Terralaboris asbl

Petite leçon sur le pouvoir du juge dans le contentieux de l’annulation des actes administratifs et en matière de preuve des déclarations du chômeur

Commentaire de C. trav. Mons, 13 juillet 2006, R.G. 19.062

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Mons, 13 juillet 2006, R.G. 19.062

Terra Laboris asbl – Sophie Remouchamps

Dans un arrêt particulièrement fouillé du 13 juillet 2006, la cour du travail de Mons examine d’une manière approfondie les pouvoirs du juge dans le contentieux d’annulation des actes administratifs des institutions de sécurité sociale ainsi que la charge de la preuve de l’exactitude (ou non) des déclarations du chômeur. Cet arrêt est donc l’occasion pour la cour de baliser des principes importants en matière de sécurité sociale et, plus particulièrement, dans la matière du chômage.

Les faits

Le cas d’espèce tranché concerne un chômeur qui bénéficie d’allocations de chômage complet depuis le 26 mai 1986 et qui a, dès sa demande d’indemnisation, déclaré exercer une activité accessoire de mécanicien automobile, et ce depuis quelques années déjà, en semaine mais avant 7 heures du matin et après 20 heures, ainsi que les samedis. A priori, vu le contenu de ces déclarations, l’activité pouvait être cumulée avec les allocations de chômage.

En 1994, l’ONEm procède à un contrôle et entend l’intéressé à cette occasion. L’enquête ne donne pas de résultat et le dossier est laissé en suspens.

Ultérieurement (1996), l’ONEm effectue une enquête plus approfondie de la situation et recueille, dans le cadre de celle-ci, la déclaration de l’intéressé, qui confirme alors travailler en semaine, entre 7 heures et 18 heures, ainsi que les samedis et les dimanches, et ce sans renoncer au bénéfice des allocations de chômage, c’est-à-dire sans biffer les cases de sa carte de contrôle correspondant aux journées de travail.

En conséquence, l’ONEm prend deux décisions :

  1. la première, l’excluant du bénéfice des allocations de chômage à partir du 1er janvier 1992, en raison du fait que, depuis cette date, il a régulièrement exercé son activité en semaine, entre 7 heures et 18 heures, ainsi que les samedis et les dimanches, sans reprendre ses prestations sur ses cartes de contrôle. La décision ordonne également la récupération des allocations perçues ainsi qu’une sanction, à concurrence de 20 semaines d’exclusion ;
  2. la seconde, lui refusant toute indemnisation à partir du 1er octobre 1996 (cette seconde décision résulte du fait que l’intéressé a déclaré exercer une activité rémunérée et intégrée dans le courant des échanges économiques de biens et de services pendant son chômage, activité exercée en-dehors des conditions de cumul de l’activité accessoire et des allocations de chômage, ce qui fait obstacle à l’indemnisation, puisque le chômeur n’est pas privé de travail au sens de l’article 44 de la réglementation).

La position des parties

Le travailleur a sollicité l’annulation des décisions prises par l’ONEm, au motif de la violation des règles prévues par la réglementation du chômage, étant plus précisément

  • l’absence de production des formulaires C30 contenant les décisions attaquées
  • l’absence de preuve que l’audition (préalable indispensable à toute décision de refus, d’exclusion ou de suspension) s’est tenue dans le délai prévu par la réglementation et
  • l’absence de preuve de la compétence de la personne qui a pris la décision.

La décision du tribunal

Le tribunal constate les irrégularités affectant la procédure administrative et annule en conséquence les décisions administratives. Le premier juge estime cependant qu’il lui appartient de vérifier si le chômeur concerné remplissait bien toutes les conditions d’admissibilité et d’octroi des allocations de chômage et supplèe ainsi d’office aux moyens des parties.

Examinant le fond du dossier, le tribunal retient que l’intéressé a bien exercé l’activité accessoire entre 7 heures et 18 heures, ainsi que les samedis et dimanches, sans avoir biffé les cases de sa carte de contrôle correspondant aux journées de travail prestées.

La décision de la cour

En appel, le chômeur fait valoir que, dans la mesure où sa demande s’était limitée à solliciter l’annulation des décisions prises par l’ONEm, le juge n’aurait pas pu statuer sur ses droits en matière d’allocations de chômage, et ce en vertu du principe dispositif, qui empêche le juge de statuer sur des choses non demandées.

Saisie dans ce cadre d’une problématique relative au rôle du juge ainsi qu’au principe dispositif, la cour va, dans un premier temps, par le biais d’un long développement juridique, conclure que lorsqu’un assuré social sollicite la mise à néant d’un acte administratif le concernant, il ouvre, par cette contestation, en cas d’annulation, un débat sur l’examen des droits et obligations dont il pourrait être titulaire, et ce en raison d’une part du caractère informel de la requête introductive d’instance et, d’autre part, du caractère d’ordre public de la réglementation.

