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Prestations dans deux Etats de l’Union : droit applicable

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 mars 2017, R.G. 2015/AB/131

Mis en ligne le jeudi 14 septembre 2017


Cour du travail de Bruxelles, 28 mars 2017, R.G. 2015/AB/131

Terra Laboris

Dans un arrêt du 28 mars 2017, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les dispositions pertinentes du Règlement (CE) 44/2001 du 22 décembre 2000 du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Les faits

Une société dont le siège social est établi à Luxembourg est active dans le domaine des sites web.

Elle engage un directeur en octobre 2009, le contrat étant conclu à Luxembourg. Il précise que le lieu de travail prédominant est l’adresse de l’entreprise et qu’il peut être transféré temporairement ou de manière permanente en un autre lieu que le Luxembourg. Il lui est demandé d’avoir une résidence dans cette ville ou dans les alentours et il se voit allouer une prime spécifique, dont il est prévu qu’elle pourrait être modifiée dans l’hypothèse où la résidence à proximité de la ville de Luxembourg ne serait plus indispensable. En ce qui concerne le droit applicable, il est renvoyé au code du travail luxembourgeois, la compétence des juridictions luxembourgeoises étant également prévue.

La sécurité sociale est réglée au Luxembourg.

Des avenants sont signés, en cours de contrat, aux fins d’adapter celui-ci à des conditions nouvelles de travail.

Dans les faits, l’intéressé, qui est domicilié près de Bruxelles, a pris un logement meublé à Arlon pendant un an (dont le loyer a été payé par la société), ayant ensuite fait choix d’une chambre d’hôtel à Arlon pendant 3 mois et à Luxembourg ensuite. Les frais liés à celle-ci ont été pris en charge par la société.

En 2012, il est licencié et, conformément au droit luxembourgeois, un préavis de 2 mois est prévu. Le motif est économique.

Un litige survient alors, l’intéressé demandant l’application du droit belge tant sur le plan du droit du travail que de la sécurité sociale. Il invoque le fait qu’il prestait environ 80% de son temps de travail en Belgique.

Il introduit une action devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles.

La décision du tribunal

Par jugement du 1er décembre 2014, le tribunal le déboute, s’estimant non compétent.

Appel est interjeté.

Position des parties devant la cour

Pour l’appelant, les tribunaux belges sont compétents sur pied de l’article 19 du Règlement européen 44/2001, vu qu’il accomplissait 80% de son temps de travail en Belgique. Il précise que la clause attributive de compétence ne peut l’empêcher d’attraire son ex-employeur devant les tribunaux de l’Etat où il a accompli habituellement son travail.

La société plaide qu’elle ne peut être attraite que devant les tribunaux luxembourgeois, s’agissant à la fois de son siège et du lieu où l’intéressé accomplissait habituellement son travail. A supposer que ne soit pas retenu l’argument selon lequel le travail était principalement accompli sur le territoire de cet Etat, la cour devrait, pour l’employeur, décliner sa compétence sur la base de l’article 19, 2, b), du Règlement.

La décision de la cour

Les articles 20 et 21 du Règlement (CE) 44/2001 du 22 décembre 2000 du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale constituent le siège de la question en droit, étant que l’employeur (qui a son domicile sur le territoire d’un Etat membre) peut être attrait soit devant les tribunaux de celui-ci, soit dans un autre Etat membre, étant entendu, dans cette seconde hypothèse, qu’il peut s’agir du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail ou de celui où se trouve l’employeur qui l’a embauché, à défaut d’exécution des prestations dans un seul Etat. Les clauses attributives de juridiction postérieures à la naissance du différend permettant au travailleur de saisir d’autres tribunaux que ceux ci-dessus sont autorisées en vertu de l’article 21.

Cependant, chaque partie doit respecter les dispositions du Code judiciaire et du Code civil en matière de charge de la preuve.

Il faut dès lors trancher la contestation liée au lieu d’exécution habituel du contrat aux fins de déterminer si les juridictions belges sont ou non compétentes.

Les éléments auxquels la cour va se référer – étant entendu qu’elle ne va pas vider sa saisine dans cet arrêt du 28 mars 2017 – sont de plusieurs ordres. Il s’agit en premier lieu des factures de carburant et de GSM luxembourgeois et belge mis à disposition du travailleur. L’exercice par l’intéressé d’une autre activité (connue de l’employeur, puisqu’elle était effectuée pour une autre de ses sociétés) ne suffit pas pour a cour à écarter la pertinence des informations qui pourraient ressortir de la consultation de ceux-ci.

Aux fins de vérifier la fiabilité des éléments relatifs au véhicule, la cour demande la production de pièces touchant les dépenses effectuées par la compagne du travailleur, également active (factures de carburant, preuve éventuelle d’une carte de carburant mise à disposition par la société pour laquelle elle travaille, etc.). Le kilométrage du véhicule est également demandé aux fins de vérifier la compatibilité avec les litres facturés. Sont également exigées des preuves de l’occupation d’un logement à proximité du siège, pour la période postérieure à celle vue ci-dessus, ce qui permettrait également de vérifier la présence du travailleur au Luxembourg.

Celui-ci ayant prospecté et visité des clients, la société fixe à 82% le temps de travail en-dehors de la Belgique (étant 67% au Luxembourg et le reste dans des pays tiers).

La réouverture des débats est dès lors ordonnée aux fins de permettre à la cour de disposer d’éléments pertinents en vue d’établir le lieu habituel de l’exercice de l’activité. L’arrêt précise une série d’éléments à déposer par chacune des deux parties à cette fin.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles statue, essentiellement, sur la compétence des juridictions dans le cadre des articles 20 et 21 du Règlement (CE) 44/2001.

Il s’agit de vérifier si l’employeur peut être attrait devant les juridictions sociales belges, l’intéressé précisant qu’il accomplissait habituellement son travail sur ce territoire.

La notion n’est pas définie par le Règlement, chacun des termes ayant cependant son importance.

L’on constatera que par « habituellement », la cour renvoie implicitement au vocable « essentiellement », étant un critère de temps, à savoir le temps passé sur le territoire belge ou luxembourgeois. Ce temps passé va pouvoir être défini notamment par les déplacements effectués, ainsi que par la localisation du travailleur lorsqu’il a effectué ses appels téléphoniques.

La cour semble, ainsi, ne prendre en compte que cet élément de durée, étant le pourcentage de présence sur un territoire ou l’autre, le travailleur fixant à « 80% » son temps de présence en Belgique et l’employeur retenant quant à lui un chiffre du même ordre… mais en-dehors du territoire belge.

Affaire à suivre pour la solution in specie.


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