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Notion de prestations de maladie et de prestations d’invalidité en droit européen

Commentaire de C.J.U.E., 1er février 2017, Aff. C-430/15 (SECRETARY OF STATE FOR WORK AND PENSIONS c/ TOLLEY)

Mis en ligne le jeudi 13 juillet 2017


Cour de Justice de l’Union européenne, 1er février 2017, Aff. C-430/15 (SECRETARY OF STATE FOR WORK AND PENSIONS c/ TOLLEY)

Terra Laboris

Saisie d’une question d’exportabilité de prestations sociales, la Cour de Justice de l’Union européenne rappelle dans un arrêt du 1er février 2017 les conditions dans lesquelles celle-ci peut intervenir au sens du Règlement n° 1408/71.

Les faits

Une ressortissante britannique cotise au régime d’assurance de son pays d’origine pendant 17 ans. Vu la détérioration de son état de santé, elle arrête de travailler et se voit ultérieurement attribuer une prestation de sécurité sociale spécifique, étant la composante « dépendance » de la D.L.A. (« Disability Living Allowance »), et ce vu qu’elle est incapable de préparer son alimentation.

Elle se rend ultérieurement en Espagne avec son conjoint, pays où elle n’a été ni travailleur salarié ni travailleur non salarié.

La prestation de D.L.A. lui est alors refusée, et ce rétroactivement, vu son déménagement à l’étranger.

Un recours est introduit devant le Tribunal de Première Instance, qui y fait droit, considérant qu’en vertu de l’article 10 du Règlement n° 1408/71, l’intéressée peut continuer à en bénéficier en Espagne.

Appel étant interjeté par l’Etat devant le Tribunal supérieur, le droit de l’intéressée est confirmé, mais sur pied de l’article 22 du Règlement, au motif qu’elle a été assurée contre le risque de vieillesse du fait des cotisations versées et qu’elle a la qualité de travailleur salarié au sens de l’article 1er, a), du Règlement.

La Cour d’appel (Court of Appeal of England & Wales) rejette un recours introduit par le Gouvernement contre la décision du Tribunal supérieur et la Cour suprême est alors elle-même saisie. Elle relève que la prestation en cause pourrait être considérée comme une prestation d’invalidité au sens du Règlement n° 1408/71 et que, vu l’article 18, il y a possibilité d’exporter celle-ci vers un autre Etat membre.

Si, par contre, il devait s’agir d’une prestation de maladie, il faudrait voir si la définition de travailleur salarié (reprise à l’article 1er, a), point ii), du Règlement) s’applique également aux dispositions du Règlement relatives à la maladie. Pour la Cour suprême, il ne serait pas logique de considérer des personnes inactives du point de vue économique comme étant des travailleurs qu’il convient de traiter plus favorablement que les personnes qui cherchent un emploi. Elle se pose également la question de savoir ce qu’il faut entendre par « personne à laquelle la législation d’un Etat membre cesse d’être applicable » au sens de l’article 13, § 2, f), du même Règlement, étant de savoir si ceci vise l’ensemble de la législation d’un Etat membre ou bien uniquement la législation de celui-ci relative à la prestation en cause. D’autres questions en découlent encore.

Les questions préjudicielles

La Cour suprême interroge la Cour de Justice essentiellement sur les points suivants :

  • Si la composante « dépendance » de la D.L.A. est une prestation d’invalidité plutôt qu’une prestation de maladie en espèces ;
  • Si une personne qui cesse d’y avoir droit en vertu de son droit national, vu qu’elle a déménagé dans un autre Etat membre, et qui a cessé toute activité salariée avant ce déménagement mais qui reste assurée contre le risque de vieillesse dans son pays d’origine, cesse d’être soumise à la législation de celui-ci aux fins de l’article 13, § 2, f) ;
  • Si cette personne reste en tout état de cause soumise à la législation de son pays d’origine et, si elle a cessé de l’être, si celui-ci doit ou peut seulement lui appliquer les dispositions du Règlement relatives à la maladie.

