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Contrat transnational : loi applicable

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 mars 2017, R.G. 2015/AB/207

Mis en ligne le jeudi 31 août 2017


Cour du travail de Bruxelles, 22 mars 2017, R.G. 2015/AB/207

Terra Laboris

Dans un arrêt du 22 mars 2017, la Cour du travail de Bruxelles rappelle le mécanisme de la Convention de Rome, qui autorise les parties à désigner le droit applicable aux contrats, disposition valant également en contrat de travail.

Les faits

Un citoyen français, ingénieur civil résidant en Belgique, est engagé par une société étrangère (le siège étant sis aux Emirats arabes unis) dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée. Les fonctions sont celles de directeur et l’affectation de l’agent est précisée comme étant l’U.R.S.S. Le contrat prévoit une série d’avantages essentiellement liés aux séjours à l’étranger ainsi que des frais de représentation, en sus d’une rémunération fixée en termes nets.

Une clause d’attribution de compétence figure en ce qui concerne le règlement des différends, ceux-ci devant être soumis aux tribunaux de Bruxelles.

Plusieurs avenants sont signés en cours d’exécution du contrat, celui-ci liant les parties depuis septembre 1989.

L’intéressé est, entre-temps, occupé en Azerbaïdjan depuis août 2007. Un avenant a été signé, renvoyant au Code du travail azéri.

En février 2009, la société informe l’intéressé de sa volonté de rompre et lui annonce le paiement d’une indemnité équivalant à 20 mois de rémunération de base. Des compléments sont annoncés, peu de temps après, relatifs à des primes et quotes-parts d’assurances.

Un litige survient, vu le désaccord de l’intéressé sur le décompte final proposé, et une action est introduite devant le tribunal du travail.

Les jugements du tribunal

Par jugement du 8 mai 2012, le tribunal a admis, en ce qui concerne la loi applicable, qu’il faut appliquer le droit russe et, pour la partie des relations contractuelles en Azerbaïdjan, le droit azéri.

Deux autres jugements interviendront ensuite, l’un condamnant la société à diverses sommes et un dernier relatif à une demande de rectification.

L’appel

La société interjette appel, et ce essentiellement sur l’application du droit azéri pour la période de mars 2007 à février 2009 (licenciement). Elle demande la réformation du jugement l’ayant condamnée à diverses sommes, étant d’un total de près de 350.000 euros.

La décision de la cour

La cour va d’abord statuer sur le droit applicable au litige. La Convention de Rome sur la loi applicable aux relations contractuelles a été approuvée par la loi du 14 juillet 1987 et elle dispose en son article 3 que le contrat est régi par la loi choisie par les parties. La cour reprend l’ensemble de ces dispositions, ainsi que l’article 6, qui contient une clause de protection, étant que ce choix ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui lui serait applicable à défaut de choix.

Si les parties n’ont pas fait ce choix, le contrat de travail est régi par la loi du pays où le travailleur accomplit habituellement son travail (même s’il est détaché à titre temporaire dans un autre pays) ou, s’il n’accomplit pas habituellement son travail dans un même pays, par la loi du pays où se trouve l’établissement qui l’a embauché, à moins qu’il ne résulte de l’ensemble des circonstances qu’il existe des liens plus étroits avec un autre pays.

Etant expressément prévu dans le contrat de travail que les différends relatifs à l’exécution ou à l’interprétation de celui-ci seront soumis à la juridiction des tribunaux de Bruxelles et que ceux-ci statueront conformément aux lois du pays d’affectation (les parties ayant décidé que le contrat serait régi par celles-ci) et, enfin, que, pour tous les cas non prévus, il y aurait lieu à application de la loi de ce même pays d’affectation, il y a un choix exprimé. La cour constate que celui-ci est conforme à l’article 3, § 1er, de la Convention de Rome. Elle va dès lors appliquer la loi azérie, pour la période à partir du 1er mars 2007.

Elle examine cette loi étrangère et constate qu’elle contient un code du travail, dont le texte précise qu’il ne s’applique cependant pas aux personnes de nationalité étrangère ayant conclu un contrat de travail avec une entité légale de nationalité étrangère exerçant des fonctions dans une entreprise et opérant sur le territoire de la République.

Le texte exige entre autres conditions que le contrat de travail visé ait été conclu dans le pays où se situe le siège social de l’employeur, mais que les prestations de travail soient exécutées sur le territoire azerbaïdjanais.

Le travailleur contestant le lieu de conclusion du contrat, la cour examine l’importance de ce critère dans le cadre d’un contrat international. Celui-ci peut en effet intervenir pour l’application du droit applicable. Le droit visé dans la Convention est le droit azéri et la cour relève que, si la société entend se prévaloir de la condition d’exclusion du champ d’application relative aux contrats conclus à l’étranger, elle doit établir que les conditions de cette exclusion sont réunies. Il faut dès lors qu’elle prouve que le contrat a été conclu à son siège aux Emirats arabes unis.

Or, à l’époque, l’intéressé était en Belgique et il ne ressort pas de son passeport qu’il ait effectué le voyage vers les Emirats. Le fait que la mention « fait à Sharjah » ait été apposée au bas du contrat n’est pas suffisant pour établir que la conclusion est intervenue au lieu du siège social.

La cour conclut dès lors à l’application du droit azéri, tel que prévu dans la Convention.

Elle va, ensuite, examiner le fond, qui porte sur des indemnités de représentation, le paiement d’heures supplémentaires, ainsi que la rémunération de base servant d’assiette au calcul de l’indemnité compensatoire de préavis.

Enfin, sur les dépens (élevés, eu égard aux sommes réclamées), la cour va les compenser partiellement, en application de la jurisprudence de la Cour de cassation, et elle renvoie ici à trois arrêts des 19 janvier 2012 (F.10.0142.N), 23 novembre 2012 (F.11.0144.N) et 25 mars 2010 (C.09.0288.N), ainsi qu’à la contribution de H. BOULARBAH, « Les frais et les dépens, spécialement l’indemnité de procédure », Actualités en droit judiciaire, CUP, 2013, volume 145, p. 353).

Intérêt de la décision

L’arrêt rendu par la cour en cette affaire est l’occasion de revenir sur les règles reprises à la Convention de Rome en ce qui concerne la loi applicable aux contrats. Celui-ci peut être régi par la loi choisie par les parties et ce choix peut être exprès ou implicite, mais, dans cette hypothèse, il doit résulter de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. Le choix peut porter sur la totalité ou sur une partie du contrat seulement. En outre, à tout moment, ce choix peut être revu d’un commun accord.

Il ne peut cependant permettre de déroger aux dispositions impératives normalement applicables et l’article 6 a d’ailleurs prévu une garantie explicite, étant que ce choix ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui seraient applicables à défaut de choix.

Les critères dégagés par la Convention en cas d’absence de choix sont celui de l’exécution habituelle du travail (si celui-ci est exécuté sur le territoire d’un seul Etat) ou, à défaut, eu égard au pays dans lequel se trouve l’établissement qui a embauché le travailleur (sauf lien plus étroit à établir avec un autre Etat).


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