Terralaboris asbl

Recours judiciaire contre une procédure d’évaluation

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 mars 2017, R.G. 2015/AB/187

Mis en ligne le jeudi 14 septembre 2017


Cour du travail de Bruxelles, 22 mars 2017, R.G. 2015/AB/187

Terra Laboris

Dans un arrêt du 22 mars 2017, la Cour du travail de Bruxelles examine la régularité d’une procédure interne d’évaluation des prestations du personnel de vente d’une société. Si une telle contestation entre dans la compétence d’attribution des juridictions du travail (article 578, 1°, du Code judiciaire), il s’agit d’un contrôle de légalité, la cour ne pouvant se substituer à l’employeur sur la qualité des prestations elles-mêmes.

Les faits

Une employée, au service d’une grande société de téléphonie depuis 1998, exerçant en tant que vendeuse dans un point de vente, devient déléguée syndicale en 1999. Un incident survient en octobre 2011, l’employeur lui ayant reproché une arrivée tardive. Un avertissement lui est donné, l’intéressée s’étant « énervée » suite au reproche qui lui avait été fait.

L’évaluation annuelle de ses prestations de février 2012 contient comme mention finale que la contribution de l’intéressée est « légèrement à améliorer ». Un recours est introduit et cette mention est confirmée. Un second recours est formé suivant la voie hiérarchique. L’intéressée invoque un vice de procédure. Ce recours est également rejeté. La décision de rejet est motivée et sa conclusion est qu’il y a eu respect de la procédure d’évaluation, ce qui justifie le maintien de la mention.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Nivelles (division Nivelles) en réparation d’un préjudice moral, fixé à 2.500 euros suite à l’évaluation et à la mention figurant dans celle-ci. L’intéressée demande de dire pour droit que la mention doit être autre, étant que sa contribution a été « de valeur ». Un préjudice matériel est également soulevé, étant une perte salariale, dont la réparation est limitée provisionnellement à 1 euro sur un montant de 1.000 euros.

Le tribunal ne vide pas sa saisine, rendant un jugement de réouverture des débats le 18 décembre 2014.

Appel de cette décision est formé par l’intéressée.

La décision de la cour

La cour examine en premier lieu sa compétence, vu l’argument de la société selon lequel les juridictions du travail ne seraient pas compétentes pour statuer sur une décision d’évaluation prise par l’employeur. La cour retient qu’elle est compétente pour connaître du litige, sur pied de l’article 578, 1°, du Code judiciaire, relevant qu’il s’agit bien d’une contestation relative au contrat de travail. Elle souligne cependant que ceci ne signifie pas qu’elle aurait le pouvoir de se substituer à l’employeur pour revoir la mention qui a été donnée en exerçant un pouvoir d’appréciation sur la manière dont les objectifs fixés ont été atteints.

Sur le fond, la cour examine le respect du règlement relatif à l’évaluation des prestations du personnel. Selon l’intéressée, la procédure n’a pas été respectée. Elle fait valoir qu’une erreur dans la procédure serait liée à l’absence d’entretiens de suivi mensuels. La cour souligne que, dans la mesure où elle fait valoir cette circonstance, l’employée a la charge de la preuve de cette erreur et qu’elle supporte le risque de défaut de preuve, tout en rappelant que la société a l’obligation de collaborer à celle-ci.

Il ressort des éléments du dossier produits que, en tout cas, sur la même année, au moins deux entretiens ont eu lieu, et ce en l’espace de 9 mois. La cour retient que, pour ce qui est des comptes rendus d’entretien, il n’est pas prévu qu’ils soient repris dans l’application électronique contenant les indicateurs de performance. Il n’y a dès lors pas de faute dans le chef de la société.

En ce qui concerne l’entretien préalable à l’attribution de la mention d’évaluation, entretien également prévu au règlement relatif à l’évaluation, l’intéressée fait valoir qu’elle n’a été reçue que très brièvement par son N+1 et qu’elle n’aurait, de ce fait, pas pu exprimer valablement sa position. La cour ne suit pas l’employée sur ce point non plus, considérant ici encore que, dans la mesure où l’entretien d’évaluation a été tenu, c’est à l’employée de prouver l’erreur de procédure invoquée. Or, aucun élément n’est produit et la cour relève encore que le règlement ne prévoit aucune durée minimale pour l’entretien en cause. En l’espèce, il aurait duré 15 minutes et ceci ne suffit pas, pour la cour, pour conclure à un vice de procédure.

Deux autres éléments sont encore soulevés par l’intéressée. Le premier est que le document était finalisé lors du rendez-vous – point contesté par la société. La cour retient que la procédure prévoit que le document doit contenir les commentaires de l’évaluateur ainsi qu’une proposition de mention d’évaluation, ce qui est le cas en l’espèce. Il n’est davantage pas exigé, comme le revendique l’employée, d’ajouter des commentaires suite à l’entretien.

L’autre est relatif aux délais. Le non-respect des délais de recours prévus dans le règlement interne n’est de même pas davantage établi par l’intéressée, qui voit également cet argument rejeté.

Enfin, sur le contenu du rapport d’évaluation lui-même, la cour retient qu’il y a à la fois des objectifs individuels pris en compte, pour les membres du personnel des points de vente, de même que des objectifs d’entreprise et d’équipe. La cour estime en conséquence ne pouvoir suivre l’intéressée, qui plaide que seuls auraient été fixés en ce qui la concerne des objectifs au niveau individuel.

L’appel est dès lors rejeté, la cour rappelant encore que l’intéressée se plaint longuement dans ses conclusions des critères utilisés pour son évaluation et de la mention qu’elle a obtenue. Pour la cour du travail, le juge ne peut se mettre à la place de l’employeur pour juger si l’évaluateur a correctement apprécié les performances de l’intéressée et s’il n’aurait pas dû lui donner une autre mention, en l’occurrence en tenant compte notamment du temps consacré au mandat syndical – comme le prétend l’intéressée.

Intérêt de la décision

Les recours portant uniquement sur les mentions d’une évaluation ne sont pas fréquents, ceux-ci se rencontrant plus souvent dans le cadre de licenciements intervenus pour des motifs liés à un mauvais rendement, une médiocrité des résultats, etc., ceux-ci ayant été objectivés dans des rapports d’évaluation annuels ou périodiques.

En l’espèce, l’intéressée sollicitait d’une part la réparation d’un dommage moral, vu une évaluation inadéquate selon elle, ainsi que celle d’un dommage matériel, ce qui permet de comprendre – point qui n’est pas abordé dans l’arrêt – que des primes particulières pouvaient être liées à une appréciation meilleure de la qualité des prestations.

Un intérêt de cet arrêt est certes d’avoir rappelé la compétence des juridictions du travail pour toutes les contestations relatives aux contrats de louage de travail, y compris celles qui ont trait à la violation des secrets de fabrication commises pendant la durée de ces contrats (texte de l’article 578, 1°, du Code judiciaire).

L’arrêt examine ensuite, pas à pas, les différentes étapes de la procédure telles que fixées dans les règlements internes à la société. Dans la mesure où les règles sont établies et transparentes, le juge peut certes vérifier la conformité de la procédure suivie avec celle imposée par ceux-ci. La cour rappelle, cependant, que son contrôle s’arrête là et qu’elle ne peut en aucune circonstance se substituer à l’employeur quant à l’évaluation de la qualité des prestations, non plus que quant aux critères fixés dans le cadre interne de l’évaluation du personnel.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be