En conséquence, le principe dispositif n’apporterait qu’une seule restriction pour le juge, étant de ne pas octroyer plus que ce qu’il est demandé. L’arrêt rappelle par ailleurs que le juge n’a pas à se limiter aux motifs avancés par les parties mais peut prendre en considération l’ensemble de ceux qui sont rentrés dans « la sphère du débat », étant les motifs fondés sur la loi et sur les éléments connus des parties, constituant leur dossier respectif.

Quant à la régularité des décisions prises par l’ONEm, l’arrêt confirme le jugement et sanctionne ainsi les irrégularités dans la procédure administrative pointées par le premier juge.

L’arrêt poursuit, confirmant qu’il appartient bien au magistrat de se substituer à l’ONEm, une fois l’annulation acquise, afin de vérifier les droits que le chômeur pourrait retirer de la réglementation, eu égard aux éléments du dossier.

En l’espèce, il s’agissait de déterminer si le travailleur avait ou non respecté les conditions de cumul de l’activité accessoire et du bénéfice des allocations de chômage. A cet égard, la cour du travail est amenée à faire un rappel original des principes en matière de charge de la preuve. Ainsi, elle relève que c’est à lui à établir ses allégations, que ce soit en matière de situation familiale ou d’exercice d’une activité accessoire dans les limites autorisées. Cette preuve est rapportée par les mentions apposées par le chômeur sur le formulaire administratif C1. Pour la cour, si l’ONEm considère que les mentions ne correspondent pas à la réalité, c’est à luià établir la fausseté des déclarations du chômeur. S’il y parvient, invoquant par exemple un faisceau d’éléments concordants, c’est alors au chômeur à’apporter tout élément permettant de confirmer ses déclarations originaires.

Faisant application de ce principe au cas d’espèce, la Cour constate que l’ONEm établit la fausseté des déclarations reprises sur les formulaires administratifs via l’audition du chômeur concerné, qui avait reconnu l’exercice d’une activité en-dehors des limites autorisées par l’article 46 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

Constatant par ailleurs que le chômeur ne rapportait pas la preuve de ses allégations (limitation de l’activité), il confirme tant la décision que le jugement entrepris.

Importance de la décision

L’arrêt rendu est intéressant à trois niveaux différents :

D’abord, par l’analyse juridique du pouvoir du juge dans le contentieux d’annulation des actes administratifs des institutions de sécurité sociale, cet aspect étant longuement développé par la cour, qui était en l’espèce confrontée à une argumentation consistant à limiter le rôle du juge lorsque la demande du chômeur ne vise que l’annulation de l’acte administratif. Le moyen tendait ainsi à faire dire à la cour que le juge n’avait pas d’autre pouvoir, vu la limitation même de l’objet de la demande. La cour du travail de Mons se fonde principalement sur quatre arguments en faveur du rôle actif du juge dans le contentieux de l’annulation, étant

  • le mode d’introduction de l’instance, prévu par l’article 704 du Code judiciaire, qui permet à l’assuré social d’introduire sa demande par le biais d’une requête qui n’a pas à être motivée. La cour en déduit que, forcément, le législateur a entendu conférer au juge un rôle important et actif dans l’établissement des droits des parties,
  • la compétence de pleine juridiction accordée aux cours et tribunaux du travail par l’article 580, 1° et 2° du Code judiciaire,
  • l’article 17 de la Charte de l’assuré social, qui vise l’hypothèse de la révision d’office, disposition que le magistrat peut appliquer à la place de l’administration défaillante,
  • l’évolution de la conception de la cause de la demande, vu plus particulièrement l’arrêt de la Cour de cassation du 14 avril 2005, qui consacre une conception extensive de cette notion, élargissant par là les pouvoirs du juge. La cour en conclut que la seule limite imposée par le principe dispositif serait de ne pas accorder plus que ce qui est demandé par le requérant.

Cette décision tranche également une problématique relative à la charge de la preuve de l’exactitude (ou non) des déclarations du chômeur. La situation familiale ou professionnelle ou n’importe quel autre des éléments indispensables pour permettre à l’ONEm de statuer sur la demande d’allocations de chômage sont établis par le chômeur par la simple rédaction du formulaire C1, de sorte que c’est à l’ONEm qu’il appartient d’établir la fausseté des déclarations du chômeur.

Enfin, la décision présente un troisième intérêt, qui est de confirmer l’illégalité de la décision lorsque les règles de procédure administrative n’ont pas été respectées. En l’espèce, il s’agissait de la question de l’audition préalable, étant la vérification du respect du délai entre l’audition et la prise de décision. Le tribunal, dont l’appréciation est confirmée par la cour, avait relevé qu’il n’avait pas été possible de déterminer la chose, vu l’absence des formulaires C30 au dossier. Il en allait d’ailleurs de même de la vérification de la compétence de la personne qui a pris la décision.

Ceci constitue un rappel utile de ce que les irrégularités de la procédure administrative doivent entraîner l’annulation de la décision prise par l’ONEm.


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