixée à celle-ci. Il s’agira donc de retenir la date de l’introduction de la demande, le 20 août 2012.

Enfin, pour ce qui est de l’indemnisation de la travailleuse, la cour alloue la réparation d’un préjudice matériel, étant la perte du travail qui résulte de la résolution judiciaire et pour celle-ci fixe des dommages et intérêts correspondant à l’indemnité compensatoire de préavis. L’intéressée avait six ans et cinq mois d’ancienneté et, conformément à l’article 82, §3 de la loi du 3 juillet 1978, l’indemnité est de six mois.

En outre, un dommage moral fixé ex aequo et bono à 5.000€ étant demandé en raison du harcèlement moral, ainsi qu’une indemnité de six mois de rémunération dans le cadre de la loi du 11 juin 2002, la cour précise que l’intéressée doit choisir le fondement légal de sa demande, soit une indemnisation ex aequo et bono soit un dommage forfaitaire prévu par un texte.

Constatant que les conditions de la loi du 4 août 1996 (art. 32terdecies, §4) ne sont pas remplies, la cour alloue les 5.000€ demandés.

Intérêt de la décision

Cet arrêt - particulièrement fouillé et motivé – est rendu sur avis contraire du ministère public, qui considérait que la travailleuse n’établissait ni l’existence de faits de harcèlement au sens de la loi du 4 août 1996 ni que la société avait commis des manquements suffisamment graves pour justifier la résolution judiciaire du contrat à ses torts.

Par une motivation particulièrement circonstanciée, la cour confirme la conclusion du conseiller en prévention sur l’existence des faits constatés, faits qui vont donner lieu à un dommage moral distinct des dommages et intérêts alloués suite à la résolution judiciaire du contrat.

L’arrêt est intéressant en outre sur la date à laquelle est intervenue la résolution judiciaire, date qui sera retenue en fonction de la possibilité de restituer ou non des prestations contractuelles. En l’occurrence, la cour a confirmé la position de la Cour de cassation dans divers arrêts, étant que dans les contrats à prestations successives la résolution remonte en principe au jour de l’introduction de la demande en justice. La résolution peut également avoir un effet rétroactif à partir du moment où l’exécution du contrat n’est plus poursuivie et où il n’y a pas lieu à restitution.


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