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Recours introduit auprès du Conseil du Contentieux des Etrangers : effets sur une demande d’aide sociale

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 16 avril 2015, R.G. 2014/AB/147

Mis en ligne le mardi 24 octobre 2017


Cour du travail de Bruxelles, 16 avril 2015, R.G. 2014/AB/147

Terra Laboris

Dans un arrêt du 16 avril 2015, la Cour du travail de Bruxelles fait une application claire de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne dans son arrêt Abdida du 18 décembre 2014, considérant que les juridictions du travail disposent d’un pouvoir d’appréciation marginal du risque sérieux de détérioration grave et irréversible de l’état de santé auquel serait exposé un ressortissant d’un pays tiers en cas de rapatriement.

Les faits

Un citoyen albanais en Belgique introduit plusieurs demandes de régularisation de séjour, qui sont rejetées. Son épouse l’ayant rejoint, le couple a deux enfants nés en Belgique. Une nouvelle demande est alors introduite par le père, sur pied de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers.

Cette demande est rejetée, l’avis médical de l’Office considérant que l’intéressé n’est pas atteint par une affection représentant une menace directe pour sa vie ou pour son intégrité physique. Le critère retenu par l’Office est que les maladies qu’il a décrites ne requièrent pas de mesures urgentes sans lesquelles elles constitueraient un risque vital immédiat.

Un recours est introduit devant le Conseil du Contentieux des Etrangers et une demande d’aide financière est faite auprès du C.P.A.S.

Celle-ci est refusée, sur pied de l’article 57, § 2 de la loi organique des C.P.A.S. du 8 juillet 1976, le Centre faisant valoir qu’il n’est tenu d’accorder que l’aide médicale urgente, vu le caractère irrégulier du séjour. L’aide médicale urgente est, pour sa part, acceptée.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail par les deux époux.

Suite au rejet de leur demande, appel est interjeté.

La décision de la cour

La question au centre du débat est le caractère suspensif du recours introduit devant le Conseil du Contentieux des Etrangers, eu égard aux dispositions en matière d’aide sociale. La cour relève qu’il y a lieu de tenir compte, pour l’appréciation du problème qui lui est soumis, de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 18 décembre 2014 (n° C-562/13), celle-ci ayant été interrogée par la Cour du travail de Bruxelles (décisions précédemment commentées).

La cour du travail avait renvoyé aux articles 5 et 13 de la Directive 2008/115/CE du 18 décembre 2008 (directive relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier), et ce à la lumière également de la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne. La question posée avait particulièrement trait à l’article 14, § 1er sous b), s’agissant de l’hypothèse d’un ressortissant de pays tiers atteint d’une grave maladie qui serait exposé à un risque sérieux de détérioration grave et irréversible de son état de santé si l’ordre de quitter le territoire était exécuté. La question se posait de la prise en charge par l’Etat des besoins de base (soins médicaux d’urgence et traitement indispensable des maladies) pendant la période où l’intéressé ne pouvait être éloigné à la suite de l’exercice du recours.

Dans la réponse donnée à la question préjudicielle, la Cour de Justice a conclu dans l’arrêt précité que ne pas permettre cette garantie n’était pas compatible avec les dispositions de droit européen ci-dessus.

Dans la présente espèce, la cour du travail examine donc le cas à la lumière de ces principes. Elle constate qu’il y a demande formée sur pied de l’article 9ter. Cette disposition exige que l’étranger prouve qu’il souffre d’une maladie telle qu’elle entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique, ou encore un risque réel de traitement inhumain ou dégradant lorsqu’il n’existe aucun traitement adéquat dans son pays d’origine (ou son pays de référence).

Tout en rappelant que les juridictions de l’ordre judiciaire ne sont pas compétentes pour statuer sur la régularité du séjour, la cour rappelle que, dans le cadre du contentieux de l’aide sociale, elle est tenue, en application de la jurisprudence de la Cour de Justice, de vérifier si l’exécution de l’ordre de quitter le territoire est susceptible d’exposer l’intéressé aux risques visés. Dans cette hypothèse, le recours introduit confère un effet suspensif à la mesure d’éloignement et le séjour n’est dès lors plus irrégulier, de telle sorte qu’il n’y a plus lieu de faire application de l’article 57, § 2 de la loi du 8 juillet 1976 limitant l’aide sociale à l’aide médicale urgente. Il faut dès lors couvrir les besoins de base.

La cour en vient à l’appréciation de ceux-ci, étant qu’ils ne peuvent être inférieurs (sauf circonstance particulière et examen des ressources) à l’aide financière considérée comme devant permettre au demandeur d’aide de mener une vie conforme à la dignité humaine.

Il découle de ce mécanisme que les juridictions du travail possèdent un contrôle marginal de ce risque sérieux de détérioration grave et irréversible de l’état de santé.

La cour considère dès lors que, si des éléments d’ordre médical sont produits par l’étranger, dont on peut déduire qu’une expulsion serait susceptible de l’exposer à ces risques, les juridictions du travail doivent admettre le caractère suspensif du recours introduit auprès du Conseil du Contentieux des Etrangers. Ce contrôle marginal s’étend également à la possibilité de refus de l’aide lorsque la demande est manifestement mal fondée, ainsi si les éléments suffisants sur le plan médical font défaut.

La cour en vient ensuite à l’examen des éléments qui sont soumis, constatant la réalité et la gravité de l’affection, de même que l’absence de structures de soins adéquates dans le pays d’origine et l’absence de médicaments pour les personnes ayant peu de ressources.

Les intéressés peuvent dès lors prétendre à l’aide financière à charge du C.P.A.S., la cour ayant également admis l’indigence.

Elle fixe l’aide financière à l’équivalent du revenu d’intégration sociale au taux « charge de famille ».

Intérêt de la décision

Voici une application immédiate de la jurisprudence de la Cour de Justice, l’arrêt du 18 décembre 2014 ayant rappelé qu’en vertu de la Directive 2008/115/CE (article 14, § 1er sous b)), il y a lieu d’assurer non seulement l’aide médicale urgente, mais également le traitement indispensable des maladies.

L’intérêt de l’arrêt est également de dégager une règle qui en découle : si les juridictions de l’ordre judiciaire ne sont pas compétentes pour décider la régularité du séjour, ce qui impliquerait qu’elles se substituent aux juridictions administratives, elles disposent néanmoins d’un pouvoir d’appréciation marginal du risque sérieux couru par l’étranger s’il devait être rapatrié. Dès lors que des éléments d’ordre médical suffisants sont produits, la cour admet qu’elle est autorisée à considérer que l’expulsion serait susceptible de l’exposer au risque en cause. Dès lors, le recours devant le Conseil du Contentieux des Etrangers peut être considéré, dans le cadre des conditions posées par la loi du 8 juillet 1976, comme ayant des effets suspensifs et ouvrir le droit à une aide sociale qui n’est pas limitée à l’aide médicale urgente.

Ceci bien sûr en rappelant que l’octroi de celle-ci doit se faire conformément au respect des autres conditions légales, dont la condition de ressources.


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