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Employée salariée et gérante à titre complémentaire : examen de la nature réelle de la relation de travail

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Namur), 2 mars 2017, R.G. 13/183/A

Mis en ligne le vendredi 13 octobre 2017


Tribunal du travail de Liège, division Namur, 2 mars 2017, R.G. 13/183/A

Terra Laboris

Par jugement du 2 mars 2017, le Tribunal du travail de Liège, division Namur, rappelle qu’une décision d’assujettissement (ou de désassujettissement) prise par l’O.N.S.S. ne lie pas un autre organisme de sécurité sociale, les éléments du dossier O.N.S.S. pouvant cependant constituer des éléments de preuve dans l’examen du dossier. Les institutions de sécurité sociale ont non seulement la possibilité mais également l’obligation de remettre en cause l’assujettissement d’un assuré social, et ce indépendamment de l’intervention de l’O.N.S.S., vu le caractère d’ordre public des dispositions de sécurité sociale en cause.

Les faits

Une S.P.R.L. est constituée entre plusieurs personnes en 1997. Elle compte, à l’origine, deux gérants statutaires. L’un démissionne deux ans plus tard et reste une personne pour occuper le poste de gérante. Celle-ci détient par ailleurs la majorité des parts sociales. Cette situation persiste jusqu’en 2014, époque à laquelle la gérance est cédée au père de l’intéressée.

La gérante a par ailleurs été soumise au statut social des travailleurs indépendants jusqu’en juin 2004 et est devenue salariée à ce moment (aucun contrat de travail n’étant cependant produit). Elle prend le statut d’indépendant complémentaire de janvier 2005 à septembre 2011, eu égard aux fonctions de gérante ci-dessus.

Elle sollicite le bénéfice des allocations de chômage à partir du 6 juillet 2012.

L’ONEm refuse celles-ci au motif qu’il n’est pas satisfait à la condition de stage : les jours prestés pendant la période de référence ne l’ont pas été dans le cadre d’un lien de subordination.

Un recours est introduit devant le tribunal du travail.

La décision du tribunal

Le tribunal rend un premier jugement le 2 juin 2016, considérant que les prestations avancées ne pouvaient être prises en considération pour la période postérieure au 1er janvier 2010. Une réouverture des débats a été ordonnée afin que des explications complémentaires soient données quant aux pièces produites.

Dans son jugement du 2 mars 2017, le tribunal acte le désaccord des parties sur la qualification de la relation entre la demanderesse et la société, pour la période avant le 1er janvier 2010, l’intéressée produisant des fiches de paie depuis 2007 et l’ONEm considérant qu’elle doit relever du statut social des travailleurs indépendants, vu sa qualité de gérante depuis 2005.

Le tribunal est dès lors confronté à une question de (re)qualification de la relation de travail. Pour ce qui est de son droit aux allocations de chômage, il rappelle que le travailleur doit justifier d’une activité salariée pendant la période de référence (fixée à l’article 30 de l’arrêté royal).

L’assujettissement à l’O.N.S.S. est certes un indice de l’existence d’un lien de subordination, mais le tribunal rappelle que la position de l’Office ne lie pas les autres organismes de sécurité sociale, qui peuvent remettre celui-ci en cause. Le tribunal renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 13 janvier 2016, R.G. 2014/AB/396), relatif à un désassujettissement pris par l’O.N.S.S., dont la cour avait retenu qu’il ne liait pas une mutuelle, bien que les éléments mis en avant par l’Office puissent être utilisés aux fins de savoir s’il y avait eu activité effective ou non. Le tribunal renvoie également à la doctrine, sur la même question (J. de WILDE D’ESTMAEL et A. YERNAUX, « Le processus de (re)qualification de la relation de travail », in S. GILSON (dir.), Subordination et parasubordination. La place de la subordination juridique et de la dépendance économique dans la relation de travail, Anthémis, 2017, pp. 227 et s.).

Il examine dès lors si la convention d’indépendant doit ou non s’analyser comme un contrat de travail. Il fait un examen très complet de la question du lien de subordination, reprenant l’apport de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006. Sur la volonté des parties, il rappelle qu’à défaut d’écrit, le juge doit examiner la convention tacite (renvoyant à la doctrine de G. WILLEMS, La fausse indépendance, Kluwer, 2009, p. 56). Les principes à suivre dans cet examen, dégagés dans un important arrêt de principe de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 29 juin 2009, R.G. 19.549), sont longuement repris dans le jugement, avec les références aux arrêts de la Cour de cassation pertinents.

Les pièces du dossier ne permettent pas de déduire de manière certaine quelle a été la volonté des parties : aucun contrat de travail n’est produit et le tribunal est en présence d’éléments contradictoires, l’intéressée étant à la fois indépendante complémentaire en sa qualité de gérante et salariée de la même société.

Or, c’est précisément la qualification de la relation contractuelle qui doit être déterminée et non le statut social choisi par les parties.

Eu égard à la présomption de l’article 3 de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants, il rappelle que, du fait de son statut de gérante, l’intéressée est en principe considérée comme indépendante et qu’elle doit démontrer qu’elle exerçait en réalité une activité salariée. Or, il ressort des déclarations mêmes de celle-ci qu’elle était la seule responsable dans l’entreprise, étant à la fois gérante et salariée (signature de l’ensemble des documents engageant la société, indemnités de frais allouées depuis 2008, supposant qu’elle assumait des fonctions supérieures).

Le tribunal constate également que le dossier de l’O.N.S.S. contient des éléments qui paraissent être en contradiction avec les faits, la gérante ayant fait plusieurs déclarations qui ne concordent pas. Il retient dès lors que, pour la période de stage chômage, l’activité salariée entre 2004 et 2012 ne peut être admise, et ce d’autant que, pour la période antérieure à 2004, l’intéressée était assujettie en qualité d’indépendant à titre principal.

La décision de l’ONEm est dès lors confirmée, le recours étant non-fondé.

Intérêt de la décision

La question de la nature exacte de la relation de travail est, dans ce jugement, examinée à partir de l’angle du droit aux allocations de chômage, étant de savoir si l’intéressée est admissible eu égard à la condition de stage.

En l’espèce, l’O.N.S.S. avait pris une décision d’assujettissement et l’ONEm est pour sa part d’avis que les éléments du dossier ne permettent pas de retenir l’existence d’un contrat de travail. La situation de l’intéressée était en effet assez complexe, puisqu’elle cumulait une activité présentée comme salariée et qu’elle était par ailleurs assujettie à titre complémentaire au statut social des travailleurs indépendants pour ce qui correspondrait aux fonctions de gérante. Des éléments contradictoires figuraient par ailleurs au dossier et le tribunal n’a pu que tirer une conclusion, étant que, sur le plan de la preuve, il appartient à la gérante de prouver qu’elle exerçait ses activités de travail dans le cadre d’un lien de subordination.

Les éléments du dossier font également apparaître que la situation pour laquelle elle avait opté (salariée à titre principal et indépendante complémentaire) résulte en fin de compte d’un choix de statut et n’est pas, sur la base des éléments produits, conforme à la réalité d’une relation d’autorité pour ce qui concernait le travail effectué en qualité de salariée.

L’on notera encore que le tribunal renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 13 janvier 2016 (R.G. 2014/AB/396 – précédemment commenté). Celui-ci concernait une activité fictive – en tout cas considérée comme telle par l’O.N.S.S. – et dont la réalité a été réexaminée par la cour du travail dans le cadre d’un volet A.M.I., consécutif au retrait de l’assujettissement O.N.S.S.


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