Enfin, la Cour suprême demande à savoir si la définition large de travailleur salarié s’applique aux fins des articles 11 à 22 du Règlement lorsque la personne a cessé toute activité salariée avant de déménager vers un autre Etat membre, nonobstant la distinction établie au Chapitre 1er du Titre III entre d’une part les salariés et non-salariés et, d’autre part, les chômeurs. Se pose enfin la question de l’exportabilité dans l’hypothèse où la définition s’applique.

La décision de la Cour de Justice

La Cour de Justice va longuement examiner ces questions.

Dans la mesure où l’intéressée a été assurée au Royaume-Uni contre le risque de vieillesse, elle doit être considérée comme un travailleur au sens de l’article 1er, a), ii), 1er tiret, du Règlement (la circonstance qu’elle soit décédée entre temps, et ce avant d’avoir atteint l’âge de la retraite, ne changeant rien à cette conclusion). La Cour rappelle que la possibilité de relever du champ d’application personnel du Règlement ne dépend pas de la réalisation du risque couvert.

Elle reprend ensuite les conditions pour qu’une prestation soit, au sens de la coordination, considérée comme une prestation de sécurité sociale et confirme que la prestation en cause doit avoir ce caractère, étant en réalité une prestation en espèces à caractère non-contributif.

Il s’agit d’une prestation de maladie. Elle renvoie à son arrêt DA SILVA MARTINS (C.J.U.E., 30 juin 2011, DA SILVA MARTINS c/ BANK BETRIEBSKRANKENKASSE – PFLEGEKASSE, C-388/09) sur les prestations de maladie, où elle a rappelé que doivent être considérées comme telles des prestations qui, dans une certaine mesure, se rapprochent également des branches « invalidité » et « vieillesse ». L’article 13, § 1er, concerne la question de l’unicité de la loi applicable. Il ne définit pas les conditions selon lesquelles la législation d’un Etat membre cesse d’être applicable à une personne, chose qu’il appartient à la législation de chaque Etat membre de déterminer, la Cour renvoyant à son arrêt KIK (C.J.U.E., 19 mars 2015, L. KIK c/ STAATSSECRETARIS VAN FINANCIËN, C-266/13).

Il en va notamment ainsi des dates et conditions auxquelles la législation d’un Etat membre cesse d’être applicable. Il appartient dès lors à la juridiction de renvoi de vérifier si les circonstances de la cause (étant que l’intéressée n’a plus versé de cotisations au régime de sécurité sociale du Royaume-Uni à partir de 1993, qu’elle a cessé toute activité professionnelle et qu’elle a, en 2002, quitté le pays) ont entraîné la cessation de son affiliation et sa sortie de celui-ci. Le Règlement n’interdit dès lors pas qu’une législation puisse cesser ultérieurement d’être applicable à la personne.

Enfin, quant à la condition de résidence, la Cour examine longuement les arguments du Gouvernement britannique et les rejette, concluant que l’article 22, § 1er, b), du Règlement s’oppose à ce qu’un Etat compétent subordonne le maintien du bénéfice d’une prestation telle que celle examinée à une condition de résidence et de présence sur son territoire. Cependant, la disposition subordonne le droit d’exporter celle-ci à la condition que le travailleur ait demandé et obtenu de l’institution compétente l’autorisation de transférer sa résidence sur le territoire d’un autre Etat membre. L’autorisation ne peut être refusée que s’il est établi que le déplacement de l’intéressé est de nature à compromettre son état de santé ou l’application du traitement médical.

Intérêt de la décision

L’arrêt rendu concerne une prestation spéciale à caractère non-contributif, à propos de laquelle se pose la question essentielle de l’exportabilité vers un autre Etat membre.

Pour la Cour, dans l’hypothèse visée, il s’agit d’une prestation de maladie et la personne conserve le droit de percevoir celle-ci après avoir transféré sa résidence dans un Etat membre autre que l’Etat compétent, à la condition d’avoir obtenu une autorisation à cet effet.

La Cour rappelle longuement dans cet arrêt que le Règlement est un règlement de coordination, destiné à constituer un système complet et uniforme de règles de conflits de loi. Il s’agit non seulement d’éviter l’application simultanée de plusieurs législations nationales et les complications qui peuvent en résulter, mais également d’empêcher que les personnes qui entrent dans le champ d’application du Règlement soient privées de protection en matière de sécurité sociale, faute de législation qui leur serait applicable.


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