Terralaboris asbl

Sommes dues à la rupture du contrat : conditions d’une compensation avec une dette du travailleur

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 25 avril 2017, R.G. 2016/AB/158

Mis en ligne le jeudi 28 septembre 2017


Cour du travail de Bruxelles, 25 avril 2017, R.G. 2016/AB/158

Terra Laboris

Dans un arrêt du 25 avril 2017, la Cour du travail de Bruxelles reprend la problématique des retenues sur rémunération en cas de rupture du contrat, s’agissant pour l’employeur la possibilité de faire venir en déduction du paiement des sommes dues – en l’occurrence un pécule de vacances – un devis de réparation d’un véhicule mis à disposition du travailleur.

Les faits

Un gérant d’un point de vente d’une grande jardinerie remet sa démission en juin 2014, moyennant un préavis à prester de soixante jours. Il tombe en incapacité de travail et il est convenu de mettre un terme à la relation de travail à la fin du mois.

L’employé doit remettre les effets appartenant à la société, dont un véhicule. Celui-ci est déposé sur le parking du magasin. Il est alors constaté par l’employeur que le véhicule n’est pas conforme (griffes, grattes, saleté, …). Se pose également un problème de téléphone.

L’intéressé accepte de payer la facture de téléphone. Il fait par ailleurs valoir que la voiture était une voiture « état show-room » ayant déjà beaucoup de kilomètres au compteur et qu’elle n’était de ce fait pas impeccable lorsqu’il en a bénéficié.

Il propose de faire faire des réparations par son garagiste. L’employeur lui envoie, cependant, un devis de réparation, de l’ordre de 1.600€ et déduit ce montant des sommes revenant à l’employé à la sortie.

Celui-ci admet une partie de ce montant mais non la totalité. Reste en discussion une somme de l’ordre de 1.000€.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Nivelles, le travailleur demandant que lui soit remboursée la totalité de la retenue. Il sera débouté par le tribunal et, en outre, condamné aux dépens de l’instance.

La décision de la cour

Appel est interjeté devant la Cour du travail de Bruxelles, qui examine la validité de la retenue sur rémunération à laquelle il a été procédé par l’employeur. Rappelant l’article 23 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération, la cour reprend son 3° qui vise les indemnités et dommages et intérêts dus en vertu de la responsabilité du travailleur (article 18 LCT). La loi du 12 avril 1965 permet, dès lors, d’imputer sur la rémunération due les indemnités et dommages et intérêts dus par le travailleur en vertu de cette disposition de la loi sur les contrats de travail.

La cour précise cependant que, pour l’application de la loi sur la protection de la rémunération, les pécules de vacances ne sont pas inclus dans son champ d’application (article 2, alinéa 3). Or, la retenue a été faite sur ceux-ci.

L’article 23 ne trouve dès lors pas à s’appliquer.

En cas de compensation avec un pécule de vacances (compensation légale, judiciaire ou conventionnelle prévue aux articles 1289 à 1299 du C.C.), c’est le droit commun qui doit s’appliquer. La compensation légale requiert la réunion de cinq conditions : existence des deux dettes réciproques, entre les mêmes personnes agissant en la même qualité, et qui sont fongibles, liquides et exigibles.

La cour rejette dès lors la conclusion du tribunal qui avait admis que la compensation légale pouvait être invoquée. En effet, la dette du travailleur envers la société ne remplit pas la condition de liquidité, étant que son existence doit être certaine, son montant déterminé (ou à tout le moins facilement et promptement déterminable). En cas de contestation sérieuse, comme en l’espèce, la dette de la société n’est pas liquide.

Par contre, existe également la possibilité d’une compensation judiciaire, qui est possible lorsque le jugement a rendu liquide une dette qui était jusqu’alors contestée. Ses effets vont sortir au moment de la décision elle-même. La cour rappelle que les conditions de la compensation judiciaire n’étaient pas réunies au moment où il a été procédé à la retenue en cause et que celle-ci était dès lors illégale.

L’arrêt passe ensuite à l’examen de la compensation judiciaire à laquelle la cour pourrait procéder, étant qu’il faut examiner si le travailleur est tenu des détériorations au véhicule. L’article 18 LCT limite la responsabilité de celui-ci aux cas de dol, de faute lourde ou de faute légère avec un caractère habituel et l’article 19 prévoit que le travailleur n’est tenu ni des détériorations ni de l’usure dues à l’usage normal de la chose.

La cour rappelle également qu’en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 7 mai 1996, R.G. F.940.841.N), la limitation de la responsabilité du travailleur ne vaut que pour les dommages causés dans l’exécution du contrat et non en dehors de celle-ci.

L’employeur doit prouver soit que le dommage a été causé en dehors de l’exécution soit qu’il l’a été pendant celle-ci, avec les règles de limitation de responsabilité du travailleur dans cette seconde hypothèse. En outre, si le dommage est dû à l’usure consécutive à l’usage normal, il n’y a pas lieu à réparation.

La cour constate le kilométrage important du véhicule lorsqu’il a été mis à la disposition du travailleur et retient en outre qu’il a été utilisé par celui-ci pendant deux ans.

Dans la mesure par ailleurs où il n’est pas établi que les dommages constatés sont survenus en dehors de l’exécution du contrat, que l’employeur n’arrive pas à retenir un dol ou une faute lourde du travailleur, il ne resterait que l’hypothèse de la faute légère avec un caractère habituel qui pourrait entraîner l’obligation pour le travailleur d’intervenir dans le coût de la réparation. L’examen du dossier fait cependant dire à la cour que l’on est en présence d’une usure normale du véhicule et que le travailleur n’est dès lors pas tenu d’intervenir.

Reste une question débattue par les parties, étant la valeur probante du devis. Celui-ci n’est en effet pas contradictoire. Pour la cour cette question ne doit pas être abordée, dans la mesure où l’identification des dégâts repris fait retenir la thèse de l’usure normale.

La société ne peut dès lors soutenir que le coût du devis doit venir en déduction des montants dus par elle.

Intérêt de la décision

Très intéressant arrêt sur une question fréquente dans la pratique.

Au-delà du rappel des conditions de la compensation légale, qui combine les règles de la loi du 10 avril 1965 et de celle du 3 juillet 1978 – la cour rappelant ici très judicieusement que les pécules de vacances ne sont pas de la rémunération au sens de la première -, se pose de manière très concrète la question de la possibilité d’une compensation lors de la rupture entre une dette certaine (pécules) et une dette contestée.

Cette compensation ne peut intervenir au titre de compensation légale. Il pourra y être procédé, éventuellement, dans le cadre d’une compensation judiciaire mais pour celle-ci, le juge va examiner le fondement de la contestation.

S’agissant en l’espèce d’un véhicule – question qui se pose lors de très nombreuses ruptures -, la cour a très judicieusement rappelé, non seulement la limitation de la responsabilité du travailleur pour les dommages survenus dans le cours de l’exécution du contrat et considéré qu’il appartient à l’employeur d’établir si la responsabilité doit être totale (s’agissant de dommages survenus en dehors de cette exécution) ou si elle doit être limitée aux conditions de l’article 18.

Enfin, l’article 19, très peu souvent invoqué, libère le travailleur de toute obligation en matière de détérioration ou d’usure due à l’usage normal de la chose.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be