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Action en cessation de harcèlement : identification des comportements et conduites abusives

Commentaire de Prés. Trib. trav. Liège, 22 mars 2017, Ordonnance n° RF 17/4/C

Mis en ligne le lundi 25 septembre 2017


Prés. Trib. trav. Liège, 22 mars 2017, Ordonnance n° RF 17/4/C

Terra Laboris

Saisi d’une demande en cessation de harcèlement moral, le président du Tribunal du travail de Liège a ordonné, dans une décision du 22 mars 2017, la réintégration d’une institutrice, à des conditions strictes qu’il a fixées, condamnation assortie d’une astreinte.

Les faits

La partie demanderesse est une institutrice primaire nommée à titre définitif dans l’enseignement communal depuis 2007. Elle a déposé une plainte du chef de harcèlement en septembre 2013. Elle a été en incapacité de travail d’octobre 2013 à juin 2014. Entre le dépôt de la plainte et le début de l’incapacité, une procédure disciplinaire a été initiée et elle a eu une sanction (rappel à l’ordre). Elle a introduit une procédure devant le tribunal de première instance en contestation. Le tribunal a retenu que la sanction était fautive et a condamné la Ville à réparer le préjudice. Appel a été interjeté et le jugement a été confirmé par un arrêt de la Cour d’appel de Liège.

Elle a sollicité un congé pour exercer une autre fonction (directrice) au sein d’un autre P.O. et l’a obtenu, à partir de juillet 2014.

En octobre de la même année, le résultat de la plainte (bien-être) est communiqué, le rapport concluant non seulement à des souffrances au travail mais aussi à des faits de violence et de harcèlement ainsi qu’à des situations de discrimination.

Celle-ci met, dès lors, son employeur en demeure de prendre les mesures s’imposant dans le cadre de la loi du 4 août 1996 et le SPMT met la Ville (ainsi que les personnes physiques visées) en demeure de réparer les préjudices subis.

Vu leur inertie, l’intéressée a introduit une procédure devant le tribunal du travail.

Au début de l’année académique 2016-2017, il est mis fin à son stage de directrice, pour lequel elle avait obtenu son détachement pédagogique. Elle doit dès lors reprendre ses fonctions à la Ville.

Etant tombée en incapacité de travail, jusqu’à la fin novembre 2016, l’intéressée charge son conseil de demander sa réintégration à l’issue de la période d’incapacité. Un échange de courriers intervient, ainsi qu’une rencontre, dont il ressort que la Ville estime difficile de la réintégrer en cours d’année scolaire.

L’incapacité de travail étant prolongée, des contacts se poursuivent, via le SPMT.

La reprise devant intervenir après les vacances d’hiver, la situation ne se débloque pas et le jour de la reprise, l’intéressée est convoquée par le directeur général de la Ville, qui la dispense de l’exercice de ses fonctions, au motif que le P.O. n’a pas de poste précis pour l’affecter.

En fin de compte, une deuxième procédure est introduite, une requête contradictoire en cessation étant déposée le 21 février 2017.

La décision du président du tribunal

Un rappel est, en premier lieu, effectué quant au cadre protecteur, ainsi que sur le mécanisme procédural. L’ordonnance reprend des principes dégagés en jurisprudence étant d’une part l’obligation de sécurité en droit français (qui est une obligation de résultat), ainsi que les règles en matière de preuve dans le cadre de l’article 32tredecies, § 2 de la loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail, de l’autre.

Elle souligne que le concept de harcèlement est bien difficile à cerner et qu’il est « arrivé dans notre droit social » ainsi que dans le droit judiciaire par l’intégration dans la loi du 4 août 1996 d’un chapitre Vbis, en 2002, texte qui a évolué.

Il est constaté que l’objet de la demande est clair et précis, étant la cessation d’actes qui avaient été épinglés dès octobre 2014 par le SPMT et qui ont ressurgi depuis l’annonce du retour de l’institutrice dans ses fonctions.

Il est relevé qu’aucune critique n’est faite quant aux qualités et compétences pédagogiques de l’intéressée et que les instances de la Ville ont joué au chat et à la souris, comportement dont le président relève qu’il contient tous les ingrédients habituels du harcèlement.

Il énumère ceux-ci, au nombre d’un dizaine : courriers incessants et circonstanciés reportant le règlement de questions précises et légitimes posées par l’intéressée, renvoi de la balle à des acteurs intermédiaires, instrumentalisation ou manipulation de collègues ou de parents, déclenchement et poursuite de la procédure disciplinaire, proposition de modification de fonction qui serait une « voie de garage », culpabilisation de l’intéressée, utilisation du facteur temps par des rapports successifs, déclassement de la demanderesse pour l’attribution de titulariats de classe et enfin dispense de prestations alors que l’intéressée avait manifesté sa volonté de reprendre effectivement ses fonctions.

Pour le président du tribunal, ceci constitue un ensemble abusif de plusieurs conduites similaires ou différentes qui répondent à la définition légale, étant qu’elles ont eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité physique ou psychique de l’intéressée, de mettre son emploi en péril et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

Il est par ailleurs relevé que les parties défenderesses n’ont réservé aucune suite aux mesures préventives et aux recommandations du conseiller en prévention psychosocial, le comportement général de l’employeur traduisant l’exercice d’un abus de pouvoir et d’autorité. Il s’agit d’un abus de droit, voire d’un acharnement.

Le président du tribunal ordonne dès lors la cessation de ces faits et fixe des mesures très précises quant aux modalités de la réintégration de l’intéressée. La réintégration effective dans le titulariat d’une classe est ordonnée dès le 18 avril 2017 et est assortie d’une astreinte de 1.000€ par jour de retard à dater de la signification de l’ordonnance.

Intérêt de la décision

Le comportement abusif de l’autorité publique, employeur (ainsi que son bourgmestre et la directrice de l’établissement) ressort d’une série d’éléments de contexte, qui pourraient être apparemment neutres : les difficultés de réintégration en cours d’année scolaire, la nécessité de prendre une décision mesurée, etc. Ce sont cependant essentiellement les atermoiements de l’employeur et le refus de prendre en compte les recommandations du conseiller en prévention-médecin du travail qui semblent avoir été déterminants, puisque à partir d’un rapport clair, préconisant des mesures à prendre, mesures concrètes et réalistes, la Ville a systématiquement « joué la montre » ainsi que ceci est relevé dans l’ordonnance.

Il n’est pas aisé de définir, à côté de cet élément important, le ou les comportements qui ont été décisifs dans l’appréciation du président du tribunal. C’est plutôt l’ensemble des comportements en cause, traduisant tous une même volonté de ne pas aboutir, étant de ne pas permettre à l’intéressée de reprendre normalement ses fonctions, qui est sanctionnée.

On relèvera encore que ce dossier repose sur un rapport du SPMT qualifié de clair et de complet, le président du tribunal relevant un travail sérieux, objectif, nuancé et mesuré, qui a ainsi toute son utilité dans le cadre de la procédure judiciaire.


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